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Religion juive, judaïsme biblique et sionisme

Le sionisme est-il l’expression d’un projet politique inscrit dès l’origine dans l’écriture et la constitution du canon biblique juif, ainsi que dans l’essence même du judaïsme originel ? (sauf référence indiquée, la source d’information d’appoint consultée est Wikipedia)

Tradition juive et État d’Israel

Le courant sioniste le plus actif semble toujours avoir été laïc, et le sionisme religieux apparaît avoir été un allié d’appoint, de circonstance et de compromission, dans la défense des intérêts communautaires. Dans nombre de documentaires et de témoignages, des rabbins révèlent que les sionistes militants en dehors d’Israël seraient la plupart du temps des laïcs peu enclins à la piété religieuse traditionnelle juive. Deux figures s’opposeraient donc : le sioniste engagé, guère croyant, mais vivement communautaire, nationaliste, militant anti-antisémite (antifa) ; et de l’autre côté, le juif pratiquant, traditionaliste, avec son costume haredi (habits noirs, chapeau et guirlandes caractéristiques), qui vit dans des quartiers juifs à l’écart du reste du monde, et ne milite pas.

Il existe une très importante tendance rabbinique antisioniste. Les haredim se définissent comme un courant traditionaliste orthodoxe juif rétif au sionisme, tout comme à toute forme de modernité et de laïcité. Le mouvement haredi se fonde sur la Bible et sur le Talmud de Babylone : la première affirmerait (notamment à travers les livres prophétiques) que le peuple élu serait châtié pour ses péchés et ses infidélités (ce qui explique et légitime la diaspora – historique - et la perte – théologique – des droits de possession, par le peuple hébreu, de la Terre Promise) ; le deuxième, commentant le Cantique des Cantiques, indiquerait que le peuple juif ne devait pas tenter de restaurer Israël avant la venue du Messie. Toute tentative humaine précédant cet événement central de l’eschatologie hébraïque serait assimilable à un péché. La Shoah est alors interprétée par certains haredim (regroupés notamment en un mouvement appelé Edah Haredit) comme un nouveau châtiment divin sanctionnant les tentatives sionistes du début du XXe siècle.

À la pointe de ce combat antisioniste, se trouvent les Neturei Karta (« gardiens de la cité »), qui prônent jusqu’aujourd’hui le démantèlement de l’État d’Israël. Il est tout de même notable que ces juifs, « ultra-orthodoxes », les plus fondamentalistes donc, soient antisionistes. Si la religion juive amenait à défendre le sionisme, on s’attendrait en effet, bien naïvement certes, à voir les juifs les plus (ultra) religieux défendre le plus le sionisme : or c’est l’inverse que l’on constate. Bien qu’ils ne soient pratiquement pas médiatisés en Occident, les Neturei Karta s’illustrent par des opinions et des actions ouvertement propalestiniennes. Il y aurait en outre beaucoup d’antisionisme à trouver dans le reste de l’histoire des divers mouvements religieux ou communautaires juifs (le hassidisme a notamment été le théâtre de tensions voire de scissions importantes autour de la question sioniste).

Il existe enfin des branches non talmudiques du judaïsme, comme les karaïtes, très minoritaires certes (présents en Europe de l’Est, notamment en Crimée). Les karaïtes forment des communautés distinctes des communautés juives. Ils auraient constitué près de 40% de la population juive mondiale vers le Xe siècle ; mais aujourd’hui ils ne sont plus que 30 000, dont 20 000 à 25 000 en Israël. Les karaïtes de Crimée ont obtenu un statut particulier au XIXe siècle sous le tsarisme : il sont parvenus à se définir comme une communauté enracinée dans leur territoire, non rabbinique, non juive (!), et non sioniste. Le gouvernement nazi épargnait les karaïtes, qui se disaient d’ascendance turque.

Or il existe bien, et surtout, un sionisme juif très puissant au cœur des réseaux mondialistes, alors comment expliquer l’impuissance d’un courant antisioniste juif sur le reste de sa communauté ? Eh bien c’est très simple : le sionisme est une dynamique communautaire active, hyperactive, tentaculaire, qui a pris les rênes de l’ensemble des intérêts, qui est devenu le porte-parole auto-proclamé, du peuple en question. Le sionisme a opéré un véritable putsch dans le monde juif et dans les sphères judaïques. Les anti-sionistes ne sont pas entendus tout simplement parce que ce sont les sionistes qui ont fait main basse sur les réseaux politiques et médiatiques, tandis que l’anti-sionisme juif n’est pas une entreprise politique – il est par nature rétif au politique, et consiste le plus souvent en un mouvement de repli communautaire local, végétatif, théologique, à tendance piétiste. Il est donc normal que l’anti-sionisme juif n’ait aucune influence politique, n’étant pas politique, n’étant pas exotérique. Il est normal que l’anti-sionisme juif ne soit pas entendu, n’ayant pas vocation à faire du prosélytisme, donc pas vocation à s’adresser au monde extérieur, et ne lui parlant pour ainsi dire pas. Les anti-sionistes juifs vivent dans des communautés traditionalistes cherchant à se perpétuer là où elles sont dans la diaspora, en faisant le moins de remous possible autour d’elle, en se gardant des dérives du monde moderne (dont le sionisme) derrière la tradition juive dont elles sont les gardiennes.

Bible, peuple juif et sionisme

Le texte biblique juif est-il intrinsèquement sioniste ? Vaste et épineuse question, tout d’abord parce que la Bible brille davantage par son intérêt religieux, théologique, métaphysique, moral et eschatologique, que par les projets politiques que l’on pourrait (ou voudrait ?) y trouver. Ensuite, voir de la politique (au sens moderne) dans une confuse bibliothèque dont la rédaction a débuté il y a plus de 2000 ans relève d’un coup de force, d’une torsion interprétative du texte biblique.

Mais posons les évidences : tout d’abord, la tradition chrétienne reconnait la Bible juive. C’est à dire que si l’on reprend une lecture sérieuse et théologique de la Bible, il faut nécessairement reconnaitre à la Bible juive une légitimité traditionnelle : il y a une continuité entre le judaïsme biblique et le christianisme. Le christianisme honnête et viable, inscrit dans cette tradition, ne peut pas laisser entendre que la Bible hébraïque soit essentiellement un projet sioniste. Par ailleurs on pourrait discuter d’un point de vue théologique du projet, justement, du texte hébreu. Si le sionisme est l’aboutissement naturel du Tanakh (Bible juive), le christianisme ne l’est donc pas... Il faudrait donc constituer un christianisme sans base juive, ce qui est sans doute encore plus périlleux que de soutenir un christianisme à base judaïque...

Le texte biblique de la Torah est constitué d’étapes essentielles qui structurent l’ensemble d’un canon biblique (très) pluriel. L’alliance entre Abraham et Dieu est censée représenter le point initial du destin du peuple élu et de tous les fidèles de Dieu. Abraham, vivant dans la ville chaldéenne de Ur, est invité par Dieu à partir pour rejoindre une Terre Promise : la Palestine. Le récit biblique qui part de ce voyage « sioniste » (vers 1800 avant JC) jusqu’à la reconstruction du Temple de Jérusalem (Ve siècle avant JC), et couvrant plus d’un millénaire d’« histoire sainte juive », traduite dans des textes très variés, depuis le récit de tradition mosaïque (Pentateuque), jusqu’aux prophéties illuminées des prophètes comme Isaie, Daniel et Ézéchiel, en passant par les Psaumes poétiques et les Chroniques royales ; ce récit biblique donc se caractérise par sa grande confusion et ses péripéties étonnantes : si un seul mot pouvait résumer le destin biblique du peuple juif, ce serait « vicissitude », en entendant bien, faisant fi de l’exactitude étymologique, « vice » dans ce terme... En effet, ce destin semble paradoxalement à la fois sous le signe de la Promesse divine envers un peuple privilégié et élu, placé au dessus de tous les autres peuples humains, et sous le signe des infidélités et du « cou raide » des Hébreux, cette incapacité génétique du peuple juif à se soumettre aux ordres de Dieu, à tenir aux termes du contrat théologique engagé avec Lui. On est donc assez loin d’une habile et cohérente forgerie prosioniste, ou d’une Légende Dorée qui fonderait l’utopie Israélite sur une gloire patriotique, aussi limpide que factice, d’un peuple pieux entretenant une relation harmonieuse et exemplaire avec sa Divinité. La lecture du canon biblique juif, pour un lecteur occidental du XXIe siècle, laisse une impression bizarre à l’égard de ce peuple. On a rarement vu une histoire sainte raconter autant les mésaventures et les erreurs d’une nation persécutée par son propre Dieu. La vraie religion y paraît toujours devoir se battre contre les tendances idolâtres et égoïstes, majoritaires, d’un peuple qui ne semble pas fondamentalement différent des autres peuples du Proche-Orient antique, comme en témoignent les succès du Veau d’Or, de la prostitution sacrée, ou des Baals juifs. La lignée des rois hébreux se caractérise par une alternance presque exacte père pieux – fils impie, avec une nette prédominance des périodes impies. Le légendaire Salomon (Shelomo), un des auteurs mythiques des sages Proverbes, et représentant légendaire d’un Âge d’Or d’Israël, est un obsédé sexuel tombé dans l’idolâtrie : son premier acte de roi est de se marier avec la fille du Pharaon égyptien, pays archétypique du paganisme dans la Bible (et le Coran)... La Divinité provoque elle-même la destruction (en -587 selon les historiens) de son propre temple et de sa ville sainte, Jérusalem, qui devra donc être reconstruite dans les difficultés (en -516). Enfin, les prophètes qu’elle envoie fustigent sans cesse l’impiété, l’égoïsme et la veulerie d’un peuple qui finalement fait tout pour être comme les autres (goyim), et si peu pour tenir ses engagements spécifiques envers le pacte conclu avec son Dieu lors de sa libération d’Égypte ; un peuple qui préférerait sans doute ne pas avoir à s’illustrer par son honneur, sa grandeur, sa fidélité, sa piété et sa constance.

Tel est le portrait qui se dégage de l’ensemble du canon juif. Nous considérons certes ici la Bible juive dans son ensemble canonique : mais si le sionisme est une entreprise cohérente inscrite dans cette tradition religieuse, il faudrait également, en toute logique, la débusquer dans une construction globale de cet ensemble.

Enfin, on peut ajouter encore que les livres juifs considérés comme les plus profonds du canon biblique sont les Proverbes, l’Ecclésiaste et Job. Or ces livres ne concernent pas le destin du peuple juif : il expriment une réflexion morale sous la forme de sentences qui figent la sagesse dans des formules frappantes à valeur humaniste, dans le sens où c’est la nature humaine, sans distinction nationale ou même religieuse, qui est dépeinte comme le siège d’une sagesse qui demande les efforts, la dignité et l’humilité de chacun. Tout lecteur, quelle que soit son origine, est invité à trouver une sagesse à valeur générale et sans rapport avec un peuple, une Terre, une religion précise, un rite ni un culte. La relation à la divinité y est conçue comme certes familiale et familière, mais non comme tribale ou politique.

Venons-en maintenant aux passages invoqués pour attribuer au canon juif une intention politique fondamentalement sioniste.

Le Deutéronome

Ce dernier livre du Pentateuque réaffirme l’alliance entre le Dieu d’Israël et son peuple. Le pays promis est régulièrement appelé « la terre que Yahvé ton Dieu te donne » (Bible de Jérusalem pour toutes les citations), notamment aux chapitres 27-30. Le chapitre 28 est assez clair et frappant sur les conditions qui président à la préférence de Dieu pour ce peuple, donc à son statut de peuple élu : y est présentée une liste de bénédictions (v. 2-14 : 13 versets), puis de malédictions (v. 15-68 : 53 versets !!), qui correspondent respectivement au respect et au non-respect de la Loi (Torah) par le peuple.

28, 1 : « si tu obéis vraiment à la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd’hui, Yahvé ton Dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations de la terre »

Exemples de bénédiction : 28, 9-10 : « Yahvé fera de toi le peuple qui lui est consacré, ainsi qu’il te l’a juré, si tu gardes les commandements de Yahvé ton Dieu et si tu marches dans ses voies. Tous les peuples de la terre verront que tu portes le nom de Yahvé et ils te craindront. » 28, 13 « Yahvé te mettra à la tête et non à la queue, tu ne seras jamais qu’au-dessus et non point au-dessous, si tu écoutes les commandements de Yahvé ton Dieu, que je te prescris aujourd’hui, pour les garder et les mettre en pratique »

On remarque l’insistance répétée sur les condition de ces bénédictions, montrant que ce n’est pas par nature ou par essence que Dieu adopte, approuve et bénit ce peuple particulier, mais par une alliance, un contrat, conditionné par le respect total et permanent d’une Loi. Dieu s’érige en Juge souverain et absolu de ce respect, massivement prêt à faire tomber les punitions si nécessaire : c’est une théodicée (tribunal divin, droit théologique) de la rétribution en fonction des actions.

Exemples de malédictions, cités pour leur violence et leur implication théologique et eschatologique : 28, 26 Ton cadavre sera la pâture de tous les oiseaux du ciel et de toutes les bêtes de la terre, sans que personne leur fasse peur. 28, 53 Tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que t’aura donnés Yahvé ton Dieu, pendant ce siège et dans cette détresse où ton ennemi te réduira. 28, 62-63 Parce que tu n’auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu, autant Yahvé avait pris plaisir à vous rendre heureux et à vous multiplier, autant il prendra plaisir à vous perdre et à vous détruire. Vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer pour en prendre possession.

Le texte biblique est donc clair, parfaitement clair, massivement clair : davantage de malédictions, s’il bafoue la loi, que de bénédictions, s’il la respecte totalement, attendent le peuple élu. La diaspora est clairement prophétisée (en châtiment donc) au verset 63, nul besoin d’être théologien pour le remarquer (interprétation soutenue par de nombreuses écoles rabbiniques et talmudiques). Le Dieu en question est prêt à faire plus de mal à ce peuple, en vertu même de cette Alliance, qu’il ne veut lui faire du bien. Il y a déséquilibre : car Dieu ne bénit ni ne maudit, dans la Bible aucune nation en particulier (hormis l’Égypte et quelques autres nations dans les livres prophétiques). Il arrive à Dieu de demander à son peuple de vouer à la destruction des nations qui occupent la terre promise : il s’agit d’accomplir l’Alliance en question. Mais Dieu lui-même n’adresse à aucune nation de malédictions semblables à celles du chapitre 28 du Deutéronome : le peuple élu est le seul qu’il annonce être prêt à pourchasser avec une telle haine vengeresse.

Au chapitre 29, les malédictions reviennent :

23 Et toutes les nations s’écrieront - " Pourquoi Yahvé a-t-il ainsi traité ce pays ? Pourquoi l’ardeur de cette grande colère ? " 24 Et l’on dira - " Parce qu’ils ont abandonné l’alliance de Yahvé, Dieu de leurs pères, qu’il avait conclue avec eux en les faisant sortir du pays d’Égypte ; 25 parce qu’ils sont allés servir d’autres dieux et les ont adorés, dieux qu’ils n’avaient pas connus ni reçus de lui en partage, 26 la colère de Yahvé s’est enflammée contre ce pays, faisant venir sur lui toute la malédiction inscrite dans ce livre. 27 Yahvé les a arrachés de leur terre avec colère, fureur et grande indignation, et les a jetés en un autre pays, comme aujourd’hui. "

Enfin, le chapitre 30 prévoit un retour en terre promise, et beaucoup d’ambiguïtés théologiques peuvent apparaître.

30, 2-3 « si tu reviens à Yahvé ton Dieu, si tu écoutes sa voix en tout ce que je t’ordonne aujourd’hui, de tout ton cœur et de toute ton âme, toi et tes fils, Yahvé ton Dieu ramènera tes captifs, il aura pitié de toi, il te rassemblera à nouveau du milieu de tous les peuples où Yahvé ton Dieu t’a dispersé. » L’interprétation théologique est claire : c’est Dieu qui (conditions d’obéissance et de respect de la Loi à nouveau remplies) rappellera et rassemblera alors le peuple, depuis la diaspora, pour le ramener en Terre Promise. On y voit sans doute l’intervention du Messie.

30,17 « Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes point et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, 18 je vous déclare aujourd’hui que vous périrez certainement et que vous ne vivrez pas de longs jours sur la terre où vous pénétrez pour en prendre possession en passant le Jourdain. 19 Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre - je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez (...) »

L’une des ambiguïtés importantes du passage concerne l’exécution effective du châtiment : comment rétablir et re-bénir un peuple qui aura subi les malédictions de 28 : 15-68 ? Que resterait-il d’un tel peuple ? On peut penser que la radicalité virulente des malédictions a une vertu comminatoire qui doive pousser au respect intériorisé, à la vertu et la constance morale, et qu’il faudrait s’en remettre totalement à la foi, à l’espérance, pour bénéficier éventuellement de l’indulgence et de la bienveillance de Dieu.

Le livre d’Ézéchiel

C’est un livre typiquement prophétique qui met en scène un Dieu très décidé à accomplir ses desseins, notamment concernant son peuple. Le problème surgit évidemment quand le lecteur s’exclut de ce même peuple : s’il n’en fait pas partie, il est amené à se poser en ennemi de Yahweh et de son peuple élu ; il se place alors dans le camp des nations païennes objet des malédictions divines. Le croyant, en revanche, juif ou non, s’inclura dans le dessein victorieux du Dieu ici révélé.

Le protagoniste est donc un prophète en contact avec une révélation divine. Mais le peuple trahit son Dieu par l’idolâtrie. Dans une Jérusalem hérétique et paganisée, on voit un homme muni d’un encrier de secrétaire passer au milieu de la ville et faire une marque sur le front des hommes « qui soupirent et qui gémissent ». Six autres hommes doivent ensuite entrer dans la ville et tuer sans distinction vieillard, jeune homme, vierge, petit enfant et femmes, quiconque n’a pas la marque. C’est un exemple fameux de meurtre collectif théocratique, semblable à un pogrom ou une expédition religieusement punitive. Il faut épurer le peuple et conserver les fidèles et les innocents (dans un tel contexte on imagine mal un innocent ne pas « gémir et soupirer », ce qui lui sauvera la vie sans doute). Là encore, Dieu perpétue l’Alliance promise, mais en s’assurant que son peuple... reste le sien. Il se voit obligé d’en tailler de larges branches pour lui faire respecter sa volonté. L’épisode est donc très typique de l’Ancien Testament, où le peuple élu subit régulièrement, comme une forêt soignée par un sylviculteur plutôt exigeant, de franches coupes claires (et ce dès le mont Sinaï à la sortie d’Égypte, dans l’Exode).

Après ce châtiment qui remet les choses en ordre, le Dieu hébreu prévient les nations alentour qu’elles auront leur part de châtiment, à leur tour. Selon wikipedia, le livre prophétique se structure ainsi : « Les chapitres 1 à 3 parlent d’une vision de Dieu et de l’appel d’Ézéchiel à l’œuvre ; les chapitres 4 à 24 parlent des jugements reposant sur Jérusalem et de la raison pour laquelle ils étaient donnés ; les chapitres 25 à 32 proclament les jugements sur les nations, et les chapitres 33 à 48 contiennent les visions de l’Israël des derniers jours ».

Chapitre 5 (Bible de Jérusalem)

5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé - C’est Jérusalem que j’ai placée au milieu des nations, environnée de pays étrangers. 6 Elle s’est rebellée avec perversité contre mes coutumes plus que les nations, et contre mes lois plus que les pays qui l’entourent. Car ils rejettent mes coutumes, et mes lois, ils ne les pratiquent pas. 7 C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé - Parce que votre tumulte est pire que celui des nations qui vous entourent, parce que vous ne pratiquez pas mes lois et que vous n’observez pas mes coutumes, et que vous n’observez pas non plus les coutumes des nations qui vous entourent, 8 eh bien ! ainsi parle le Seigneur Yahvé - Moi aussi je me déclare contre toi et, aux yeux des nations, j’exécuterai mes jugements au milieu de toi. 9 J’agirai chez toi comme jamais je n’ai agi et comme je n’agirai plus jamais, à cause de toutes tes abominations. 10 C’est pourquoi des pères dévoreront leurs enfants, au milieu de toi, et des enfants dévoreront leurs pères. Je ferai justice de toi et je disperserai à tous les vents tout ce qui reste de toi. 11 C’est pourquoi, par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, aussi vrai que tu as souillé mon sanctuaire par toutes tes horreurs et toutes tes abominations, moi aussi je rejetterai sans un regard de pitié, moi non plus je n’épargnerai pas. 12 Un tiers de tes habitants mourra de la peste et périra par la famine au milieu de toi, un tiers tombera par l’épée autour de toi, et j’en disperserai un tiers à tous les vents, en tirant l’épée derrière eux. 13 Ma colère sera satisfaite, j’assouvirai sur eux ma fureur et je me vengerai ; alors ils sauront que moi, Yahvé, j’ai parlé dans ma jalousie, quand je satisferai ma colère sur eux. 14 Je ferai de toi une ruine, un objet de raillerie parmi les nations qui t’entourent, aux yeux de tous les passants. 15 Tu seras un objet de raillerie et d’outrages, un exemple, un objet de stupeur pour les nations qui t’entourent, lorsque de toi je ferai justice avec colère et fureur, avec des châtiments furieux. Moi, Yahvé, j’ai dit.

La Bible annotée , au sujet des v. 6-8, fait cette remarque intéressante : « Les autres peuples ne connaissaient ni le vrai Dieu, ni sa loi ; ils n’étaient donc pas, quand ils faisaient le mal, en révolte ouverte contre lui, comme Israël. Bien plus : ils n’en usaient pas même avec leurs faux dieux, comme Israël le faisait avec l’Éternel. Ils les adoraient fidèlement, tandis qu’Israël n’a cessé d’abandonner le sien pour ceux des étrangers. »

Et d’ailleurs, elle précise également, au sujet des v. 9 et suivants : Il ne faut pas perdre de vue que, quand Israël a péri sous les coups de la puissance romaine , il avait cessé d’être le peuple de Dieu. Ce peuple, c’était désormais l’Église du Christ dans laquelle le reste fidèle d’Israël avait passé tout entier.

CONCLUSION

Il n’est donc guère besoin de forcer le texte biblique juif pour y voir une violente critique non seulement du comportement historique général de ce peuple, mais même de son incapacité intrinsèque (quasi congénitale) à la piété religieuse, au respect de sa propre divinité. Les prophètes et les écrivains du canon juif, assez divers, semblent converger sur ce point : le vrai Dieu qu’ils promeuvent ne se laisse guère manipuler ou attendrir si son alliance n’est pas observée avec fidélité, et l’homme a bien du mal, à échelle nationale, à tenir ses engagements religieux et moraux. Le Dieu invoqué est ambivalent : à la fois divinité de la promesse, il est aussi un dieu « jaloux », terme qui fait couler tant d’encre, mais qui ne signifie qu’une capacité profonde à refuser les compromis : puisqu’il est le Dieu absolu, il faut avoir en lui une fidélité absolue. A l’inverse, une infidélité induirait une punition elle aussi absolue.

On voit donc combien le sionisme serait difficilement soutenu par le texte du canon biblique juif. Les diverses tendances qui en émanent : rigorisme moral, prophétisme, messianisme, etc., concourent toutes à dépasser en réalité l’échelle de la tribu pour projeter le rapport de l’homme à la divinité dans une nouvelle dimension qui libérerait cette religion de ses échecs cuisants (on rappelle que la libération d’Égypte, qui symbolise l’unification du peuple juif dans la religion juive, et donc le point de départ de la relation privilégiée du Dieu avec ce peuple, est marquée par le culte idolâtrique du Veau d’or dans l’Exode). Le judaïsme biblique est une religion eschatologique, qui ne se contente d’ailleurs pas d’imposer une loi (Torah, code civil et religieux juif) : tout est tendu vers une fin (morale, théologique, cosmique) qui dépasse radicalement les perspectives de départ. Ainsi, il devient évident que la seule perspective sioniste (l’installation par Dieu d’un peuple élu sur une Terre Promise) reste extrêmement étriquée et contraire à une lecture conséquente de l’ensemble du canon juif. Le sionisme remet en cause le messianisme, puisqu’il accomplit le rétablissement national du peuple en Terre Promise sans l’intervention de Dieu ni de son Messie. Il se distancie également de la théologie sérieuse, et dispense les juifs de corriger leurs erreurs morales puisque les sionistes se jugent de droit possesseurs d’une Terre que le texte biblique et l’Histoire leur ont ôtée. Théologiquement, on peut donc conclure que le sionisme est une religion inverse du judaïsme biblique.

Enfin, on ouvrira brièvement les perspectives en posant la question, qu’ont d’ailleurs posée tant de juifs pieux d’Israël, que si le destin du peuple juif était de retourner en Terre Promise, pourquoi tous les juifs du monde n’y sont-ils pas revenus ? Continuer de vivre ailleurs signifie contredire leur propre sionisme. En plus d’être théologiquement intenable, le sionisme des juifs mondialistes est donc incohérent et contradictoire avec lui-même. Car il faudrait en toute bonne logique refuser la qualité de juif à tout juif qui n’est pas retourné à Sion, si Sion était le destin du peuple juif. À moins d’accepter la duplicité, duplicité qui déplait tant au Dieu vengeur de l’Ancien Testament...