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SIBÉRIE - Découverte d'une 3e espèce humaine vivant voilà 30.000 ans ! Par Frédéric Lewino

Plus on est de fous, plus on rit, c'est certain, mais de là à imaginer qu'une troisième "espèce" humaine côtoyait Cro-Magnon et Neandertal, voilà seulement 30.000 ans, du côté des monts Altaï, en Sibérie du Sud... c'est un coup de tonnerre dans le monde feutré de la paléontologie. Avec l'homme de Florès et l'homme de Java, cela fait au moins cinq espèces d'hommes qui se sont partagé la planète, voilà pas tellement longtemps.

Cette incroyable découverte sibérienne remonte à 2008, quand des paléontologues russes mettent la main sur l'os d'un petit doigt dans la grotte de Denisova. Poursuivant leurs fouilles, ils trouvent des pierres taillées et un fragment de bracelet fabriqué avec des pierres vertes. Mais qui étaient ces hommes si coquets ? Une datation indique qu'ils auraient vécu voilà 30.000 à 48.000 ans. Sans doute des hommes modernes ou des Neandertal, dont d'autres campements ont été retrouvés à proximité. Comment le savoir ? Le petit doigt ne peut rien dire à l'oreille des chercheurs, car il est bien trop minuscule pour qu'ils sachent à qui l'attribuer. Seul espoir pour le faire parler : qu'il ait conservé des traces d'ADN, ce qui semble hautement improbable, car, dès les premiers jours suivant le décès, les chromosomes commencent à s'émietter comme des confettis. Alors, après plusieurs millénaires... Pourtant, l'os - comme les dents - offre une protection épatante à l'ADN, pouvant retarder la désintégration totale de plusieurs dizaines de millénaires. C'est pourquoi nos Russes s'adressent à l'institut Max Planck de Leipzig, Mecque de la paléogénétique. Le généticien Johannes Krause, qui a déjà travaillé sur Neandertal, relève le défi. C'est son article scientifique qui est publié cette semaine par la revue Nature .

Datation à confirmer

Krause explique qu'il est parvenu à extraire des fragments d'ADN mitochondrial (celui contenu par les mitochondries), qu'il a pu comparer à leurs homologues chez l'homme moderne et Neandertal. Et là, Krause tombe sur le cul : le grand nombre de différences qu'il relève entre les trois ADN l'amène à conclure que l'homme au petit doigt n'était ni un homme moderne ni un Neandertal, mais un très lointain cousin. Un homme nouveau ! Nous voilà donc avec Homo qui aurait quitté le tronc commun des hommes, il y a 1 million d'années (entre 770.000 et 1,313 million d'années, très exactement) selon les calculs de Krause. "Cette datation mérite cependant d'être confirmée", note Véronique Barriel, paléogénéticienne au Muséum d'histoire naturelle de Paris. "Elle repose sur des hypothèses qui ne font pas un consensus dans la communauté scientifique."

Quoi qu'il en soit, jouons au Docteur Bones pour tenter de reconstituer l'histoire de l'homme au petit doigt. Il y a donc 1,9 million d'années, Homo ergaster décide de quitter l'Afrique pour tracer la route. Il découvre l'Europe et l'Asie, où il prend le nom d'Homo erectus. Quelques centaines de milliers d'années plus tard (entre - 0,7 et - 1,3 million d'années), il aurait engendré les ancêtres de l'homme au petit doigt. Où ? Impossible à dire pour l'instant. En tout cas, ces nouveaux Homo auraient fini par atteindre la Sibérie et les monts Altaï. Simultanément, ou plus tard, ceux des erectus, qui avaient choisi de s'installer en Europe, engendrent à leur tour les Néandertaliens, qui s'éparpillent sur tout le continent, jusqu'en Sibérie. Enfin, il y a quelque 50.000 ans, des Homo sapiens originaires d'Afrique auraient eu à leur tour des fourmis dans les jambes. Ils font leur baluchon, embrassent la famille restée au pays et envahissent le monde entier.

La Corse à fouiller

Voilà comment, 30.000 ans en arrière, trois sortes d'hommes, les Néandertaliens, les hommes modernes et les hommes de Denisova se retrouvent ensemble dans les monts Altaï. Ces hommes étaient-ils de la même espèce, de la même race ? "Il faut rester très prudent à ce sujet", explique Marylène Pathou-Mathis, paléontologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris.

De quelle nature était cette cohabitation ? Pacifique ou guerrière ? Ignorance sexuelle ou échange de partenaires ? Nous n'en savons encore rien. La seule certitude, c'est que l'homme de Denisova a fini par être rayé de la carte. A-t-il été, comme Neandertal, la victime de l'homme moderne ? Cela ne serait pas pour nous étonner.

Il n'y a qu'Yves Coppens qui ne soit pas étonné par une telle découverte. "Je pense qu'on trouvera encore plusieurs autres espèces humaines, toutes descendantes de populations isolées d'Homo erectus. Par exemple, dans les îles asiatiques, mais aussi, je le pense, dans les îles de Méditerranée." A-t-on suffisamment fouillé en Corse ?