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Éducation et société - L'école malienne, 50 ans après : Quand la quantité tue la qualité par Boubacar BENGALY

Force est de se rendre à l'évidence qu'au fil du temps, on est passé de l'autoroute de la connaissance à la voie de décélération. ''L'homme en tant qu'homme, avant l'éducation, n'est que pure éventualité'', dixit L. Malson.

Partie de l'école des otages, actuelle ECICA, l'école malienne a connu plusieurs phases d'évolution au gré des vicissitudes de l'histoire. L'analyse de ses diverses facettes au cours des 50 dernières années donne un tableau à différents niveaux de luminosité, d'indication. Des décideurs aux systèmes en passant par les acteurs à divers pôles ont imprimé rythmes et cadences à la marche de ce créneau spécial d'investissement dans l'homme. Le bilan, plus que mitigé, a fait des partisans de l'exclamation et laissé nombre de sceptiques dans des interrogations légitimes. Pour plus de clarté, voyons en quelques points, télégraphiquement, les photographies par moment de cet autre niveau d'éducation des enfants.

Du chantre de la formation idéologique, civique et morale à…la fabrique de diplômés incultes !

La réforme de l'éducation de 1962 s'était donné comme ambition d'atteindre l'enseignement universel avec efficience en brûlant certaines étapes superflues ou inutiles. D'où l'option d'un enseignement de masse et de qualité : deux notions passant apparemment pour antinomiques. Elle visait ainsi à remettre le pays au travail en assurant le plein emploi à tous ses fils préparés à faire les agents de développement et non point les valets et subalternes du Blanc. De ce fait, la réforme cherchait à mettre fin à l'aliénation mentale et une inféodation culturelle assises par l'enseignant colonial. Elle aura permis de décoloniser les esprits en les reformatant selon le moule de nos valeurs, idéaux, priorités et réalités.

La réforme reposait sur un système complet allant du primaire au supérieur en passant par le fondamental et le secondaire. La création, entre 1963 et 1975, de grandes écoles comme l'Ecole Nationale d'Administration, l'Ecole Normale Supérieure, l'Ecole Nationale d'Ingénieurs, l'Ecole de médecine et de pharmacie du Point G et l'Institut Polytechnique Rural, l'Ecole Normale Secondaire, l'Ecole des Hautes Etudes Pratiques, l'Ecole Nationale des Postes et Télécommunications… répondait à ce souci. Les élèves les plus brillants étaient récompensés par des bourses d'études à l'étranger. Les performances des grandes écoles, à travers la qualité des produits formés et l'originalité du système, ont conquis nombre de spécialistes, dont ceux de l'UNSECO qui en félicitèrent le Mali.

Le voulant levier stratégique du développement, les autorités de la 1ère République ont rendu l'enseignement gratuit et obligatoire pour tous les fils du pays. En effet, s'il est établi qu'il n'est pas de développement en dehors de l'homme, il reste tout autant évident que le développement est l'œuvre des ressources humaines de qualité, donc bien formées. A l'époque, l'école répondait parfaitement à son nom de centre d'éducation grâce à la formation civique et morale. Justifiant du coup la démarcation entre le Soudanais et le Malien de la démocratie sur les plans éthique et patriotique. Tous les ''retardataires'' étaient ''attendus et récupérés'' selon leurs capacités. Il n'y avait presque pas d'exclus.

Le temps de ce régime n'a pas connu de cette forme de chômage, car tous les diplômés issus des grandes écoles intégraient la fonction publique directement. Les programmes étaient adaptés au type d'homme à former pour mettre œuvre la vision idéologique du régime en place. Des critères objectifs sous-tendaient l'orientation de tous les bacheliers, l'octroi automatique de bourses d'études à tout étudiant méritant sans distinction de classes, de conditions sociales et la garantie de l'emploi pour tous les diplômés de l'enseignement supérieur. Les suivis et contrôles, grâce aux inspections, aidant, les programmes étaient enseignés avec rigueur et professionnalisme. Et, en toute logique, les cadres maliens de cette époque étaient recherchés un peu partout dans le monde. Mais, le 19 novembre 1968 arriva !

La deuxième République et l'amorce du… nihilisme

Sous ce régime, la politique de formation de masse et de qualité fut abandonnée au profit d'une vision plus sélective prioritairement axée sur l'enseignement de base. Le secondaire et le supérieur devinrent des luxes. L'option pour cette forme pyramidale de formation avait pour dessein, d'une part, de maîtriser les flux aux niveaux secondaire et supérieur et, d'autre part, de réduire ainsi la manne financière devant servir à payer les bourses d'études et les salaires des enseignants. La part de budget allouée à l'éducation devient congrue et les arriérés de salaire vont constituer la règle et non l'exception. Les investissements dans le domaine vont logiquement se raréfier. La conséquence ?

L'école devient un facteur de différenciation sociale. Les institutions de Breton Wood vont récupérer le schéma et imposer le Programmes d'Ajustement Structurel. De nombreux enseignants partirent à la retraite anticipée, tandis que certains instituts de formation de maîtres furent simplement fermés en vue de favoriser des équilibres macroéconomiques aux dépens des vies. Du coup, une crise d'enseignants s'installa. Le chômage s'invita à la partie avec l'institution du concours d'entrée à la fonction publique au moment où les créations d'écoles privées vont être autorisées. Des remous sociaux tant du côté des étudiants que de celui des enseignants matés à sang ou à mort furent recensés ça et là. Ainsi, l'atmosphère sociale va se fermenter pour se transformer en insurrection populaire pour plus de libertés et de démocratie. Le tourbillon finit par emporter le régime militaire et imposa la démocratie multipartite.

La poussée en champignon de ces écoles -entreprises (écoles privées, écoles communautaires) atteint son apogée sous la 3ème République. Mus bien plus par le souci de profitabilité économique que celui de la bonne formation des enfants, bon nombre de promoteurs d'écoles privées continuent d'ouvrir ou d'inaugurer à tout bout de champ cycles fondamental, secondaire ou supérieur. Des complexes scolaires allant du préscolaire (maternelles, garderies, crèches) aux formations pointues doctorantes. Pourtant créées pour suppléer les carences et capitulations de l'Etat en matière de couverture du territoire en infrastructures d'enseignement, de formation des élèves et étudiants, la plupart des écoles privées sont en passe de former des diplômés mais pas des instruits.

Du sacerdoce d'antan aux…noces de diables d'aujourd'hui !

N'étant pas le plus souvent des spécialistes du domaine, les promoteurs se moquent éperdument de l'observation des règles du métier. Ce qui compte pour eux, c'est bien les bons comptes. La qualité du produit formé importe peu par rapport au passage en classe supérieure. Les conditions de création des écoles et centres, les cadres d'enseignement, les conditions d'études, les bons comportements et pratiques tous azimuts (enseignants, promoteurs, élèves et étudiants, parents d'élèves), les enquêtes de moralité, le professionnalisme, l'éthique, la déontologie, la conscience professionnelle, la surveillance et le contrôle, la psychologie développementale, la psychologie de l'éducation et la pédagogie sont foulés au pied.

Avec tant de diplômés- chômeurs, dont le moral est souvent dans les chaussettes, dans le pays, le recrutement d'enseignants, tous ou presque adaptables, devient aisé. Si certains centres se démarquent positivement, il reste que les écoles privées passent de nos jours pour un fourre-tout où le tout-venant fait le charme. Ici se recrutent les partants volontaires à la retraite anticipée, victimes des fameux Programmes d'Ajustement Structurel, les retraités de tous horizons, les enfants de promoteurs en chômage, les diplômés sans emplois de tout bord, les enseignants radiés pour faute grave, les sarpiens (Système Alternatif de Recrutement du Personnel Enseignant) formés à pied levé pendant 45 ou 90 jours pour combler les vides observés çà et là.

Loin d'être là par vocation, faute de mieux, ces cobayes pour la plupart procéderont par le jeu des essais - erreurs avant de retrouver leur marque. Trullos, maisons à usage d'habitation transformées en écoles, hangars, seccos, classes sans toitures, bancs en banco, écoles sans cour, sans toilettes…accueillent souvent enseignants et enseignés. Champ d'expérimentation, plutôt lieu de collection d'enseignants, l'école privée demeure aussi la sphère de licence et de libertinage pour les enfants de riches ou personnalités influentes. Les classes pourtant exiguës à vue d'œil paraissent pour extensibles tant elles sont toujours prêtes à recevoir d'autres cotisations ou frais de formation.

Au lieu de devenir des lieux de promotion de l'excellence, ces écoles - entreprises tuent le respect, la discipline, le travail au seul profit du profit. Ceci fonde la récupération de tous les cancres, malpolis et autres enfants impossibles renvoyés de l'école publique. Ici, les pléthores sont plébiscitées, pendant que la rareté ou l'absence des contrôles de connaissances, des évaluations, des devoirs à domiciles, d'interrogations, des travaux de groupe… est la règle. Les programmes ne seront jamais épuisés. Naturellement s'en suit la chute des niveaux. Le souci étant de ménager les enseignés commandeurs.

En effet, dans ce nouveau marché les clients rois sont les élèves dont les instructions, les volontés, les avis doivent être exécutés sans réserve. Les moyennes générales, représentant les moyennes de classes, dans les classes d'examens varient entre 12 et 18. Quels savants ! Nettement plus forts que leurs formateurs, ces enfants sont appuyés et pistonnés par leurs parents prêts à débourser pour faire augmenter et gonfler leurs moyennes. Alors poussés tant par leurs parents que par les directeurs d'écoles privées, les rois du système avancent sans effort et obtiennent de vrais faux ou faux vrais diplômes avec mention honorable dans la honte sans précédent.

Ne pouvant décrocher et tenir honnêtement aucun boulot, ces propulsés à l'excellence passent de l'école à la colle. Ici les enfants non vernis à la naissance sont contraints d'être les premiers à la queue du peloton de chaque classe. D'où une reproduction des classes ne disant pas encore son nom. Quand l'injustice et la malhonnêteté se combinent pour enrichir (cours privé oblige). Enseignants voltigeurs à la recherche d'école à forte sensation économique.

Les enseignants sans scrupules, sans vertus, les classes sans limite d'effectifs les passages par quotas, les repêchages, les notes de complaisance, les grèves interminables ont fait des produits de l'école des évités de la sous - région. Eux qui étaient pourtant invités dans un passé récent. A présent, la course vers de vraies fausses statistiques, la fuite en avant, les solutions épidermiques et les cautères de remèdes sont loin de résoudre ce problème bien plus profond. L'évitement et le contournement ne peuvent constituer la clé à cette problématique.

Nous trouvons que la question de l'école a une issue fondamentalement liée à la volonté politique devant aboutir à des choix judicieux en matière d'éducation en tenant compte de nos réalités économiques et culturelles.

A bon entendeur, salut !