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Culture - L'immigration en Suisse: un sujet qui fait frémir

Source: Lematin.ch
Conseiller d'Etat libéral vaudois en charge du Département de l'intérieur, Philippe Leuba ne passe pas pour un tendre envers les étrangers. Il s'oppose pourtant farouchement à l'initiative de l'UDC pour le renvoi des étrangers criminels et évoque son expérience.
Magalie Goumaz - le 14 novembre 2010, 09h12
Le Matin Dimanche

La Suisse, réputée pour être un îlot de sécurité, ne devient-elle pas un îlot de xénophobie alimentée par les initiatives de l'UDC?

Image © Michel Perret
Philippe Leuba: «Je signe un renvoi en disant que c'est juste. Vraiment juste. Jusqu'à maintenant, je n'ai regretté aucune de mes décisions.»



Tous les pays européens sont confrontés au même problème posé par la délinquance étrangère. Il n'y a aucune raison que la Suisse y échappe. Aujourd'hui, les citoyens attendent des réponses des autorités, ils n'ont pas la berlue. A nous de leur proposer une véritable politique.
Il y a une année, l'acceptation de l'initiative contre les minarets a surpris. Aujourd'hui, on n'envisage même plus un double non au renvoi des étrangers délinquants. Que se passe-t-il en Suisse?
Je me suis trompé dans tous mes pronostics, donc je deviens prudent. Mais, effectivement, je pense que le double non ne sortira pas des urnes le 28 novembre. Parce que le problème est réel.
N'est-on pas en train de confondre sécurité avec sentiment d'insécurité?
Non, mais ce sentiment d'insécurité, il faut aussi l'entendre, car il ne vient pas seulement de personnes âgées qui n'osent plus aller à la boulangerie après 18 h. La semaine dernière, j'ai participé à une soirée des parents de la classe de mon fils, en première année de l'école enfantine. Je me suis retrouvé dans un petit village ordinaire de Lavaux. A la fin, l'épouse d'un vigneron a évoqué l'initiative. Elle m'a raconté comment son frère s'était fait tabasser à Lausanne... Alors, vous voyez, il y a peut-être aussi un sentiment d'insécurité, mais il naît d'expériences concrètes. On doit le prendre en compte.
Les Suisses ont donc raison d'avoir peur?
On n'a jamais raison d'avoir peur. Mais on a raison de demander des résultats à ses autorités. L'Occident est confronté à un certain nombre de défis liés aux flux migratoires, la délinquance étrangère en est un. Il faut avoir le courage de l'affronter mais aussi de refuser les solutions simplistes qui viennent de la droite de la droite comme de la gauche de la gauche. Faire passer un étranger pour un délinquant en puissance, c'est un amalgame inadmissible. Mais je me bats également contre l'angélisme d'une certaine gauche pour qui tout renvoi est un renvoi de trop, car c'est irresponsable.
Mais ce durcissement est inéluctable?
Le monde change vite, et nous devons adapter nos règles. Mais les solutions doivent être nuancées. On doit pouvoir continuer à donner une chance à ceux qui s'intègrent, en les régularisant. Pareil pour des personnes qui auraient commis de petits délits mais ont donné la preuve qu'elles veulent appartenir à notre société. En revanche, je revendique la dureté vis-à-vis de ceux qui ont commis des infractions graves, ne veulent pas s'intégrer et ne respectent pas notre ordre juridique. C'est le sens du contre-projet.
Vous ne passez pas pour un tendre vis-à-vis des étrangers. Or, dans ce cas-là, vous êtes plus proche d'une partie des socialistes que de l'UDC?
L'initiative est une illusion, une déclaration de principe qui ne sera pas suivie d'effets, car elle est en bonne partie inapplicable. S'il n'y avait pas eu ce contre-projet, j'aurais voté non à l'initiative.
C'est à se demander si ce contre-projet n'est pas une erreur, s'il ne brouille pas le débat?
Non, il est très proche de la politique vaudoise. Nous sommes rigoureux, ce qui n'est pas le cas d'un certain nombre de cantons. Je ne suis pas là pour les juger, mais je pense que, si tout le monde avait fait preuve de beaucoup plus de transparence, avait présenté des faits, nous n'en serions pas là.
En octobre dernier, le canton de Vaud a effectivement présenté des chiffres précis. Cette année, par exemple, vous avez retiré le permis C à 28 personnes. Humainement, c'est dur, non?
Il faut avoir le courage de dire à quelqu'un: «Vous ne respectez pas nos valeurs, vous devez retourner chez vous.» C'est très difficile, ça prend énormément de temps.
Parlez-nous d'une expérience.
Je peux citer le cas d'un binational français-kosovar. Il est arrivé en 1990. Il a épousé une Suissesse, dont il a eu trois enfants. En 1991, il viole une première fois la loi, puis en 1993, en 1999, en 2007. Lésions corporelles, brigandages qualifiés, et j'en passe, lui ont valu en tout 4 ans et 8 mois de prison. Dans la balance, il y avait, d'un côté, le fait qu'il avait fondé une famille. De l'autre, la gravité des infractions, l'absence de repentir et un sérieux risque de récidive. Sur la base de ces éléments, je lui ai retiré le permis C. Le Tribunal fédéral vient de me donner raison.
Ça vous hante ensuite, ce genre de décisions?
J'ai séparé une famille. Mais lui-même ne s'en est pas soucié en commettant ses actes. C'est à cause de ça que sa famille a éclaté, pas à cause de moi. Mais c'est vrai que ce sont des décisions lourdes à prendre, ça me ronge, ça me travaille.
Votre main tremble parfois au moment de signer le renvoi?
Je réfléchis beaucoup avant. Dès que j'ai un doute, je reprends tout le dossier, je recommence. J'essaie vraiment de prendre une décision en mon âme et conscience. Je signe en me disant que c'est juste, vraiment juste. Jusqu'à maintenant, je n'ai regretté aucune de mes décisions.
Pourquoi l'initiative va-t-elle trop loin, vous qui êtes déjà pour la sévérité?
L'initiative conduira à des drames par l'automatisme qu'elle prévoit et l'absence de pesée des intérêts. Le seul élément, c'est le délit. Vous aurez quelqu'un qui a peut-être été condamné à 2 ans d'emprisonnement, mais qui est gravement malade. Si on le renvoie dans un pays où les soins ne sont pas garantis, on l'envoie à la mort. Or il a écopé de 2 ans de prison, on ne l'a pas condamné à mort!
Vous prenez là un cas extrême?
Mais cet automatisme est intolérable. L'un des fondements de la justice, c'est la proportionnalité. Quand on juge une personne, quand on la condamne, on tient compte de l'ensemble des éléments du dossier. L'automatisme ne fait pas partie de notre ordre juridique, et c'est ce qui me heurte le plus dans l'initiative: l'UDC s'attaque à des valeurs fondamentales qui trouvent leur source dans le droit romain, le christianisme, le siècle des Lumières. Si on veut exiger des autres le respect de nos valeurs, on ne doit pas les renier nous-mêmes.