Plaidoyer pour une théologie ouverte aux sciences religieuses
La revue jésuite «Recherches de science religieuse» invite la théologie à poursuivre le dialogue avec la philosophie et les sciences humaines
Un savoir-faire centenaire appliqué au présent de la théologie. À l’occasion de ses cent ans, la revue jésuite de théologie Recherches de science religieuse (RSR) publie un ouvrage collectif indispensable à qui veut penser le moment présent de la théologie.
Il aborde toutes questions cruciales qui se posent à elle, notamment son rapport aux autres disciplines engagées dans l’étude de la religion: philosophie, histoire, sociologie, exégèse… De la question de la vérité à celle des chantiers de l’œcuménisme, des mutations sociologiques affectant le «croire» contemporain aux relations entre théologie et sciences, le champ investi est large. Il n’est pas ratissé, mais plutôt exploré, avec l’intelligence de ceux qui savent sonder les sols et envisager les reliefs plutôt que d’être obsédés par la revendication d’un territoire.
La revue, aujourd’hui dirigée par le théologien Christoph Theobald, est à son aise pour aborder ces questions. Fondée en 1910, quelques années après l’acmé de la «crise moderniste», elle s’est fait une spécialité du dialogue entre théologie et sciences religieuses.
Le présent ouvrage s’ouvre d’ailleurs par un plaidoyer vigoureux en faveur de l’histoire, qu’il faut lire comme une véritable prise de position éditoriale et théologique, «l’homo religiosus de tous les temps et de toutes les cultures n’(ayant) jamais fait bon ménage avec l’histoire et l’historiographie», constate Christoph Theobald.
Sa tendance naturelle est plutôt de chercher à suspendre le temps. «Délimiter des lieux, des espaces, des temps réservés au divin, c’est s’arracher, aussi momentanément et illusoirement que ce soit, à cette condition humaine où rien n’est assuré de durer dans la mortelle transcendance de la relativité et de la finalité».
Le théologien et ses confrères font le pari inverse: celui d’assumer la condition historique des hommes et de leurs énoncés, honorant par là le défi posé par l’incarnation du Fils de Dieu dans le temps. «Il n’est jamais facile d’accepter la relativité du temps et de l’histoire. Mais c’est notre condition même ; et c’est cette condition que le Christ a voulu assumer, pose le jésuite. C’est d’abord respect pour lui que d’accepter cette temporalité fragilisante.»
Il s’agit donc de prendre congé avec une «conception notariale» de la théologie, simple conservatoire de documents et de formulations «qu’il faudrait garder et répéter à tout prix». La question de la vérité n’est pas pour autant évacuée. Elle est au contraire au cœur des préoccupations de bien des contributions de ce volume, mais envisagée dans une perspective nouvelle. «Pour les théologiens et les exégètes, l’enjeu d’une prise de parole publique n’est plus de défendre la vérité de la foi contre les attaques du rationalisme, mais la “véracité” du langage de la foi face aux justes suspicions de la raison commune», écrit ainsi le théologien Joseph Moingt, qui prévient: «L’obéissance peut apaiser la crise de l’autorité, elle ne sauvera pas sa crédibilité.»
«Examinez tout avec discernement: retenez ce qui est bon»: la citation de la lettre de Paul aux Thessaloniciens (1 Th 5, 21) résume, en conclusion, l’attitude de recherche que la revue entend cultiver. Non pas imposer son agenda, comme on le fait en politique, mais entrer en dialogue avec nos contemporains. Ne présupposer aucune question, ne ressasser aucune réponse.
Ce renouveau de la théologie repose sur une conviction théologique, celle d’une possible «créativité de la foi». Un thème déjà abordé, avec prudence, par le théologien allemand Karl Rahner, et «peut-être la seule (question) qui mériterait la réunion d’un nouveau concile», note Christoph Theobald. C’est d’ailleurs la perspective d’une vérité encore à venir, qui se déploie dans l’histoire sous la conduite de l’Esprit Saint, qui ouvre les théologiens au dialogue avec leurs confrères en sciences religieuses.
«L’intervention de la critique, gérée et parfois défendue par les sciences religieuses, est absolument essentielle d’un point de vue théologique, voire trinitaire, souligne ainsi Christoph Theobald. Elle seule peut garder vivante l’historicité du christianisme, son principe d’incarnation, contre toute tentative de re-mythifier ou de re-sacraliser le rapport des communautés à leur commune tradition.»
ELODIE MAUROT