Après plus de deux millénaires de scolastique, il est difficile de se faire une idée juste de l’enseignement originel de Confucius. Il est pourtant possible de comprendre les enjeux et la teneur de sa pensée en lisant les Entretiens, livre dans lequel on voit le Maître vivre et discuter des problèmes de son temps avec ses disciples.
Bien qu’il n’ait jamais développé sa pensée de façon théorique, on peut dessiner à grands traits ce qu’étaient ses principales préoccupations et les solutions qu’il préconisait. Partant du constat qu’il n’est pas possible de vivre avec les oiseaux et les bêtes sauvages, et qu’il faut donc vivre en bonne société avec ses semblables, Confucius tisse un réseau de valeurs dont le but est l’harmonie des relations humaines. En son temps, la Chine était divisée en royaumes indépendants et belliqueux, les luttes pour l’hégémonie rendaient la situation instable et l’ancienne dynastie des Zhou avait perdu le rôle unificateur et pacificateur que lui conférait le mandat du Ciel. Confucius voulait donc restaurer ce mandat du Ciel qui conférait le pouvoir et l’efficacité à l’empereur vertueux. Cependant, bien qu’il affirme ne rien inventer et se contenter de transmettre la sagesse ancienne, Confucius a interprété les anciennes institutions selon ses aspirations, il a semé les graines de ce que certains auteurs appellent l'« humanisme chinois ».
Mettant l’homme au centre de ses préoccupations et refusant de parler des esprits ou de la mort, Confucius n’a pas fondé de religion au sens occidental du terme, même si un culte lui a été dédié par la suite. Cherchant à fonder une morale positive, structurée par les « rites » et vivifiée par la « sincérité », mettant l’accent sur l’étude et la rectitude, Confucius représente pour les Chinois d’avant la Révolution l’éducateur par excellence, mais la lecture attentive des Entretiens montre qu’il n’a pas voulu s’ériger en maître à penser, et qu’au contraire il voulait développer chez ses disciples l’esprit critique et la réflexion personnelle : « Je lève un coin du voile, si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui. »
Un apport très important, et révolutionnaire en quelque sorte, de Confucius, est à chercher dans la notion de « Junzi » (« gentilhomme ») qui, avant lui, dénotait une noblesse de sang et dont il a modifié le sens pour le transformer en noblesse du cœur, un peu comme le mot anglais gentleman. Son enseignement, bien que principalement orienté vers la formation de futurs hommes de pouvoir, était ouvert à tous, pas seulement aux fils de princes. On peut faire remonter à cette impulsion de départ la longue tradition des examens impériaux, chargés de pourvoir l’État en hommes intègres et cultivés, que le plus humble paysan pouvait (en théorie) tenter. Bien que cette institution « méritocratique » ait subi différents avatars et distorsions, elle a certainement joué un rôle prépondérant dans la pérennité de la culture chinoise et dans la relative stabilité de l’Empire Céleste pendant deux millénaires.
Selon Confucius, la soumission au père et au prince va de soi et garantit la cohésion des familles et du pays, mais elle s’accompagne d’un devoir de (respectueuses) remontrances si le père ou le prince vont dans la mauvaise direction. De très nombreux lettrés chinois, se réclamant à juste titre de l’enseignement de leur Maître, ont péri ou été bannis, pour avoir osé critiquer l’empereur quand celui-ci, sous l’emprise d’une clique du harem ou de prêtres taoïstes, ne prenait plus soin de son peuple et laissait le pays sombrer dans la famine ou la guerre civile.