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La vertueuse férocité de l’inquisiteur Onfray. Par Marie-Hélène Brousse

Pour Marie-Hélène Brousse, psychanalyste : réfléchir, penser, c’est sans doute encore un péché, au pays de l’athéologie comme dans celui de certains croyants. Et, quelle que soit la menace, nous ne renoncerons pas à Freud.

Malheur aux hommes de désir, si c’est un désir de regarder en face le réel de la condition humaine.

Il est un reproche qu’on ne peut pas faire à Michel Onfray : celui de ne pas être en accord avec une des écoles de philosophie antique, le cynisme, dont il se revendique ou se revendiquait, car il est vrai qu’il est prompt au changement d’orientation. Ce n’est pas une étiquette, ni une référence théorique, c’est un mode de vie. Et il convient d’apprécier à sa juste valeur la mise en acte tous azimuts d’une position qui relève autant de la philosophie cynique que de ce que l’opinion commune en a retenu avec son bon sens habituel. Si vous lisez le Crépuscule d’une idole, et ne vous affolez pas des 600 pages, ça se lit comme un roman policier de Gérard de Villiers ou comme le Da Vinci Code, préparez-vous aux délices de cette position.

Un mot sur le titre, d’abord : on entend en sourdine le Crépuscule des dieux, cible qui contribua à rendre célèbre l’auteur du traité d’athéologie, que l’homophonie permet d’entendre comme « traité de la théologie », ce qui n’est pas sans faire interprétation. La couverture, Freud sur fond d’Enée conduit aux enfers (à la manière de Jan Bruegel), renforce l’idée de chaos et de destruction. C’est Freud aux enfers. Selon M. Onfray, il l’aurait bien mérité. La quatrième de couverture ne mâche d’ailleurs pas ses mots : conquistador, incestueux, drogué, falsificateur, phallocrate, misogyne, homophobe et compagnon de route du fascisme, qu’il a bien failli, notons-le en passant, accompagner jusque dans les camps que les nazis se préparaient à lui faire connaître de l’intérieur.

Vous aurez compris que M. Onfray se met dans la peau de l’inquisiteur et qu’il se recommande de la morale, athéologique bien sûr, pour envoyer Freud rejoindre le diable auquel, Dieu merci, il ne croyait pas puisqu’il était agnostique. Peuples écrasés, honnêtes gens sains de corps et d’esprit, femmes, homosexuels, et démocrates sont appelés à con-damner Freud, sous peine de subir le même jugement.
Réfléchissons avant notre départ pour l’enfer auquel, psychanalystes, nous sommes promis. Réfléchir, penser, c’est sans doute encore un péché, au pays de l’athéologie comme aux pays de certains croyants. Mais, quelle que soit la menace, je n’y renoncerai jamais, comme Freud. Nous sommes dans cet ouvrage en terrain connu, pas tant parce que ces accusations, déjà portées tant de fois par le passé de façon souvent plus talentueuse, restent vaines pour qui se donne la peine d’ouvrir un livre de Freud, tant y sont manifestes le souci de l’argumentation rationnelle et une bienveillance à l’égard de la faiblesse et de la douleur humaines. Non, nous sommes en terrain connu parce que rarement un livre rend aussi accessible la logique de cette instance clinique dégagée par le génie freudien : le surmoi. Sa vertueuse férocité d’accusateur public y éclate page après page. Il est arrivé à M. Onfray de faire grand cas, avec raison, des philosophes libertins. Ce furent des gens sérieux que la recherche d’un plaisir hédoniste conduisit d’un « libertinage savant » critique des textes religieux à un « libertinage des ténèbres » sadien qui nouait la jouissance, comme impératif, à la mort, de l’autre, naturellement. Avec le Crépuscule d’une idole, nous y sommes.

Or, comme l’écrit Jacques Lacan dans un texte magnifique, Freud est un homme de désir. Il sut mettre au service d’un savoir objectif son intimité, n’hésitant pas à avouer ce que chacun de nous cherche à (se) cacher : ses rêves, ses petits secrets, ses fantasmes […] et aussi ses erreurs.
A l’heure où le mot d’ordre est celui du surmoi qui étale son impératif catégorique dans les médias, malheur aux hommes de désir, si c’est un désir de regarder en face le réel de la condition humaine. Le combat du XXIe siècle est celui de la jouissance contre le désir. Mais comme Dieu est mort et que, du coup, tout est soit interdit, soit obligatoire, le désir a de beaux jours devant lui car il a partie liée avec la vie, pas avec l’enfer et ses bonnes intentions.
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