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Onfray un philosophe-bulldozer. Par Christian Godin

Retour sur le livre de Michel Onfray sous la plume de Christian Godin, philosophe qui dénonce sa vision d'un «bourgeois réactionnaire tenté par le fascisme, phallocrate et homophobe».

La popularité donne à l’intellectuel une responsabilité particulière, surtout lorsqu’elle est fondée sur une réputation de liberté vis-à-vis des institutions. L’idée d’une « contre-histoire de la philosophie » avait attiré à Michel Onfray des sympathies au-delà du cercle des groupies de l’Université populaire de Caen. Mais cette fois, en lançant son brûlot contre Freud, l’incendiaire achève de se déconsidérer - même auprès de ceux qui n’ont pas de la philosophie une conception bornée.

Le Crépuscule d’une idole, sous-titré L’affabulation freudienne, est une invective de plus de 500 pages bourrées d’énormités. Pour démolir l’inventeur de la psychanalyse, tout y passe, la drogue, le sexe, l’argent (jamais loin du juif…). À en croire Onfray, la psychanalyse n’aura été en fin de compte qu’une affaire de gros sous. Et pour compléter le tableau, ajoutez à cela un bourgeois réactionnaire tenté par le fascisme, phallocrate et homophobe.

Onfray dit avoir tout lu de Freud. On veut bien le croire. Mais qu’en a-t-il fait ? Son livre ne contient aucune idée (on ne va pas appeler « idées » les détritus qui traînent dans le caniveau). Quant aux concepts, qui sont théoriquement l’affaire propre du philosophe, le lecteur en cherchera vainement la trace. Malraux disait qu’il n’y a pas de grands livres contre. Le Crépuscule d’une idole n’est même pas un livre contre, il est de l’ordre du symptôme tant les obsessions y ont pris la place de la pensée et les rumeurs celle de l’argumentation.

N’importe quel lecteur un tant soit peu honnête de Freud y découvre le génie inventif, la force d’une intelligence toujours en éveil, l’ample culture, la modestie et les scrupules du savant aussi. Si Onfray n’a rien vu de tout cela, c’est que son Freud n’est qu’un épouvantail que ce semeur de mauvaises graines a fabriqué lui-même.

Mais il y a plus grave peut-être. Que l’on s’attaque à la psychanalyse - 5 ans seulement après le sinistre Livre noir de la psychanalyse - comme si elle avait tout pouvoir sur les esprits signale déjà la grave erreur de diagnostic. Le pouvoir, c’est évidemment les thérapies du bonheur sur commande et la pharmacie qui le détiennent dans notre société.

Et puis, au-delà du cas Freud, il y a la psychanalyse et au-delà de la psychanalyse, l’idée d’inconscient. La mise à l’écart de la seule force de résistance qui puisse faire échec à la fiction et aux illusions du sujet néolibéral qui gère son existence et ses plaisirs comme un chef d’entreprise, c’est à cela que servira le livre d’Onfray, s’il doit servir à quelque chose.

Nietzsche, dont Onfray se réclame et à qui il a chipé son titre, disait « philosopher à coups de marteau ». Mais le marteau est aussi l’outil du sculpteur. Onfray, lui, avance à coups de bulldozer. Ainsi fait-on lorsque l’on rase les vieux quartiers de ville pour construire à la place un parking ou un centre commercial. Le Crépuscule des idoles est un livre pour promoteurs.
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