La Commission «Mourir dans la dignité» relance le débat sur la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Pour un dialogue fécond entre citoyens, il faut s'entendre au préalable sur le sens des mots. Je reprends quelques notions déjà publiées dans ces pages.
Étymologiquement, le mot euthanasie désigne une bonne mort, une mort douce, sans souffrance. Le terme est général et englobant. Au fil des ans, compte tenu de l'évolution de la médecine, on lui a donné un sens plus précis qui le distingue des soins de fin de vie. Il désigne «la mort donnée à autrui pour hâter la fin des souffrances». Ce concept implique deux éléments: causer la mort, par compassion. L'acte peut être fait à la demande du malade ou à son insu, par des moyens de fortune (ex. l'étouffer avec un oreiller, l'asphyxier dans une automobile) ou médicaux, quoiqu'on réserve généralement le terme à ces derniers moyens.
Le suicide assisté se distingue de l'euthanasie par le fait que l'acte de causer la mort est fait par le malade lui-même, l'intervenant ne faisant que lui procurer les moyens immédiats (ex. mettre un médicament mortel à sa portée).
Les deux notions précédentes se distinguent de l'abstention et l'arrêt de traitement, qui désignent le fait de ne pas entreprendre ou d'arrêter certains traitements curatifs (y compris la réanimation). Généralement, ces gestes proviennent de motifs humanitaires: les traitements curatifs sont devenus inutiles, ils ne font que prolonger l'agonie et les souffrances du malade. Bref, on laisse mourir - on ne cause pas directement la mort, même si parfois celle-ci arrive - on laisse mourir parce que l'effort curatif est devenu disproportionné en regard des résultats escomptés.
Dans la même perspective, les soins palliatifs désignent tous les soins d'ordre infirmier, affectif, psychologique, médical que l'on procure, non pas pour guérir le malade, mais pour diminuer ses souffrances, améliorer son confort et sa qualité de vie. Quand le curatif est devenu inutile, il reste tout le champ du palliatif à mettre en oeuvre. On ne vise plus à guérir ou prolonger la vie, mais on continue à prendre soin de la personne.
Sur les plans moral ou éthique, professionnel et juridique, on accepte généralement l'abstention et l'arrêt de traitement, ainsi que le fait de se limiter aux soins palliatifs. La situation est bien différente pour l'euthanasie et le suicide assisté.
La moralité de l'euthanasie relève de la philosophie ou de la religion de chacun. Mais on peut très bien juger que l'euthanasie est immorale sans vouloir qu'elle soit criminalisée; comme on peut penser que l'euthanasie est morale, mais qu'elle ne doit pas être légalisée. Le plan moral ne s'identifie pas au plan légal, même s'il ne peut être complètement évacué.
Sur le plan légal, en effet, diverses considérations doivent intervenir: la dimension éthique bien sûr (respect de la vie; liberté de la personne), mais aussi les conséquences sociales. Ainsi l'éthique doit être prise en compte, moins pour privilégier une conception particulière, que pour tenir compte de l'impact social ou de ce qu'on appelle l'effet éducatif des lois. Quatre éléments , en particulier, doivent être pris en compte. Le premier concerne la tendance générale à considérer le légal comme le moral et à éviter ainsi la réflexion spécifiquement morale. Le deuxième porte sur le risque de détérioration de la relation médecin-patient: certaines personnes âgées craignent déjà d'aller à l'hôpital soit par crainte d'être «abandonnées», soit par peur de l'acharnement thérapeutique. Le troisième concerne l'impact sur les personnes handicapées, qui pourraient interpréter cette légalisation comme si la société jugeait que leur vie ne valait pas d'être vécue. Le quatrième élément concerne les dangers d'abus: même si la loi fixait des conditions restrictives, l'expérience des pays où l'euthanasie a été légalisée illustre que ces restrictions ne sont pas toujours respectées.
L'auteur, résidant de Dunham, théologien et juriste, est professeur retraité de l'Université de Montréal