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Le Devoir, à l'origine des cercles des jeunes naturalistes. Par Pauline Gravel

Quel Québécois ne connaît pas les cercles des jeunes naturalistes? Nombreux sont ceux qui ont participé à ce mouvement qui fait partie du paysage depuis 1931. Plus rares sont ceux qui savent que les CNJ ont vu le jour grâce au Devoir et que, pendant 23 ans, le quotidien d'Henri Bourassa a publié chaque semaine une rubrique s'adressant aux jeunes naturalistes.

Le 3 avril 1930, Omer Héroux, un des journalistes les plus éminents du quotidien après Henri Bourassa, à qui il succède en 1932 comme rédacteur en chef, signe un éditorial dans lequel il s'indigne de l'absence de jeunes Canadiens français dans les carrières scientifiques. Cherchant des moyens de remédier à la situation, il s'adresse au frère Marie-Victorin, à qui il demande «comment le journal pourrait susciter de la curiosité, de l'intérêt actif autour des questions scientifiques. Il faudrait essayer de frapper entre autres l'esprit des jeunes», lui écrit-il.

Avec son collègue Louis Dupire, qui a réussi à obtenir le soutien financier d'Oscar Dufresne, propriétaire de Dufresne Construction et Dufresne Engineering — et pour la petite histoire, qui a conçu et habité la riche maison de la rue Sherbrooke devenue depuis le Château Dufresne —, il imagine d'organiser un concours de botanique, dont Marie-Victorin et son équipe de l'Institut de botanique définissent les règlements.

En manchette de l'édition du samedi 14 juin 1930, sous le titre «Pour connaître notre domaine sous le ciel», Marie-Victorin donne le coup d'envoi du concours qui consiste à confectionner un herbier d'«au moins 25 plantes et au plus 100». Sur trois longues colonnes, le titulaire de la Chaire de botanique de l'Université de Montréal loue les merveilles de la flore et donne des instructions aux futurs participants. «Cette plante qui fleurit au long de la route, examinez-la avec attention. Concentrez-vous. Rendez-vous compte des ramifications de sa racine, de la forme, de la disposition et de la consistance de ses feuilles. Armé si possible d'une loupe de poche, regardez les parties de la fleur. [...] Observez aussi le terrain, le milieu. [...] Observez, écrivez, dessinez, photographiez des détails ou des ensembles. Essayez de faire l'histoire complète de telle ou telle fleur, de tel ou tel arbre», écrit-il. Dans l'article, on spécifie que le concours «est ouvert sans limite d'âge aux étudiants des deux sexes fréquentant les classes de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire de la province de Québec» et on insiste sur l'importance d'inclure des «observations personnelles», qu'on accompagnera de «croquis», de «photographies» ou de petits films tournés avec un «ciné-kodak».

Le jury, qui comprend Marie-Victorin et un représentant du Devoir, «se réserve le droit de retenir tel ou tel spécimen qui constituerait un document scientifique important, et de l'offrir — en en donnant crédit au concurrent — à l'herbier de l'Université de Montréal».

Le concours suscite un véritable engouement. Une centaine de participants s'inscrivent au concours. Le 10 novembre 1930, Le Devoir rend compte de la séance de distribution des prix qui a eu lieu à l'Université de Montréal. (Voir le bandeau en haut de la page.)

Inspirant

Saisissant l'occasion de ce succès, le frère Adrien Rivard, de la Congrégation de Sainte-Croix, prend l'initiative de créer des cercles de jeunes naturalistes en s'inspirant du modèle scout. Marie-Victorin fait la promotion de ce projet dans le cadre de l'émission radiophonique L'Heure provinciale, diffusée par la station CKAC. Quelques jours plus tard, Le Devoir reproduit dans ses pages cette causerie, et Louis Dupire y consacre un éditorial (le 13 mai 1931) dans lequel il apporte son soutien à cette «croisade pacifique pour le retour à la nature» qui est le «résultat de notre concours de botanique de l'an dernier».

Le frère Adrien Rivard fait la tournée des écoles dans l'espoir de créer de nouveaux cercles. La progression est fulgurante: dès 1932, on compte 253 cercles à travers le Québec. En 1940, on en dénombre 462, qui rassemblent 13 500 jeunes. «Les congrégations de soeurs enseignantes sont particulièrement actives à enrôler les jeunes de sorte que les filles forment rapidement la majorité des membres, la proportion atteignant 90 % en 1956», rappelle l'historien des sciences Yves Gingras dans Histoire des sciences au Québec, publié aux éditions du Boréal.

Dès la création du mouvement en 1931, la coordination des CJN relève de la Société canadienne d'histoire naturelle présidée par Marie-Victorin, qui est secondé par son fidèle collaborateur, le trésorier Jacques Rousseau. Ce dernier étant également secrétaire général de l'Acfas, les liens entre les trois organisations sont très étroits. «Lorsqu'il faut une contribution financière ou qu'il est nécessaire d'intercéder auprès du gouvernement pour obtenir une subvention spéciale pour les CJN, l'Acfas intervient efficacement», souligne Yves Gingras dans Pour l'avancement des sciences, histoire de l'Acfas, publié chez Boréal.

À partir d'avril 1931, Le Devoir consacre une rubrique hebdomadaire — le samedi — aux activités des CJN. Cette rubrique «est tout désignée pour servir d'agent de liaison inter-cercles», spécifie Louis Dupire lorsqu'il la présente aux lecteurs. Le journaliste précise que ce «Coin des jeunes» intéressera aussi «les maîtres d'écoles qui trouveront là de quoi piquer la curiosité de leurs élèves», et il somme les parents de ne pas persécuter le «naturaliste en herbe» sous prétexte que «les spécimens encombrent telle ou telle pièce, salissent la maison, la peuplent de sales insectes». Car il ne faudrait pas tuer dans l'oeuf «la vocation d'un futur Cuvier ou d'un futur Fabre comme les chenilles et les cocons du petit collectionneur, sous les coups de balai maternels». Alimentée par les collaborateurs de Marie-Victorin, cette rubrique sera publiée de 1931 à 1954.

En 1955, la direction des CNJ s'entend avec Léo Brassard, clerc Saint-Viateur, pour lancer Le Jeune Naturaliste, qui remplace la revue Le Viateur naturaliste fondée en 1950. Lorsque l'entente prend fin, l'Acfas porte secours au naufragé et rebaptise la revue Le Jeune Scientifique, qui deviendra plus tard, en 1969, le magazine Québec Science.

Après avoir crû de façon spectaculaire au cours des années 1930 et être demeuré stable jusqu'à la fin des années 1960, le nombre de CJN décline ensuite rapidement, passant d'un peu plus de 800 en 1960 à un peu plus de 200 en 1970, et à 89 en 1992.

Que sont devenus les CJN?

En raison de la pénurie de bénévoles pour l'animation, la formule des cercles a grandement périclité, affirme Robert

Lefebvre, directeur général des CJN, qui ont toujours leurs bureaux au Jardin botanique de Montréal. «Aussi, les immigrants ne connaissent pas notre mouvement et hésitent à nous confier leurs jeunes. C'est la raison pour laquelle on présente nos activités sous une autre forme visant notamment à attirer les familles.»

Les CJN proposent donc aux familles des ateliers du samedi composés d'activités ayant pour thème la botanique, l'entomologie, la zoologie, l'ornithologie, l'astronomie ou la survie en forêt. Les CJN effectuent aussi dans les écoles primaires des animations qui visent à initier les jeunes de 5 à 12 ans aux sciences naturelles. À la suite d'une animation, certains enseignants décident de fonder un cercle. Le mouvement compte actuellement 56 cercles scolaires.

Sept personnes d'une même famille peuvent aussi former un cercle. Cette formule de cercle familial à laquelle ont adhéré 68 familles est nettement plus populaire que la facture originale du «cercle de jeunes» qui rassemble des membres d'une même communauté ou municipalité, et qui est devenue rarissime.

Les membres d'un cercle reçoivent du matériel didactique et éducatif, des suggestions de sorties axées sur les sciences naturelles, un accès gratuit au Jardin botanique et à l'Insectarium, ainsi qu'un abonnement à la revue Les Naturalistes, qui est publiée quatre fois par année.