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Livre - "Pourquoi lire" de CHARLES DANTZIG

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Charles Dantzig, éditeur, poète, écrivain, appartient à une catégorie typiquement française d’intellectuel rigolo qui n’existe pas vraiment au Québec: il ne s’excuse pas d’exister. Il a des opinions, parfois même des opinions qui vont totalement à l’encontre de l’esprit du temps et, devinez quoi: il les proclame quand même!
De passage en septembre à Montréal, Dantzig a rencontré la presse d’ici affublé d’un T-shirt «Oscar Wilde All-Stars» qui lui faisait une dégaine de jeune rebelle de bonne famille. Il venait entre autres parler de Pourquoi Lire? qui paraît ces jours-ci en librairie.

Encyclopédiste à sa manière, cet essai est dans la lignée de son très bon Dictionnaire égoïste de la littérature française, qu’il avait publié en 2005, un livre réjouissant et totalement inutile, comme la littérature.
Pourquoi lire? n’est pas moral et Dantzig n’est pas un moraliste. «La littérature ne sert à rien», affirme-t-il, et le savoir est peu de chose.» Ça nous change des grands discours sur l’universalité de l’art. «L’universalité est un mot inventé par les Français pour avoir raison dans le monde entier», blague celui qui est également éditeur chez Grasset, où il a publié cet automne le Bibi de Victor Lévy-Beaulieu.
«Lire n’est pas bien, écrit-il. Grande erreur de dire que ça l’est aux enfants et même aux adultes. Ils sont aussitôt convaincus de ne pas le faire. L’idée d’accomplir un acte ostensiblement vertueux répugne à l’être de qualité.»
Tout l’art, toute l’ironie de Dantzig est ici perceptible. En prenant les idées reçues à contre-pied, en critiquant joyeusement ce qui est populaire, en célébrant le geste inutile (mais vital) de lire, il affirme et réclame une liberté qui échappe aux diktats de la mode et du prêt-à-penser. «Plus je lis, moins j’ai l’impression d’être civilisé», écrit-il.
Composé de 77 courts chapitres aux titres parfois très drôles (Lire pour se masturber, La lecture est un tatouage, Lectures en croûte, Lire autre chose que ce qui est écrit, Lire pour avoir lu…), le livre de Dantzig, sans jamais se prendre au sérieux, est en fait une «autobiographie du lecteur», le portrait en creux d’un homme pour qui le monde réel ne sera jamais assez satisfaisant pour qu’il s’en contente, et qui aime la complexité «pour perdre les brutes».

Contre la littérature jeunesse

«Donnez-leur des lectures qui ne sont pas de leur âge!» s’écrit Charles Dantzig, qui s’insurge (en riant) contre ces littératures spécialisées qui s’adressent à un public précis, ce prêt-à-porter d’une société de consommation qui transforme l’auteur en fournisseur de contenu et le lecteur en clientèle-cible. Qui a envie d’être une cible, on se le demande?
Et où est le mystère dans cette transaction commerciale? Où sont la surprise de la découverte, l’errance sans but dans les lignes imprimées? «Attention, les lectures qui vont trop dans le sens de vos pensées ou de vos goûts sont dangereuses», écrit-il encore.
Ne s’agit-il pas en fait, par la lecture, d’échapper à tout? À la bêtise, aux idées reçues, aux modes, à l’air du temps, à soi-même? C’est ce qui se dégage de cet essai baveux et tonifiant qui, en tournant le dos à la morale, vise la subversion: «…Nous n’avons pas besoin des humanitaires brandissant leur serviabilité d’un jour devant les caméras, nous n’avons pas besoin de tous ces gens debout qui nous narguent de leur moralité.. L’effronterie du lecteur est ailleurs; dans l’esprit détaché du pratique, dans ce front baissé vers des lignes où il lit des choses qui le renforcent contre les puissances. Oui, voilà aussi pourquoi on lit. On étaie son pauvre petit être au milieu de la force en marche. On se donne les moyens de sa faiblesse.»
Pourquoi Lire? de Charles Dantzig, Grasset, 241 pages.