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Lettre à Michel Onfray, par Téri Feugeas

Le premier mot que j'ai envie de prononcer et avec toutes mes forces est : merci Michel Onfray de m'avoir donnée un énorme besoin de raconter la "merveilleuse aventure de la psychanalyse."

Pourquoi ? Parce que tout ce que je vous ai entendu dire concernant votre dernier livre pour annoncer Le crépuscule d'une idole m'a donné une envie folle de manifester ma réalité. Non pas pour démontrer que Freud ne dormait pas pendant ses séances ou qu'il ne couchait pas avec sa belle-soeur - tout ça n'a aucune importance même si j'avoue que vous m'avez fait beaucoup rire en imaginant ces situations dans la réalité - mais surtout parce que j'ai l'impression que vous ignorez complètement ce qu'est la psychanalyse. Normal, vous n'avez jamais fait de psychanalyse dans votre vie.

Je suis une femme de 60 ans, libre, architecte et passionnée par mon métier que j'exerce depuis une trentaine d'années déjà. Et jamais je n'ai eu le moindre besoin d'être psychanalyste moi-même. C'est-à-dire que mon témoignage est aussi libre que désintéressé. Tout comme vous, à 20 ans, pendant que j'étais à l'université, j'avais un livre de Marx et un autre de Sartre sur la table de nuit.

J'ai commencé à 21 ans une première psychothérapie. J'ai passé quinze ans, deux fois par semaine, couchée sur un divan à jouer le rôle principal de cette merveilleuse pièce de théâtre qui vous permet de décoder les contradictions, de sortir enfin du milieu du triangle familiale, d'apprendre qu'une femme ne manque de rien et, par conséquent, n'a pas besoin de se compléter et d'ouvrir des portes qu'on croit fermées, et, enfin, de réinventer son propre espace de vie.

Tout comme vous et tant d'autres de notre âge - sauf qu'à cette époque j'habitais à Rosario, en Argentine, la ville de naissance du Che Guevara où je suis également née - je voulais, comme la plupart des jeunes de ma génération, changer le monde, et j'alternais études et militantisme politique.

Sauf que, au milieu des années 1970, a eu lieu le coup d'état des militaires ! Ceci nous fait changer brutalement de direction, puisque notre vie se transforme en une routine où il fallait avant tout essayer de survivre et de résister. A titre d'anecdote, 5 % de mes camarades d'université soit ont disparu, soit sont morts, soit ont été torturés ou bien encore sont partis je ne sais où…

Pendant que j'élevais toute seule mon fils et que je travaillais beaucoup, j'ai continué mes deux séances hebdomadaires pendant toutes ces années tâchées de tant de sang et de douleur.
Trop cher ? Monsieur Onfray, quel est le prix d'être dépendant, handicapé psychologiquement ?

Une maison, une voiture, ou peut-être toutes les drogues douces ou dures que les gens consomment pour s'inventer un bonheur aussi petit et insignifiant que le prochain objet qu'ils vont consommer. Avoir le désir d'un désir jamais satisfait ? C'est ça pour vous ne pas être malade ? Quel est le prix de pouvoir reconstruire son espace d'équilibre psychologique afin de pouvoir se laisser s'envoler en réalisant vos propres rêves ?

Moi je suis une simple architecte et mon Nord est la construction d'un monde artificiel de meilleure qualité que celui qui nous entoure aujourd'hui. Mais pour que cette construction soit durable, il faut au départ pouvoir travailler longtemps pour rechercher en soi-même toute la matière première et décrypter ainsi toutes les ordures en surface afin de les jeter au plus vite à la poubelle.

LA PSYCHANALYSE LIBÈRE

La psychanalyse ne "guérit" pas, certes, parce qu'il s'agirait alors de redéfinir le concept de malade dans notre société. Le prêtre qui viole, le patron qui n'a pas d'état d'âme et qui sauve l'entreprise de la faillite, malgré le suicide en masse de salariés, les bourreaux qui, pendant la dictature militaire en Argentine, tuaient au nom de l'obéissance aux institutions avec un curé à côté pour pardonner ses péchés.

Savez-vous combien de militants de gauche au moment où ils se sont aperçus du manque de moyens pour gagner cette bataille ont abandonné leurs propres camarades aux mains des services spéciaux de la police afin de sauver leur propre peau en s'exilant à l'étranger ?

Quand vous voyez de vos propres yeux toutes les contradictions et perversions humaines en direct, vous apprenez forcément que l'être humain est beaucoup plus complexe que la définition binaire et inutile de droite ou de gauche. Nos comportements au quotidien sont tellement contradictoires et ils sont entourés des nuances qui vont du blanc au noir en passant par tous les gris intermédiaires, que c'est très infantile d'imaginer qu'il y a comme dans les meilleurs films américains des années 1950 les "bons" d'un côté et les "méchants" de l'autre.

Etre tout simplement un être humain, dépoussiérer les vieux démons qui tournaient pendant l'enfance, se séparer des pulsions de mort qu'on a tous en nous, apprendre à ne pas subir une situation par la force, apprendre à utiliser toutes les armes afin de gagner tous les jours un espoir de vie pour vous et pour les autres. La psychanalyse libère. Quand vous parlez du goût, du plaisir, savez-vous que la thérapie à long terme vous apprend à déguster la vie sans modération ?

Eh oui, ce n'est pas facile de se dévoiler au départ. Nous résistons tous à voir et revoir nos répétitions qui nous empêchent de vivre mieux. La religion voile, la psychanalyse dévoile, et c'est au nom du visage transparent et invisible du traducteur inconsolable, que tous les jours dans des endroits et des situations parfois difficiles, celui-ci essaie, derrière le divan, de décoder nos misères, de nous guider dans notre propre chemin afin de nous approcher de nos rêves, bref, de tous ces désirs cachés depuis si longtemps derrière ce principe qui reste malheureusement omniprésent dans notre société : surveiller et punir.