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Ces volcans qui nous menacent. Par Frédéric Lewino

"L'éruption de l'Eyjafjöll place la société face à sa très grande vulnérabilité devant les volcans?", s'exclame Edouard Kaminski, volcanologue et directeur adjoint de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Cette piqûre de rappel n'était sans doute pas inutile, surtout pour les Européens, qui n'ont pas connu de grandes catastrophes volcaniques ces derniers temps, contrairement aux habitants d'autres parties du monde. Pourtant, l'Eyjafjöll n'est pas vraiment un foudre de guerre au royaume des volcans. Lorsqu'il se réveille, le 20 mars, personne n'y fait attention, sinon les Islandais. Et encore... Cela faisait cent quatre-vingt-sept ans qu'il ne donnait plus signe de vie. Durant vingt-quatre jours, ses flancs se contentent d'émettre des fontaines de lave. C'est le 14 avril qu'une explosion monstrueuse se produit au sommet de l'Eyjafjöll, dans la caldeira recouverte par un glacier. Le chaud et le froid produisent un intense panache de fumée qui culmine à 9 kilomètres d'altitude avant de recouvrir l'Europe, poussé mollement par les vents.

L'Eyjafjöll, modeste volcan islandais, n'a fait aucun mort, provoqué aucun raz de marée ni dé-stabilisé le climat terrestre. Son crime impardonnable?: avoir cloué l'Europe au sol. Par excès de précaution?? Pour l'instant, les Européens s'en tirent plutôt bien. Car le pire est peut-être à venir. En effet, les frissonnements du petit Eyjafjöll pourraient réveiller son voisin, le Katla, comme il l'a déjà fait à trois reprises par le passé. Un vrai géant, celui-là, dont l'humeur très chatouilleuse le fait entrer en éruption jusqu'à deux fois par siècle. Or les volcanologues soupçonnent l'existence d'un réseau de galeries entre les deux volcans, faisant craindre un effet de vases communicants. Mais Edouard Kaminski se veut rassurant?: "?Jusqu'à ce jour, les Islandais n'ont pas décelé la moindre activité sous Katla. Son réveil n'est pas envisagé.?" C'est déjà ça?! Lors de son avant-dernière éruption, en 1918, ses rejets permirent à la côte de gagner 5 kilomètres sur la mer. Son panache dépassa 15 kilomètres d'altitude. Dans un sens, quand cela se reproduira, ce sera un moindre mal, car les routes aériennes, moins élevées, ne seront pas entravées. Mais, dans un autre sens, il n'y a pas de quoi se réjouir car, à cette altitude, les poussières restent en suspension très longtemps, interceptant une fraction du rayonnement solaire. D'où un possible refroidissement de l'atmosphère engendrant de graves perturbations climatiques.

Nuage empoisonné

Ce scénario cauchemar s'est produit en 1783, non pas déclenché par le Katla, mais par les fissures du Laki, un volcan voisin. Le 8 juin de cette année-là, 130 cratères apparaissent subitement, crachant 14 kilomètres cubes de lave en huit mois, par des fontaines pouvant atteindre 1 400 mètres de hauteur. Simultanément, 0,91 kilomètre cube de matériaux sont éjectés dans l'atmosphère, mélangés à 8 millions de tonnes de fluor sous forme acide et à 120 millions de tonnes de dioxyde de -soufre. Ce nuage empoisonné -extermine la moitié du cheptel islandais, victime de fluorose osseuse et dentaire. La famine qui s'ensuit tue un Islandais sur quatre. Un épais brouillard sulfuré se répand sur une grande partie de l'Europe, provoquant des orages terribles et un hiver exceptionnellement froid. Des milliers d'enfants, de vieillards et de malades meurent empoisonnés, de froid, de faim. Rien qu'en Grande-Bretagne, le bilan s'élève à 23 000 morts. En France, les mauvaises moissons qui s'ensuivent auront la réputation d'avoir contribué à la Révolution française. L'Amérique du Nord subit, elle aussi, un hiver redoutable en 1784. Certains accusent même l'éruption du Laki d'avoir perturbé le régime de mousson indien et provoqué la famine qui tua un sixième des Egyptiens en 1784.

Une chose est sûre, les volcans islandais, placés devant la bouche d'aération de l'Europe, n'ont pas fini de faire parler d'eux. "?La seule chose que nous sommes incapables de dire, c'est quand?! Avec les volcans, il faut s'attendre à... l'inattendu?! poursuit Kaminski. Nos sociétés doivent comprendre qu'elles sont vulné-rables.?" D'autant que l'Islande n'est qu'une minuscule verrue volca-nique sur Terre. Mille cinq cents volcans sont ainsi sur des charbons ardents tout autour de la planète et, chaque année, une soixantaine entrent en éruption. D'après certaines sources, un million de volcans existeraient sous les océans?! Certains bavent en permanence de la lave, comme le Stromboli. D'autres explosent de fureur tous les cinq cent mille ans. Depuis deux siècles, les éruptions ont tué environ 230 000 personnes. La plus meurtrière fut celle du Tambora (Indonésie, 1815) avec 71 000 décès officiels. Un voisin, le Krakatoa, remit le couvert en 1883, causant 36 417 morts.

Monstres endormis

L'avenir nous réserve d'autres surprises. Le Vésuve, endormi depuis soixante-six ans (26 morts en 1944), fait peser une sourde menace sur Naples et les 600 000 inconscients installés illégalement sur ses flancs. Aux Canaries, tout un pan de l'île de La Palma n'attend qu'une éruption pour s'effondrer dans l'Océan et déclencher un gigantesque tsunami qui frappera tout le pourtour de l'Atlantique. -Méfions-nous encore du Merapi, le plus actif des monstres indonésiens, foulé par 1 million de -paysans. En Equateur, le Cotopaxi tient sous sa coupe les 2 millions d'habitants de Quito. A Hawaii, les volcanologues américains s'attendent d'un jour à l'autre à une éruption majeure.

Pourtant, ces éruptions ne seront que des pétards mouillés à côté du feu d'artifice dont sont capables les super volcans. Ceux-ci font d'autant moins parler d'eux qu'ils se dissimulent sous terre. Sournoisement, ils attendent leur heure durant des centaines de millénaires. L'explosion qui a le plus marqué la Terre, "?récemment?", remonte à quelque soixante-treize mille ans. C'est celle du mont Toba (Indonésie), après laquelle la planète vécut durant six longues années dans la pénombre engendrée par un manteau d'acide sulfurique. Par endroits, la température chuta de 15?°C, provoquant ce que les spécialistes appellent plusieurs hivers nucléaires. La végétation s'étiola sur plusieurs millions de kilomètres carrés, provoquant une extinction massive des animaux et des... hommes. En effet, les généticiens croient lire dans notre ADN mitochondrial une quasi-extinction de l'humanité remontant à.... soixante-dix mille ans?!

Précarité de l'espèce humaine

Que faut-il craindre aujourd'hui des supervolcans?? Le Toba subit depuis vingt ans des séismes brutaux (de magnitude 9?!), faisant craindre son prochain réveil. Au mieux de sa forme, il pourrait entraîner la disparition de 1 milliard d'humains et replonger l'humanité dans l'âge des ténèbres. "?Les conséquences pour notre société dépassent l'imagination?", confirme Edouard Kaminski. En Papouasie, en Nouvelle-Zélande, en Californie, d'autres bombes à retardement se cachent ainsi. Mais le plus à craindre - car il a déjà 40 000 ans de retard sur son timing -, c'est le super volcan qui se cache sous le parc national de Yellowstone, dans le Wyoming. Quand il se réveillera, la moitié des Etats-Unis disparaîtra et le reste de la planète vivra un cauchemar. Mais il y a pire que les supervolcans?: les colossales expulsions de flots de basalte qui, dans un lointain passé, ont été à l'origine du plateau brésilien, des Trapps du Deccan (Inde), de Sibérie et d'Ethiopie. Chaque fois, elles ont été l'origine d'extinctions massives dans l'histoire de la Terre.

L'Eyjafjöll nous rappelle tout cela. La précarité de l'espèce humaine devant les catastrophes naturelles. Toute notre science, toute notre technologie ne seront d'aucun secours lors de l'éruption massive d'un gros volcan ou d'un supervolcan. Cela n'a pourtant pas empêché l'IPGP de créer cette année un réseau mondial de surveillance, Evoss, en partenariat avec des instituts étrangers. Kaminski ne se fait pas d'illusions pour autant?: "?Si une météorite géante menaçait la Terre, l'homme pourrait imaginer un moyen de faire dévier sa course. Mais contre un volcan, on ne peut rien faire?!?" C'est gai?!