Citation du jour:

N'oubliez pas de faire un don. Nous avons besoin de votre aide en ces temps difficiles.Faire un don.

Sexualité et éthique - Dans une tourmente éternelle car il était violé à fleur de l'âge

Source: La Voix du Nord
À 47 ans, Carmine Bonomo
a déjà passé le stade du coming out.
À travers son premier ouvrage, il livre
une partie de sa vie dont il n'a jamais parlé à personne:
le Laventinois a été victime de
viols à répétition quand il était enfant
L'histoire que nous raconte Carmine Bonomo n'a rien d'ordinaire. Tout du moins l'espère-t-on.
L'histoire que nous raconte cet homme de 47 ans nous est livrée comme une thérapie.
Qui le propulse sur la voie de la guérison. Sans toutefois le guérir.
L'histoire que ce professeur laventinois retrace dans son tout premier ouvrage fait partie de celles qu'on ne voudrait jamais lire. Par peur de se sentir mal en refermant la dernière page du bouquin. Et pourtant, on le lit. On le lit parce qu'on veut comprendre. Comme Carmine Bonomo qui veut aussi comprendre pourquoi, à l'âge de 8 ans, il s'est fait violer. Pourquoi il a gardé ce secret enfoui dans les profondeurs abyssales de sa mémoire, sans jamais le dévoiler à quiconque. Si l'auteur s'est infligé une vie vouée à la souffrance, on voudrait l'aider page après page. Simples lecteurs, nous sommes impuissants. De la même manière qu'il a pu l'être avec cet homme au casque rouge qui l'a torturé jour après jour, sexuellement. Carmine Bonomo n'a pas été la victime d'un jour. Il s'agissait de viols à répétition dans ce petit bois des secrets, situé à Fouquières-les-Lens. Des viols qu'il se remémore depuis des décennies. Et les détails narrés dans ce livre sont toujours intacts. Bluffant. Navrant. Pourquoi Carmine s'est-il arrêté, un jour d'été, dans ce petit bois ? Là où il s'en passe des choses. Là où on ne veut, volontairement, rien savoir. Que lui est-il passé par l'esprit ? « Tout a commencé quand il a pris ma main pour la mettre sur son sexe ».
Une mise à nu pour
essayer de guérir seul Lui-même tente d'y répondre dans son ouvrage. Lui-même ne comprend pas toujours ce qui l'a poussé à retourner dans ce bois, "Le bois des amoureux". Bien mal lui en a pris. Tu m'as volé mon enfant-ce est un témoignage poignant tant la sincérité de l'auteur laventinois éclipse un style loin de la grande littérature qui n'aurait pas forcément sa place dans ce récit. Tant cette mise à nu nous rappelle que le monde qui nous entoure reste truffé de déséquilibrés. On entre d'ailleurs dans le vif du sujet, très tôt dans le livre. Aussi parce que le viol ne dure pas qu'un instant. Il dure en réalité toute une vie. Toute une vie durant laquelle Carmine s'est posé d'innombrables questions, a tenté de sortir de cette psychose morale quasi physique, a caché à sa famille et ses proches ces actes ignobles dont il a été la jeune victime. Toute une vie à ne penser qu'à ce bourreau qui court, peut-être, toujours les rues... et les bois. À endeuiller la vie d'autres enfants comme il a pu endeuiller celle du Franco-italien.

S'il aime les hommes, cela ne l'a pas empêché de se fiancer pendant quatre ans à Martine, une femme à qui il demande aujourd'hui pardon dans son premier ouvrage : « Je lui ai dédié un chapitre ». Carmine Bonomo estime, avec du recul, ne pas avoir su l'aimer comme elle l'aurait voulu : « Je n'ai jamais été capable de faire l'amour avec elle ». Un amour platonique qu'il assume pleinement aujourd'hui, tout en s'excusant auprès d'elle.
« J'ai voulu être le plus honnête possible avec les lecteurs » Un premier ouvrage est sorti en 2008, sous un nom différent : La mobylette bleue. Depuis, Carmine a récupéré ses droits d'auteur. « Quand on écrit, on comprend quelques gestes du quotidien ». Parce que les conséquences sont peut-être parfois presque aussi effroyables que les actes en eux-mêmes. Ce passionné d'écriture a éprouvé beaucoup de difficultés à se débarrasser de cette vie. Bien avant de dévoiler ce récit au grand public, un autre livre était sur le point d'être édité : Aussi profond que l'océan, aux éditions Anne Carrière. Une histoire d'amour entre deux hommes : « Mais le projet n'a pas abouti ». Ce roman restera dans les tiroirs. Comme ce récit qu'il décide de livrer, un jour, à Philippe, son ami : « Je n'en avais jamais parlé avant. Mon ami m'a dit qu'il pensait toujours l'avoir compris ».
Ces écrits font alors office de psychanalyse : « Quand j'écrivais, les détails remontaient à la surface, je comprenais plein de choses ». Pourquoi ne fume-t-il pas, pourquoi ne boit-il pas d'alcool ? Sûrement en raison de « l'odeur d'alcool et de tabac qui s'est imprégnée » en lui, ce jour-là. Pourquoi ne mange-t-il pas de chocolat noir ? Ce même chocolat qui lui était offert, en forme de souris, par son violeur, après chaque acte sexuel. Toujours est-il qu'après avoir contacté la maison d'édition Les points sur les i, une publication prenait forme en mai 2008. La mobylette bleue est éditée à 100 exemplaires. « Une fois que tout a été vendu, j'ai récupéré mes droits d'auteur ».
Professeur d'italien au lycée Gambetta d'Arras et au collège d'Achicourt, Carmine conseille évidemment à ses élèves de lire ses romans, plutôt que ce récit.
Qu'il assume aujourd'hui : « J'ai choisi les termes pour ne pas être choquant. Je ne voulais pas dépeindre l'horreur par des beaux mots. J'ai voulu être le plus honnête possible avec les lecteurs. » Il a juste concédé cette réplique à ses élèves : « Pourquoi M. Bonomo ne porte que des sous-vêtements blancs ? » Blanc, une couleur à laquelle il dédie tout un chapitre. « Le symbole de la pureté, de l'innocence » pour un homme qui se sent aujourd'hui encore sale. Sali par ces actes de viol à foison qu'il s'efforce de nettoyer chaque jour. En vain, semble-t-il.
Une écriture en guise de thérapie, il décide d'envoyer son ouvrage à d'autres éditeurs. Edilivre publie en ligne les mots qu'il a posés pendant un mois et demi sur papier et s'apprête à remplir les étals du commerce de presse à Laventie, ainsi que ceux de la librairie Brunet, à Arras.
Le temps était venu de mettre des mots sur ces maux Près de 40 ans après avoir enduré les pires tortures sexuelles qu'un jeune garçon puisse subir à cet âge, Carmine plonge le lecteur dans son univers particulier. Un univers dans lequel il lui demande de l'aider à comprendre pour quelles raisons il s'est retrouvé dans cet endroit (le bois des secrets, qui n'existe plus aujourd'hui) : « En écrivant, on comprend qui sont ces pédophiles, comment ils procèdent. Ils nous mettent une pression tout en créant une certaine dépendance. À aucun moment je ne l'ai vu ». Jamais le violeur, avec sa mobylette bleue, n'a ôté son casque rouge. La famille et les parents de la victime étaient menacés de mort si Carmine dévoilait un seul mot de leur secret :« Tu sais, si jamais tu racontes à tes parents, ils vont mourir ! » Et cette relation prend un tournant inimaginable lorsque le jeune Sallauminois ressent un manque affectif quand les rendez-vous ne deviennent plus quotidiens. S'il a hurlé sa douleur lors des premières pénétrations, agenouillé sur les feuilles dans ce bois, Carmine se sentait rassuré au fil du temps. Une étrange sensation qui amenait les actes sexuels à s'automatiser. D'un côté comme de l'autre. On ne parlait plus, on s'exécutait. Et le Laventinois s'en souvient comme si c'était hier : « J'ai fait en grande partie le deuil depuis la sortie du premier livre ». Un deuil pas encore partagé par ses proches. Ces derniers ont découvert cette histoire, comme de simples lecteurs. « Je n'en avais jamais parlé à personne depuis ce livre. J'ai fait une thérapie en 1995, mais rien n'est sorti. Mes parents ne se sont jamais rendu compte de rien. Ça a forcément eu des conséquences, comme expliqué dans le chapitre Pipi au lit. Quand je grandissais, je disais que j'étais victime d'incontinence. Ma maman ne m'a jamais rien dit quand je me mouillais la nuit. » Son père ne le sait pas encore. Il a seulement eu écho d'un écrit publié : « Mais je crois qu'il connaît le contenu ». Sa mère pensait, quant à elle, qu'un roman était enfin publié ! « Elle est restée de marbre et, en même temps, elle a manifesté toute la tendresse possible d'une mère. Maman, ça la perturbe encore. Ce qui la peine le plus, c'est qu'elle n'a rien vu. » Alors pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de mettre des mots sur ces maux ? « Je voulais être aimé pour moi-même et pas comme une victime. »
Rémi FOULON