Source: Peuple Féérique
18 novembre 2010 par Richard Ely
Paru en octobre aux éditions Fetjaine, « Le Légendaire des Dragons » nous emmène à travers la France, la Belgique et la Suisse sur les traces de cet animal aussi fabuleux que fascinant. Marie-Charlotte Delmas en dresse le portrait en empruntant les pas et les écrits de nombreux témoins et folkloristes qui l’ont précédée. C’était l’occasion de poser quelques questions à l’auteure…
Le légendaire des dragons se limite à la France, avec un peu de Belgique et de Suisse. Quelle est la raison qui a déterminé ce sujet précis?
Je n’aime pas survoler les thèmes que j’aborde, et sans vouloir prétendre à l’exhaustivité, j’essaie le plus possible de m’en rapprocher. La France étant déjà très riche en légendes de dragons, je ne pouvais pas embrasser un territoire trop large. A nos frontières, la Belgique et la Suisse se sont avérés être les pays qui apportaient le plus d’originalité quant à leur relation au dragon. Par ailleurs, il faut se méfier lorsqu’on traite ce type de sujet de surfer sur les continents car la culture et les systèmes de représentation sont différents.
L’introduction situe les dragons à l’origine, à la création du monde au travers les mythologies influentes de notre monde occidental. Mais d’où vient finalement cette figure du serpent mythique ? Pourquoi a-t-il eu autant d’importance ?
J’aimerais bien le savoir… Il y a différentes théories que j’évoque dans l’ouvrage et que je ne vais pas détailler ici, mais aucune, à ce jour, ne fait l’unanimité, et pour cause. Il y a toujours un risque à vouloir expliquer de façon univoque des croyances qui ressortent d’autres systèmes de pensée (religieux, culturel) et des récits qui sont produits dans des contextes différents et qui ont aussi des fonctions différentes.
Vous consacrez un paragraphe de l’introduction au christianisme. Comme pour beaucoup de croyances païennes, le christianisme a joué un grand rôle de transformateur de mythes. En résumé, quelle était l’image du dragon avant et après le point de vue de l’Église ?
Les dragons ont subi, comme la plupart des divinités des religions antiques, un reversement symbolique. Tu es dieu, tu deviendras démon !
L’ouvrage vous a-t-il demandé beaucoup de temps? Comment avez-vous procédé pour le choix des légendes par région ?
Il m’est toujours difficile de répondre à votre première question. La mise en forme du livre et le choix des légendes m’ont demandé un an de travail, mais cela fait plus de vingt ans que je fais des recherches sur les discours liés au surnaturel et que je collecte, dépouille, classe des centaines (voir probablement plus, je n’ai pas compté mes fiches) d’articles sur tous les êtres et les phénomènes surnaturels. Pour le choix des légendes, je procède toujours de la même façon. Premièrement, donner un éventail le plus large possible qui prend en compte la diversité des approches, montrer, le cas échéant, la récurrence de certains récits ou thèmes. Deuxièmement, aller chercher et publier les récits « source », en évitant les ouvrages de compilation qui abondent au fils du temps, se reprenant l’un l’autre, et finissent parfois par déformer l’histoire initiale.
Vous assimilez au dragon les autres figures de serpent, vouivre, cocadrille, etc. Tout ceci ressort de la même essence ?
Oui, je pense que les vouivres, les cocadrilles et tous les serpents fabuleux sont des formes plus modernes et folklorisées de dragons.
Vous êtes parti de textes anciens, il aurait été intéressant de relier les légendes à certaines manifestations actuelles, folkloriques ou culturelles. Seriez-vous intéressée de partir sur les traces des dragons d’aujourd’hui? En avez-vous l’intention ?
Je vais probablement vous décevoir, mais non, cela ne m’intéresse pas. Le dragon appartient désormais à la fiction et mon travail s’arrête aux croyances. Je laisse aux sociologues le soin de traiter ce sujet.
Quelle est la légende qui vous a le plus marquée ?
Voilà une question que me posent souvent les journalistes au sujet de mes anthologies et je suis toujours très ennuyée pour y répondre. Les textes, les légendes, sont pour moi des objets de travail. Chaque découverte d’un nouveau texte m’intéresse à défaut de me marquer. Si je devais avoir un petit penchant, ce serait pour les dragons populaires et les témoignages tardifs concernant les basilics ou les vouivres.
La Suisse affiche un caractère particulier, ce sont des témoignages que vous présentez… A-t-on eu une explication ou des hypothèses sur le phénomène du dragon suisse ?
D’abord, il faut savoir que les légendes populaires proviennent généralement de témoignages, de mémorats comme nous les appelons, qui se transforment au fil du temps. Si nous possédons autant de témoignages sur les « petits dragons » suisses, c’est tout simplement parce que des naturalistes s’y sont intéressés et ont publié des livres sur ce sujet. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que nous aurions pu collecter le même type de témoignages en France, par exemple. Quant à l’explication, j’ai en effet un début d’hypothèse qui englobe d’autres types de phénomènes (célestes en particulier), mais patience, tout cela va faire l’objet d’une prochaine étude…
"Le dragon est une créature qu’on associe souvent au feu à cause des flammes qu’il crache, à l’air parce qu’il possède souvent des ailes mais n’est-il pas d’abord une créature de l’eau ?
Le dragon est un être ou un animal chthonien, et à ce titre il peut être rattaché à tous les éléments de la terre. Il vit sous la terre, rôde dans les marais, nage dans les fleuves et vole dans le ciel.
Pour vous, personnellement, que représente le dragon ?
Joker ! Le dragon en temps que tel est un animal hybride qui a évolué au fil du temps. L’image que nous en avons aujourd’hui, fixée par la littérature et l’imagerie, ne rend pas compte de sa diversité. Pour pouvoir répondre à votre question, il faudrait non pas prendre en compte « le dragon », mais chaque dragon particulier ou plutôt chaque type de dragons à chaque époque.
Quels sont vos autres projets en cours ou à venir ?
Je travaille en parallèle sur plusieurs sujets dont je ne sais pas trop lequel sera abouti en premier. Je voudrais parvenir à terminer mon étude sur les sirènes, les hommes marins et les fées d’eau. Vaste sujet, qui à mon avis, n’a jamais vraiment été étudié sérieusement. En parallèle, je travaille aussi sur le passage du surnaturel au paranormal, et prépare un livre sur le phénomène des poltergeists (les fameux esprits frappeurs) qui va m’éloigner des livres illustrés et me rapprocher de mon travail de sémiologue. Je voudrais également publier un ouvrage sur les phénomènes célestes, mais c’est, peut-être, celui qui va le plus attendre.
Propos recueillis par le Peuple féerique en novembre 2010