Pour l’Église, la défense de l’environnement ne peut se faire au détriment de l’homme, qui a une place à part au sein de la Création
ENTRETIEN
Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, président de Pax Christi France, chargé de piloter un groupe de travail sur l’écologie au sein de la Conférence des évêques de France
La Croix : Dans plusieurs mouvements, les initiatives en faveur de l’écologie semblent se multiplier depuis plusieurs années… L’Église catholique est-elle en train de « se mettre au vert » ?
Mgr Marc Stenger : Il est évident que l’écologie est devenue une préoccupation centrale, non seulement pour les évêques mais aussi pour bon nombre de groupes, de chrétiens. De là à dire qu’il y a un virage dans l’Église, cela me paraît exagéré. Il serait plus juste de parler d’approfondissement. Longtemps, l’Église s’est concentrée sur les questions sociales, sur la protection de la vie humaine ou sur les questions de bioéthique, comme récemment, pouvant laisser penser que la défense de la nature n’était pas prioritaire. Or, nous nous rendons compte que la défense de la vie implique de protéger la nature.
Quelle est la spécificité du message chrétien, par rapport à toute l’idéologie écologiste actuelle ? Où placer l’homme dans une réflexion sur la nature et la Création ?
Pour de nombreux courants écologistes, l’être humain n’est qu’une partie de la chaîne du vivant, parmi d’autres. Rien ne permet à leurs yeux d’accorder à l’homme une place à part. Pour eux, le moindre brin d’herbe est à respecter au même titre que l’homme ! Or, l’homme et l’éléphant n’ont pas le même prix : en tant que chrétiens, nous défendons une responsabilité particulière de l’homme au sein du créé. Ce n’est pas dévaloriser le reste de la Création, que de dire que l’œuvre de Dieu a tellement d’importance que celui qui est au cœur, l’homme, a une responsabilité vis-à-vis d’elle. Non pas pour en disposer sans conséquences, mais pour la préserver.
On a pourtant parfois le sentiment que cette parole reste assez peu connue, comme si l’Église avait un train de retard… Comment expliquer ce décalage ?
Sans doute parce que l’écologie n’a pas toujours été une préoccupation dominante dans l’Église, à l’exception des derniers papes qui se sont beaucoup exprimés sur ce sujet. Mais il n’est pas trop tard, l’avenir est en jeu. Quelles que soient les explications scientifiques au réchauffement climatique, l’homme a des attitudes à adopter, des responsabilités à prendre pour mettre fin à ses déviances de choix et de comportement.
Notre groupe de travail est en train d’auditionner des experts. Tous soulignent leur satisfaction de voir l’Église s’intéresser à l’écologie – comme si c’était nouveau ! En cela, ils manifestent l’attente d’un message qui concerne l’homme. Il y a, au fond, cette conscience que l’Église a un magistère moral à exercer, une parole forte à dire sur la juste attitude de l’homme vis-à-vis du monde dans lequel il est.
L’engagement, reconnu sur le plan international, des orthodoxes en faveur de l’environnement peut-il être un modèle pour les catholiques ?
Il est vrai que le Patriarcat de Constantinople a pris des positions très claires par rapport aux questions environnementales, tout en engageant des actions importantes. La théologie spirituelle des orthodoxes est très élaborée, ils estiment que protéger la nature n’est pas d’abord une question technique, que l’enjeu n’est pas seulement l’avenir de la planète, mais qu’il y a là un défi théologique et spirituel, puisque cet intérêt pour la nature découle du sens chrétien de l’homme et de la Création. Ils peuvent donc être un modèle pour les catholiques, dans la mesure où ils nous renvoient à nos fondamentaux. Pour formuler une pensée écologique chrétienne, le passage obligé, c’est revisiter notre théologie de la Création pour en saisir toute la substance.
Que peuvent faire les chrétiens, plus concrètement, pour promouvoir cette responsabilité ? Faut-il consommer moins ?
Il y a plusieurs niveaux. Déjà sur le plan de l’aménagement de notre environnement, dans la construction, l’isolation, tout ce qui tend à minimiser les dépenses d’énergie. Mais plus fondamentalement, il s’agit surtout de bousculer nos modes de vie. La première chose qui doit changer, c’est notre manière d’utiliser les dons qui nous sont faits, de ne pas nous laisser emporter dans le cycle infernal de la consommation. Nous sommes invités à retrouver le goût des choses, à distinguer ce qui est essentiel et accessoire à notre vie. L’enjeu, c’est de faire ce monde beau tel que Dieu l’a voulu, aujourd’hui et demain.
Avec l’engouement pour l’écologie, on voit réapparaître l’idée que, face à la diminution des ressources naturelles, les hommes seraient trop nombreux sur terre…
Cette question récurrente me laisse perplexe. On doit affronter cette objection mais il ne faut pas y répondre trop vite, surtout pour aller dans le sens de cette logique statistique. N’est-ce pas une forme de démission de l’homme que de dire qu’il n’a plus en lui les ressources pour faire vivre l’humanité ? Serions-nous arrivés aux limites de nos capacités d’innovation ?
Nous chrétiens croyons que l’homme a reçu de Dieu une intelligence dont il est loin d’avoir atteint les limites, un cœur pour aimer et partager… Bref, nous ne sommes pas au bout de ce que l’on peut faire pour permettre à d’autres hommes de vivre. Par ailleurs, je peux difficilement accepter l’idée qu’on puisse ainsi diminuer la vie dans le monde.
La vraie question, c’est de savoir comment nous partageons nos richesses et nos ressources, entre le Nord et le Sud. S’il y avait des rééquilibrages, si nous acceptions de vivre autrement, nous nous apercevrions qu’il y a encore largement de quoi faire vivre cette planète.
Recueilli par FRANÇOIS-XAVIER MAIGRE