Après le séisme du 12 janvier 2010, qui a tant ému l’opinion internationale, Haïti se retrouve face à cinq grands défis.
Premier défi : reconstruire selon les normes para-sismiques. La majorité des victimes sont dues aux constructions fragiles qui n’ont pas résisté aux secousses. Il est vrai que les normes de construction para-sismiques coûtent plus cher que les coûts habituels, mais, à long terme, il s’agit de sauver des vies qui n’ont pas de prix. C’est ce que le Japon ou le Chili ont compris, puisque, 45 jours après celui d’Haïti, un séisme plus violent encore a frappé le Chili , mais n’a fait que quelques centaines de morts (comparés aux 300.000 morts d’Haïti !). Encore faut-il que la priorité soit donnée aux logements sociaux, car trop d’Haïtiens végètent dans des bidonvilles abjects.
Deuxième défi : restructurer et repenser l’éducation. D’une part, il faut rebâtir les écoles de Port-au-Prince et de plusieurs autres localités, mais, d’autre part, il faut en profiter pour repenser l’approche adoptée qui ne convient pas aux besoins du pays. Chaque année, des dizaines de milliers de bacheliers haïtiens se retrouvent chômeurs et ne rêvent que de fuir leur pays. En même temps, Haïti manque de travailleurs dans des domaines clefs du bâtiment, ainsi que d’instituteurs qualifiés. Haïti ne pourra pas non plus se développer tant qu’un grand pourcentage d’adultes restera analphabète.
Troisième défi : encourager et protéger la production agricole et l’élevage. Haïti et le Guatemala sont les deux seuls pays d’Amérique Latine où la majorité de la population est paysanne. Malheureusement, la production agricole est peu à peu étouffée par les importations de produits étrangers coûtant moins cher, provenant surtout des USA et de la République Dominicaine. Un groupe de leaders américains a même suggéré que les USA achètent la totalité de la production nationale de riz, ce qui coûterait beaucoup moins que de payer l’importation de riz étranger. Mais, depuis 1994, sous l’impulsion du président Clinton, Haïti a dû ramener à 3 % le tarif douanier sur les produits agricoles. En 1980, le tarif douanier était de 50 % et Haïti exportait du riz. Il faut donc restaurer le protectionnisme pour sauver l’agriculture, et ouvrir de nouveaux horizons à l’industrie agricole (exportations, conserveries de fruits et légumes, élevage de races d’animaux adaptées au climat, etc.)
Quatrième défi : restaurer la confiance de la diaspora. Après l’élection de Jean-Bertrand Aristide, un grand courant d’enthousiasme avait traversé la diaspora haïtienne, forte de plus de deux millions d’individus, et qui porte à bout de bras l’économie chancelante, par ses transferts d’argent réguliers. Mais le coup d’État militaire et le populisme d’Aristide à son retour d’exil ont découragé de nombreux techniciens et techniciennes qui étaient prêts à rentrer pour se mettre au service du pays. Un signe encourageant, cependant ; lors des prochaines élections, un test aura lieu dans certaines villes étrangères pour juger de la possibilité d’inclure la diaspora dans les futures élections. Il est vital de mobiliser non seulement l’argent des Haïtiens à l’étranger, mais aussi les médecins, professeurs, ingénieurs, infirmières et autres talents dispersés aux quatre coins du monde par quarante années de dictature.
Cinquième défi : restaurer l’Etat et éliminer la corruption. Le dernier, et peut-être le plus difficile de tous les défis, car il suppose une révolution mentale et morale dont on ne voit pas encore les signes avant-coureurs. Les bureaux et l’administration de l’État sont truffés de parasites, souvent en surnombre, qui paralysent toute tentative de réforme. Les quelques éléments honnêtes se découragent vite et cherchent, eux aussi, à s’exiler. Les pays riches ne se privent d’ailleurs pas de les recruter, parfois ouvertement par des publicités dans les journaux. La fonction politique est dévaluée par certains maires, députés et sénateurs corrompus qui montrent en ce moment leur envie de partager le gâteau de la reconstruction. Il n’est donc pas étonnant de voir les pays « amis » d’Haïti profiter de ce degré de corruption pour chapeauter la CIRH (Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti), ce qui ne manque pas d’irriter les Haïtiens très chatouilleux sur la question de leur indépendance.
Haïti fait face à ces défis, et à bien d’autres problèmes encore. Seul un soutien durable peut l’aider à sortir de cette catastrophe et à créer un Haïti nouvelle. Le courage ne manque pas sur l’île, mais ces cinq défis devront être relevés pour qu’elle reprenne le chemin du développement.
Père Jean-Yves Urfié, spiritain, 44 ans au service des Haïtiens