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Sciences - Origine de la vie : peut-être une hypothèse testable en laboratoire

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Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences Partagez nos contenus

Les premières briques chimiques de la vie terrestre auraient pu être assemblées au fond des océans par une catalyse chimique faisant intervenir des petites molécules organiques et des métaux. L'hypothèse reprend des idées déjà exposées il y a plusieurs années. Mais le scénario actuel serait testable, expliquent ses auteurs.

Les premiers océans de la Terre avaient tout ce qu'il fallait pour que la vie apparaisse. C'est la conviction de Harold Morowitz, de la George Mason University, qui expose ses idées depuis plusieurs années. Selon lui, il doit exister une explication simple à l'apparition des molécules complexes qui ont ensuite construit les premiers êtres vivants. Cette chimie prébiotique pose pourtant à la science une redoutable question qui est celle de l'œuf et de la poule.

La chimie des organismes vivants repose sur des macromolécules qui se construisent à partir de structures plus simples et plus ou moins répétées : les protéines sont des chaînes d'acides aminés, ADN et ARN sont constitués de bases azotées accrochées les unes aux autres, les sucres simples, comme le fructose ou le glucose s'assemblent pour former des structures plus vastes (saccharose, amidon, glycogène...), etc.

Mais ces éléments ne forment pas spontanément des macromolécules. Pour que les réactions chimiques nécessaires aient bien lieu, il faut une catalyse efficace réalisée... par des macromolécules. Dans les cellules, ce sont principalement les enzymes, c'est-à-dire des protéines, qui jouent ce rôle catalytique. On connaît une seconde voie, celle de certains ARN. Ces cousins de l'ADN montrent parfois une fonction de catalyse et on les appelle alors des ribozymes. Cette capacité a inspiré une hypothèse sur l'origine de la vie, celle du monde à ARN, dont Harold Morowitz est d'ailleurs un partisan. Dans ce milieu des prémices de la vie, l'ARN jouait deux rôles : il portait l'information, comme l'ADN d'aujourd'hui, et il catalysait les bonnes réactions chimiques, comme nos enzymes actuelles. Cette théorie repose sur de bons arguments, notamment l'activité enzymatique des ribozymes et l'existence des ribovirus, dont le matériel génétique est constitué d'ARN.

La biochimie d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui

Donc, pour résumer, dans le monde à ARN comme dans la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui, il faut des macromolécules pour fabriquer des macromolécules. Alors comment se sont formées les premières macromolécules ?

La réponse semble devoir être cherchée dans des voies métaboliques différentes favorisées par le milieu terrestre tel qu'il était à l'origine de la vie il y a donc environ 4 milliards d'années et qui seraient devenues ensuite impossibles. De nombreuses pistes sont explorées mais aucune théorie globale et consensuelle n'a encore vu le jour.

Pour aboutir à une recette chimique conduisant à la vie, il faut de l'énergie, des composés chimiques et un milieu favorable. De l'atmosphère secouée d'éclairs aux argiles et au mica, de nombreuses hypothèses fleurissent. Avec son collègue Eric Smith, Harold Morowitz avait proposé l'intervention active des volcans, dispersant des polyphosphates, des molécules qui ont pu persister dans l'atmosphère d'alors. Aujourd'hui, elles ne le peuvent plus (elles seraient oxydées) mais on les trouve au cœur du métabolisme de tous les êtres vivants de la Terre. L'ATP, notamment joue un rôle primordial comme vecteur d'énergie.

Un scénario possible, seulement possible

Les deux mêmes auteurs, accompagnés de Vijayasarathy Srinivasan, se penchent aujourd'hui sur les fosses océaniques, là où fument les sources hydrothermales. Leur hypothèse, qu'ils viennent d'exposer dans le dernier numéro de la revue The Biological Bulletin (sous le titre Ligand Field Theory and the Origin of Life as an Emergent Feature of the Periodic Table of Elements), repose sur la chimie et fait intervenir deux acteurs majeurs : la famille des métaux dits de transition (comme le fer, le nickel, le cuivre, le zinc...) et les ligands, c'est-à-dire des molécules capables d'accrocher des ions métalliques.

Du fond océanique, expliquent-ils, diffusaient dans l'eau un certain de nombre de molécules : CO2 (le gaz carbonique, ou dioxyde de carbone), H2 (l'hydrogène moléculaire), NH3 (l'ammoniac), H2S (l'hydrogène sulfuré) et H3PO4 (le phosphate d'hydrogène). L'eau de mer était riche en métaux de transition et très pauvre en oxygène. Selon les auteurs, ce cocktail devait conduire à la forme de petites molécules organiques avec la propriété de ligands, qui devaient efficacement fixer les métaux. Ces complexes ligands-métaux ont des propriétés catalytiques et seraient à l'origine de la fabrication des premières macromolécules. Dans leur publication, les auteurs se livrent à une analyse des propriétés chimiques des éléments chimiques en cause et des travaux déjà réalisés sur ces thèmes. Ils aboutissent à un scénario en plusieurs étapes :

1. Dans l'océan primitif se trouvent des métaux de transition sous forme solide ou en solution liés à l'eau, au monoxyde de carbone (CO), au dioxyde de carbone (CO2), à l'ammoniac (NH3) et à des sulfates.
2. A partir du CO2, de H2, de NH3 et de polyphosphates, l'énergie thermique ou chimique des sources hydrothermales conduit à la formation de ligands organiques (à plusieurs atomes de carbone, donc) qui se lient aux métaux de transition.
3. Quelques-uns de ces complexes ligands-métaux présentent des propriétés catalytiques telles qu'une série de réactions chimiques se met en place.
4. Ces réactions chimiques lancent un réseau de réactions autocatalytiques plus vaste. Les auteurs mentionnent ce cycle des Krebs inversé qu'ils ont déjà évoqué dans des travaux antérieurs (ce cycle existe aujourd'hui dans toutes les cellules mais, dans le milieu réducteur de l'époque, aurait tourné dans l'autre sens).
5. Les bonnes macromolécules sont là. La suite de l'histoire est induite par les lois de la physique et de la chimie. La vie est devenue inéluctable.

Quelle preuve de ce scénario ? « Aucune, mais il est testable ! » expliquent en substance les auteurs, qui donnent une feuille de route pour explorer leur théorie. Les biochimistes sont donc invités à rejoindre leurs paillasses et leurs éprouvettes. Si l'hypothèse se confirme, elle donnerait les clés de cette chimie prébiotique qui nous est pour l'instant toujours inconnue.