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Histoire - 2ième guerre mondiale: Discours de Gaulle, septembre 1943

Discours de gaulle3 Septembre 1943: Conclusion d'un armistice secret entre Badoglio et le Général Eisenhower.

3 Septembre 1943: Débarquement allié en Italie du Sud.

4 Septembre 1943: Débarquement américain en Nouvelle-Guinée.

13 Septembre 1943: Débarquement français en Corse.

17 Septembre 1943: Une ordonnance du C. F. L. N. institue une Assemblée Consultative Provisoire.

27 Septembre 1943: Les armées russes reprennent Smolensk.

Discours radiodiffusé prononcé à Alger le 3 Septembre 1943

Discours prononcé à Oran le 12 Septembre 1943

Discours radiodiffusé prononcé à Alger le 24 Septembre 1943

3 Septembre 1943

Aujourd'hui, commence, pour la France, la cinquième année de cette guerre. Ce qu'auront été, depuis le 3 septembre 1939, nos efforts, nos souffrances, nos espoirs, ce n'est pas l'instant de le décrire. Un jour, l'Histoire en fera le total. Mais, de même qu'un homme, s'il surmonte certains périls, en sort plus ardent à vivre, ainsi notre pays émergera, croyons-nous, de la présente tourmente, mieux éclairé et plus résolu.

Cependant, la tempête continue à faire rage.

Si tous les baromètres du monde font présager l'éclaircie, il s'en faut que nous soyons tout près du port. Si l'ennemi a dû dire adieu pour toujours aux grandes victoires qu'à force de moteurs et de ferraille il a, d'abord, remportées, il reste en mesure de se défendre durement. S'il n'y a aucune comparaison possible entre ce qu'était le 3 septembre 1939 la puissance du parti de la liberté et ce dont il est aujourd'hui capable, l'Europe et une grande partie des territoires de l'Extrême-Orient demeurent écrasées par la tyrannie.

C'est pourquoi, au premier jour de cette cinquième année de guerre, la France, malgré l'océan des malheurs qui a paru la submerger, a pour premier souci et pour volonté essentielle de développer son effort au-dedans et au-dehors de manière qu'il soit fait en sorte que l'ennemi soit battu, battu complètement, battu au plus tôt, par elle-même comme par les autres.

Cette décision, la France ne sait que trop ce qu'elle doit encore lui coûter. L'Allemand, à mesure qu'approche l'échéance de son désastre, s'acharne davantage sur ceux de nos frères qui n'ont point d'armes pour se défendre. Jamais il n'a tant fusillé, emprisonné, torturé, déporté, de Français. Jamais non plus, il faut le dire, il n'a senti monter autour de lui plus d'inexpiable haine. On verra bien, en dernier ressort, qui, du peuple allemand ou du nôtre, paiera le plus cher la stratégie totale d'Hitler !

La phase suprême qui commence, la France et ses alliés vont l'aborder en ordre serré. Si l'ennemi et les amis de l'ennemi ont cru qu'ils se tireraient d'affaire grâce à la dispersion des Nations unies pour les vaincre, ils vont voir qu'ils se sont trompés. Les hommes qui sont responsables de l'avenir du monde ne commettront pas la folie de laisser l'effort commun se disloquer au moment même où sourit la victoire. La reconnaissance par vingt-six États du Comité Français de la Libération Nationale vient de fournir une preuve éclatante de notre solidarité pour le triomphe et pour la paix.

Mais la France est une grande nation qui ne saurait se borner à considérer l'immédiat, quand bien même il s'appellerait la guerre. Tandis qu'elle aperçoit tout ce qu'il lui reste à faire et à supporter jusqu'au jour où les armes du Droit l'auront finalement emporté, elle regarde en face la tâche immense qui l'attend dès que la voix des canons aura cessé d'ébranler l'Univers. Elle ne s'illusionne même pas sur l'étendue des difficultés qu'il lui faudra vaincre en elle-même pour revivre et pour se refaire à mesure de sa libération. C'est dès aujourd'hui qu'il nous faut entamer cette rénovation nationale, sans quoi notre sang et nos larmes ne serviraient proprement à rien. Nous devons commencer l'ère de notre grandeur nouvelle en marchant et en combattant.

A cet égard, il n'est pas un Français, il n'est pas une Française, où qu'ils soient et quels que puissent être leur position et leur labeur, qui n'aient leur rôle à jouer et leur devoir à remplir. L'avenir de tout notre peuple dépend de ce que saura faire notre peuple tout entier. Pour sortir de l'abîme, la seule devise valable c'est : « Luttons et travaillons».

Le Comité de la Libération Nationale assume la tâche de diriger l'effort de la nation et de l'unir dans l'effort de tous nos vaillants alliés. La nation peut être assurée que le Comité de la Libération Nationale continuera à gouverner dans la guerre sans autre but, sans autre volonté, mais dans le but et dans la volonté de mener le pays et l'Empire vers leur salut. Nos alliés peuvent être certains qu'il le fera sans autre dessein et sans autre souci, mais avec le dessein et avec le souci, de combiner, le mieux possible, tout ce dont le peuple et l'Empire français sont capables avec tout ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes et de remettre la France à sa place, dans l'intérêt du monde entier.

Voici l'heure des combats et des sacrifices suprêmes! Voici donc, en même temps, l'heure de la confiance! La France a confiance en elle-même et en ses amis.

12 Septembre 1943
Le 3 septembre, le Gouvernement italien du Maréchal Badoglio a signé l'Armistice.

Dans l'enthousiasme grandiose que manifeste aujourd'hui la ville d'Oran, il y a, d'abord, la preuve de la résolution ressentie par tous les Français en voyant approcher l'effort suprême de la libération. Il y a, aussi, la satisfaction d'une grande cité qui se découvre elle-même telle qu'elle est, c'est-à-dire unie tout entière dans la fierté nationale. Il y a, enfin, une manifestation publique de la volonté du pays qui entend à la fois redoubler d'efforts pour hâter la défaite de l'ennemi et voir la France prendre part, à son rang, au règlement progressif du conflit et à la reconsti~ution du monde.

Si notre pays est décidé à jouer complètement et malgré ses malheurs son rôle dans le concert des grands peuples unis, comme il le joue dans la lutte avec les moyens qui lui restent, ce n'est pas seulement parce qu'il sait qu'il en est digne et capable, mais c'est aussi parce qu'il a vérifié, au cours d'une dure Histoire, à quel point est essentielle, pour le bien et pour la paix du monde, la solidarité des nations de bonne volonté. Il existe entre elles une sorte d'interdépendance, telle que toutes ont l'obligation de tenir un juste compte de l'intérêt vital et de la dignité des autres. Rien ne semble, d'ailleurs, plus démonstratif de cette fondamentale vérité que ce qui vient de se passer pour l'ensemble des peuples libres. Faute d'avoir su s'opposer, en temps voulu et tous ensemble, à la ruée de l'Allemagne et de l'Italie vers l'oppression et la domination, ils ont vu la guerre épouser peu à peu les dimensions mêmes de la terre.

Cependant, les forces du bien sont dressées contre celles du mal. Tandis que la race des hommes éprouve la honte des abus et des crimes, commis par les nations entraînées par les tyrans, elle ressent la fierté de ce qu'aura su faire le camp de la liberté. Que des millions et des millions d'hommes et de femmes, russes, américains, britanniques, français, et de tant d'autres peuples, combattent, travaillent, souffrent, en même temps, du même cœur, pour la même cause, c'est là un fait magnifique qui est aujourd'hui l'honneur de l'humanité et qui restera, demain, le solide fondement de sa foi et de son espérance.

Aussi la phase des succès a-t-elle pris la suite de la phase des revers : la retraite des armées allemandes vers la vallée du Dniepr, l'effondrement du fascisme italien, la capitulation du Gouvernement qui avait succédé à celui de Mussolini, les rencontres sanglantes entre ceux qui étaient hier alliés pour écraser autrui, marquent des étapes rapides sur la route de notre victoire. Celle-ci n'est certainement point acquise, mais, déjà, et à mesure que progressent partout les forces de la libération, se lèvent en même temps sous leurs pas tous les problèmes de l'avenir. Du même coup, paraissent en pleine lumière les exigences sacrées de la moralité et de la solidarité internationales.

Je dis la moralité. En effet, les masses immenses qui luttent dans le monde pour le triomphe de la justice ont l'esprit ardemment tendu vers ce qui se fait en leur nom et grâce à leur effort. Ces foules, presque muettes en raison des contraintes de la guerre, mais qui ne cessent point de voir et de juger, ont le droit et éprouvent le besoin de constater que leurs combats, leurs travaux, leurs souffrances, aboutissent à ce qu'elles veulent, c'est-à-dire tout simplement à la récompense de ceux qui luttent pour l'idéal commun, au châtiment de ceux qui ont cherché à l'abattre, et à un état de choses tel que les peuples, unis pour vaincre, puissent demeurer ensuite unis pour construire un univers meilleur. C'est pourquoi, il est essentiel que tout ce qui est et sera fait pour le règlement de la guerre porte nettement et hardiment le caractère de l'intransigeance à l'égard des causes qui l'ont déchaînée.

M. de Bismarck, qui redevient, paraît-il, à la mode, à mesure que baisse l'étoile de son élève, M. Hitler, avait coutume de dire: « Pour dîner avec le diable, il faut avoir une longue cuiller.» Il semble bien qu'aujourd'hui où, parmi les peuples tendus dans l'effort, chaque événement prend aussitôt une profonde résonance morale, il faudrait, pour accepter le démon à table, disposer d'une cuiller de dimension vraiment colossale. Nous sommes, je le crois bien, quelques-uns dans le monde à penser qu'au total, après ce qu'a fait Lucifer, il vaut mieux le traiter comme le fit l'archange Saint-Michel! Tels sont, nous en répondons, les sentiments qui animent la nation française.

Ah ! Ces paysans, ces ouvriers, ces bourgeois français, frémissant sous la botte de l'ennemi et la police des collaborateurs, ces mères françaises désespérées de voir dépérir leurs enfants, ces garçons français menés aux travaux forcés pour le compte de l'envahisseur, ces hommes enchaînés et torturés dans les cachots, ces soldats, ces marins, ces aviateurs français qui ont pris, prennent et prendront leur part glorieuse aux grandes batailles, ces combattants de la Résistance française qui, malgré les fusillades, la prison, les persécutions, ne cessent pas de nuire à l'Allemand sur notre sol comme sur le sien, en attendant qu'ils contribuent à l'écraser, tous ceux-là et toutes celles-là n'ont point d'autre pensée, d'autre espérance, d'autre certitude, que de voir l'idéal auquel ils offrent leur martyre l'emporter sans contrefaçons. Le véritable réalisme c'est de ne point les décevoir.

Certes, la France, si elle croit que sa voix doit être écoutée, ne sait que trop qu'en la .cinquième année de la guerre elle n'est pas, hélas! en mesure d'aligner beaucoup de ces divisions, de ces navires, de ces escadrilles, par quoi l'on décompte sommairement la contribution militaire des États aux grandes batailles communes. Mais la France sait que la guerre est un tout, dont la fin est liée avec ce qui eut lieu dans son commencement. Elle se souvient que, pendant presque toute une année, ce sont ses forces, à peu près seules, qui firent face à Hitler.

La France sait que chaque effort et chaque sacrifice, fussent-ils muets et obscurs, pèsent dans la balance du destin. La France sait qu'à l'heure qu'il est 135 000 Français sont morts sur les champs de bataille, que 55 000 ont été tués aux poteaux d'exécution, que plus de 100000 ont succombé dans les camps et les prisons de l'ennemi ou de ses complices, que deux millions sont prisonniers de guerre ou déportés, que près d'un million de nos petits enfants ont péri faute de nourriture suffisante, que le peuple français tout entier vit sous un régime effroyable de famine, de délation et d'oppression.

Voilà la contribution de sang, de larmes et de misères que notre pays sait avoir déjà fournie dans cette guerre à la cause des nations libres, après avoir au long des siècles, notamment il y a vingt-cinq ans, tant lutté et tant souffert pour le même idéal qu'aujourd'hui.

Il est vrai que l'esprit d'abandon d'une fraction de ce qu'il était convenu d'appeler nos élites et la trahison que quelques misérables d'envergure commirent à la faveur du désastre militaire, ont en partie saboté l'effort national dans la guerre. Le peuple français, qui est juge, et j'ajoute seul juge, en la matière, se fera rendre à ce sujet tous les comptes qui lui sont dus.

Mais, pour combien ont pesé, dans cette défaillance d'un moment, les pertes incomparables que nous avait coûtées notre effort prépondérant d'un bout à l'autre de la dernière guerre? Nous avons chancelé, oui, c'est vrai, mais n'est-ce pas d'abord à cause de tout le sang que nous venions de répandre, vingt-deux ans auparavant, pour la défense des autres autant que pour notre défense?

Cette fois encore, que serait-il advenu du monde si, malgré tout, la nation française n'était pas demeurée fidèle à la liberté? C'est pourquoi, la France, connaissant ce qu'elle doit à ses amis et ce que ses amis lui doivent, est résolue, non seulement à retrouver sa grandeur parce qu'elle sent qu'elle en aura la force, mais encore à la retrouver dans un monde qui réponde à la fois à la justice et au bon sens. La France prétend, dans l'intérêt de tous, à la place qui lui revient dans le règlement du drame dont la liquidation commence.

Le Comité de la Libération Nationale, en même temps qu'il gouverne pour conduire le peuple et l'Empire français dans le combat vers la victoire, a conscience de son devoir sacré de faire entendre au-dehors la voix claire de notre pays. En cela il est unanime, comme l'est la nation elle-même, car les Français sont d'accord dès lors qu'ils ne veulent écouter que l'appel de la patrie.


24 Septembre 1943
Le 10 septembre, les troupes françaises ont débarqué en Corse. Les forces de la Résistance avaient engagé le combat contre les troupes allemandes en un grand nombre de points de l'île.

Après trois ans et trois mois d'odieuse oppression et d'épreuves indicibles, la Corse, la Corse française, la Corse si aimée et si admirée, paraît à son tour au soleil de la libération.

La France entière en a tressailli, d'abord parce qu'en Corse l'ennemi recule, en abandonnant, sur le terrain conquis par nous, des cadavres, des prisonniers, des armes, ensuite parce qu'à mesure que fuit l'envahisseur, reparaît de ville en ville et de village en village, le peuple français tel qu'il est, c'est-à-dire courageux, rassemblé, résolu à la liberté.

Mais aussi, la France se félicite d'être en mesure d'apporter une contribution utile à l'effort commun des Alliés. Les combats qui se livrent en Corse ne sont qu'un épisode de la grande bataille de Méditerranée, engagée par l'Axe le 10 juin 1940 et à laquelle nous n'avons pas cessé, ne cessons pas et ne cesserons pas de prendre une part active par les moyens en notre pouvoir. En l'occurrence, les combats de Saint-Florent, de Sartène, de Levie, de Solenzara, des cols de Sorba et d'Inzecca et de tant d'autres points de l'île, pour modestes qu'ils soient dans leurs proportions, sont conjugués avec la bataille que nos alliés américains et britanniques livrent glorieusement aux Allemands dans la péninsule italienne et à laquelle une importante armée française se tient prête à participer, tandis que nos alliés russes écrasent méthodiquement la masse principale des forces germaniques. Ainsi est prouvée, une fois de plus, par notre sang, la solidarité complète qui nous lie, malgré nos malheurs provisoires, aux Nations Unies, dans une seule guerre, pour une seule victoire.

Enfin, la France se réjouit de voir en Corse la volonté nationale balayer immédiatement, sans délai et sans rémission, sur les talons même de l'ennemi, le régime détesté et méprisé de Vichy, comme elle le fera demain sur chaque arpent de nos terres. Il appartient, maintenant, à l'autorité de l'Etat, qu'exerce dans sa plénitude le Comité de la Libération Nationale, et à elle seule, de procéder aux substitutions et, quand il y a lieu, aux châtiments. En Corse, aujourd'hui, c'est dans l'enthousiasme et dans l'ordre que la liberté française reprend ses droits trop longtemps outragés.

Le pays et l'Empire saluent les combattants français de Corse, à qui le Commandant en Chef de l'armée française vient d'aller, sur le terrain même, donner les instructions nécessaires pour les engagements de demain.

A ces combattants et à leurs chefs, à ceux qui se sont levés du sol corse pour se libérer eux mêmes dès que s'en offrit l'occasion et à ceux que l'armée, la marine, l'aviation françaises renaissantes y ont hardiment envoyés, le Comité de la Libération Nationale adresse le témoignage ardent de l'amour et de la fierté de la France.