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Littérature - Mario Vargas Llosa, pourfendeur de l'autoritarisme par Florence Noiville

Surprendre par l'évidence... Alors que nombre de parieurs misaient gros sur l'écrivain kényan Ngugi wa Thiong'o - un auteur quasiment inconnu du grand public comme l'était l'an dernier l'Allemande d'origine roumaine Herta Müller et comme semblent les aimer, de temps à autre,, les jurés suédois -, c'est finalement à l'un des plus grands noms de la littérature mondiale, Mario Vargas Llosa, qu'est revenu, jeudi 7 octobre, le 105e prix Nobel de littérature.

Les deux derniers Latino-Américains nobélisés étaient, en 1982, le Colombien Gabriel Garcia Marquez, qui fut un ami proche de Vargas Llosa avant que les deux hommes ne se brouillent, puis le Mexicain Octavio Paz, en 1990, il y a tout juste vingt ans.

Choix "institutionnel" pour les uns, juste couronnement d'un "classique contemporain" pour les autres, cette récompense lui est attribuée, précise l'Académie, "pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec".

Depuis son premier recueil de nouvelles, Les Caïds, en 1959, jusqu'à ses ouvrages récents, Mario Vargas Llosa, en effet, n'a cessé de rendre hommage aux capacités de rébellion de l'être humain, à son aptitude à transgresser, rêver, -créer... bref, à se forger un destin hors des entraves et des pressions.

Ecrire c'est agir, pense "MVLL" pour qui vocation littéraire et inquiétude civique marchent de pair. Au Monde, en 2008, il confiait : "Je n'accepte pas que la littérature puisse être un amusement, même élaboré et sophistiqué. Si c'est un divertissement, ce doit être un divertissement problématique."

Né à Arequipa, au Pérou, le 28 mars 1936, Jorge Mario Pedro Vargas Llosa vit les premières années de sa vie avec sa famille maternelle entre Pérou et Bolivie. Ses parents sont séparés. Son père, qui fait la sourde oreille en recevant le télégramme annonçant sa naissance, ne se manifeste jamais. Si bien que le jeune Mario grandit en pensant qu'il est mort.

A l'âge de 10 ans, pourtant, il fait sa connaissance. Cette rencontre le marque à jamais. "Je ne serais pas devenu écrivain si mon père n'y avait pas été aussi hostile, dira-t-il plus tard. Ma façon de résister à cette forte personnalité a forgé la mienne. Avant de connaître l'autoritarisme politique, j'avais connu l'autoritarisme paternel. Ma manière de résister fut d'entrer en littérature. "

VOYAGE EN FRANCE

Journalisme, poèmes, nouvelles, alors qu'il fait ses premiers pas d'auteur, Vargas Llosa remporte un concours organisé par La Revue française. Le prix : un voyage à Paris où, en 1958, puis de 1959 à 1966, il passera "les années les plus décisives de (sa) vie". Le début de la Ve République, la guerre d'Algérie le passionnent. De même que l'effervescence artistique. Il découvre Beckett, Ionesco, Vilar, Barrault, le Nouveau Roman, la Nouvelle Vague et aussi, curieusement, la littérature latino-américaine, Cortazar, Fuentes, Paz... "C'est à Paris que j'ai découvert que j'étais latino-américain, note-t-il. Avant, je ne me sentais que péruvien, sans le sentiment de faire partie d'une grande famille."

C'est à Paris aussi que, nourri de Flaubert, Balzac et Hugo, il fait la connaissance de Camus, puis de Sartre qui l'influence profondément. A Paris enfin, en 1962, qu'il vit son premier succès avec La Ville et les chiens. Dans ce roman inspiré de son expérience au collège militaire Leoncio Prado de Lima, Vargas Llosa décrit la vie des cadets et l'oppression de la discipline. Le personnage d'Alberto, le Poète, qui vend à ses camarades des romans pornos et des lettres d'amour destinées à leurs amies, y apparaît déjà comme l'emblème de l'Ecrivain selon Vargas Llosa : un insoumis qui, grâce aux beautés de sa fiction, insuffle aux autres la force de supporter ou de recomposer leurs vies. Bientôt, La Ville et les chiens sera traduit en 30 langues : Vargas Llosa n'a que 26 ans, mais sa carrière littéraire s'envole.

Suivra une oeuvre dense et polymorphe. Au total une trentaine d'ouvrages mêlant romans, essais, nouvelles, études, théâtre... On y trouve de mémorables "autopsies de dictatures", comme celle que vécut le Pérou sous le général Odria (Conversations à la cathédrale, 1969) ou celle de Trujillo en République dominicaine (La Fête au bouc, 2000) ; de somptueuses éducations sentimentales (La Tante Julia et le scribouillard, 1977, Tours et détours de la vilaine fille, 2006) ; des textes libertins montrant que "l'érotisme est inséparable de la civilisation" (Les Cahiers de Don Rigoberto, 1997) ; des romans ou études étincelants d'érudition sur Flaubert, Gauguin, Hugo... Avec toujours des architectures narratives implacables, un sens du récit qui vous emporte, des intrigues où la vie sociale est une jungle et où le pouvoir, inséparable de la violence, est un odieux révélateur de l'abyssale perversité des êtres.

Il y a quelque chose de démesuré chez Vargas Llosa, cet inlassable travailleur, défenseur de tous les marginalisés, journaliste, reporter, amateur d'art..., dont rien n'arrête l'appétit de vie. Très vite, tout le tente, y compris la politique. Naturalisé espagnol en 1993, se jouant des frontières littéraires et géographiques - il est toujours entre Paris, Madrid, Londres et Lima malgré sa peur de l'avion -, Vargas Llosa, éloquent, portant beau, continue de défendre ses convictions avec passion.

Son prochain livre, El Sueno del Celta ("Le Songe du Celte") est consacré à l'Irlandais Roger Casement, qui dénonça les atrocités commises dans le Congo de Léopold II, ainsi que les violences faites aux indigènes du Pérou. Il sortira en novembre en espagnol et en français chez Gallimard en 2011.

Florence Noiville