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Catastrophe naturelle - LE SEISME DE 2010

Ici, à Port-au-Prince, c'est le chaos à l'état pur

Haïti | Entre tentatives de sauvetage et pillages, Haïti vit le martyre à l’heure des premiers secours. Des moyens considérables sont mis en œuvre pour l’aide humanitaire. Sous le leadership d’Obama. Les dons et les promesses affluent, mais il faut veiller à ce qu’ils ne conduisent pas à l’anarchie.

Il faudra sans doute plus d’une semaine pour pouvoir compter précisément le nombre de morts. De 40 000 à 100 000, selon les premières estimations. La Croix-Rouge évalue par ailleurs à trois millions, soit un tiers de la population haïtienne, le nombre de personnes ayant besoin d’une aide d’urgence.

Des cadavres empilés aux côtés des blessés, des survivants qui errent dans les décombres, le visage et le corps couverts de cette poussière blanche qui s’élève de partout. Quarante-huit heures après le violent séisme qui a ravagé Port-au-Prince et ses environs, le chaos était total hier dans la capitale haïtienne. Et alors que les premiers secours commençaient à arriver de l’étranger, coups de feu et scènes de pillage se mêlaient aux efforts des sauveteurs, sortant les survivants des immeubles effondrés à mains nues.

«J’ai vraiment de la peine à m’imaginer de quoi demain sera fait, tant ce qui se passe actuellement dépasse de loin ce que j’ai connu jusque-là.» Dans un témoignage aussi détaillé que bouleversant, qu’il est parvenu à envoyer par Internet, le Suisse Bernhard Zaugg, chef du programme d’Helvetas en Haïti, décrit ce «chaos à l’état pur» qui règne à Port-au-Prince.

Besoins immenses

Quant aux dégâts, écrit-il, ils sont «inimaginables». Dans le quartier populaire proche de son bureau, «près de 60% des maisons sont rasées». Il aperçoit ailleurs des habitants «abattus et résignés, sans ressources et abandonnés à eux-mêmes», qui errent par «dizaines de milliers», à la recherche de proches dont ils sont sans nouvelles.

Face à l’ampleur des destructions, explique Bernhard Zaugg, il n’est pas encore possible de faire une évaluation générale de la situation. «Je ne peux par conséquent pas dire pour le moment où et comment nous pouvons être le plus efficace en distribuant de l’aide d’urgence.» C’est que les besoins sont immenses pour cette population de près de 3 millions d’âmes, privée de tout et qui attend fébrilement soins, vivres et médicaments. Au milieu de cet enfer en enfer qu’est devenu Port-au-Prince, déjà l’une des villes les plus misérables au monde avant le séisme.

Et alors qu’il faudra sans doute plus d’une semaine pour pouvoir compter précisément le nombre de morts – de 40 000 à 100 000 selon les premières estimations – le Champ de Mars, célèbre avenue du centre-ville, a été transformé en un gigantesque camp de réfugiés dont beaucoup ont tout perdu: maisons, passé, famille.

«Ségné vin sové nou»

Terrorisés et démunis, de nombreux sinistrés s’en remettent à Dieu: «Ségné vin sové nou» (Seigneur, viens nous sauver), chantaient en chœur des milliers d’entre eux, rassemblés dans le noir à Pétionville, dans la banlieue de la capitale.

Plus loin, un nourrisson était sorti des décombres: «C’est la main de Dieu qui m’a guidé pour sauver ce bébé», assure Jeanwell Antoine, un habitant. Les bâtiments officiels broyés par la secousse, dont le Palais présidentiel et des ministères, trahissent l’impuissance des institutions, alors que plusieurs membres du gouvernement sont toujours portés disparus.

Huit hôpitaux endommagés

Le séisme a balayé des infrastructures clés, dont des installations électriques, plongeant Port-au-Prince dans l’obscurité et enfonçant le pays le plus pauvre du continent américain dans une misère encore plus aiguë. Mais surtout, dans cette ville où la santé est un luxe, au moins huit hôpitaux ont été endommagés ou détruits. Les blessés qui en ont la chance sont pris en charge par les équipes de Médecins sans frontières (MSF) dans deux établissements ayant résisté ou par des médecins cubains, présents avant la catastrophe, dans des hôpitaux de campagne.

Signe de l’extrême nervosité des habitants: des milliers de personnes paniquées ont tenté dans la nuit de mercredi à jeudi de rejoindre les hauteurs de Pétionville, après une rumeur annonçant l’arrivée d’un tsunami.

Et puis, surmontant leur douleur et leur hébétude, certains portent leurs morts jusqu’aux collines surplombant la ville pour les enterrer dans des cimetières de fortune. Face à cette situation, les Casques bleus de la Mission de l’ONU en Haïti (Minustah) ont demandé aux autorités locales de creuser un cimetière afin d’éviter l’apparition d’épidémies, sous des températures pouvant atteindre les 30 degrés.

Dans ce chaos, où la peur et la violence gagnent, policiers internationaux et Casques bleus tentent d’assurer un semblant de sécurité. Trente-six de leurs collègues onusiens ont trouvé la mort dans l’effondrement du QG des Nations Unies et environ 160 sont toujours portés disparus. Car, en ce mardi 12 janvier à Port-au-Prince, la mort a frappé sans faire de distinctions. A 16 h 53.

Internet pour seul lien avec le monde

Depuis mardi soir, la Toile est devenue le seul lien d’Haïti avec la planète. Les liaisons téléphoniques et l’électricité sont hors service, mais le Net fonctionne. Comment? Grâce aux liaisons satellite et à la résistance d’une partie du réseau face au puissant tremblement de terre. Quant aux ordinateurs et autres notebooks, ils sont tout simplement alimentés par des groupes électrogènes ou des batteries.

Peu après les premières secousses, les appels à l’aide et les premiers témoignages sur l’ampleur de la catastrophe sont parvenus grâce au Web. C’est aussi par mails ou messages déposés sur les sites de réseaux sociaux que la diaspora haïtienne a pu obtenir des nouvelles de ses proches.

Média à part entière

A Port-au-Prince, Twitter – le site de microblogging qui permet d’échanger de très courts textes via des SMS ou Internet – tourne à plein régime depuis trois jours. Ce réseau social est devenu la nouvelle plate-forme de communication des habitants de la capitale dévastée et un média à part entière. En attendant la venue des journalistes du monde entier, ces témoignages sont l’une des rares sources d’information. «Tout tombe. C’est grave…»

C’est par ces quelques mots envoyés par le journaliste haïtien Carel Pedre que le monde a appris la catastrophe en direct. L’animateur de Radio 1 Haïti est ensuite parvenu à transmettre les premières photos des décombres, prises avec son téléphone portable. En quelques heures, ses images ont fait le tour du monde. Rivé à sa webcam 24 h sur 24, il est devenu l’interlocuteur privilégié des médias internationaux. Depuis, une vingtaine d’autres internautes relient Haïti au reste du monde.

Journalistes locaux, écrivains, musiciens ou expatriés témoignent du drame en publiant des textes, des images ou des vidéos. A noter que c’est aussi par Internet que les appels à la solidarité se sont multipliés. Des dizaines de groupes d’aide aux victimes du séisme se sont créés sur Facebook. Pour mémoire, c’est également grâce à Internet que le monde a pu suivre les événements qui se sont déroulés en Iran en 2009.

Yannick Van der Schueren

Premières images du séisme transmises par Twitter. Le journaliste Carel Pedre a dévoilé en direct la catastrophe au monde. (afp/carel pedre/13 janvier 2010)



Les priorités de l’offensive militaro-humanitaire

Des moyens sans précédent sont mis en œuvre pour porter secours aux Haïtiens. Hier, Barack Obama s’est posé en leader de l’aide internationale en dressant un pont humanitaire entre les Etats-Unis et Haïti.

Des milliers de GI

«On ne va pas vous laisser seuls», a promis le président américain au cours d’une conférence de presse donnée depuis la Maison-Blanche. L’Amérique a envoyé un navire-hôpital équipé de 12 salles d’opération et de 1000 lits, avec en prime les moyens logistiques du porte-avions nucléaire USS Carl Vinson.

Une opération humanitaire conduite comme une opération militaire. Quelque 5000 hommes, dont 2200 marines, vont être déployés pour sécuriser les zones et aider les secours. Barack Obama a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 100 millions de dollars et promis d’ouvrir d’autres lignes de crédit pour aider à la reconstruction du pays. Des engagements forts pris auprès des Haïtiens. Pour le président des Etats-Unis, désormais chaque minute compte. Les premiers contingents américains ont débarqué hier.

Le pont aérien

Pour l’ensemble des humanitaires, la première des priorités consiste à organiser la rotation des avions-cargos qui transportent le matériel et les hommes.

Le tremblement de terre ayant détruit les installations de guidage, les pilotes doivent atterrir à vue. Donc uniquement de jour. L’aéroport, c’est aussi l’affaire des Américains. L’USAID répare les installations et organise la navigation aérienne. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU organise de son côté la collecte de l’aide et sa répartition depuis l’aéroport.

Par ce point névralgique vont passer les 40 tonnes de médicaments et de kits médicaux envoyés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), mais aussi les interminables contingents d’hommes et de matériel acheminés par les ONG et les Etats.

Dégager les survivants

A Genève, les responsables d’agences enchaînent les briefings au sein d’une «task force Haïti» avec une obsession: organiser et coordonner la mise en place des secours. Pour l’instant, le seul mot d’ordre, c’est «sauver des vies!» explique Elisabeth Byrs, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Plusieurs équipes spécialisées dans les catastrophes sont déjà sur place. Il va en arriver de tous les pays. Evacuer et soigner les survivants, c’est le premier acte.

L’aide alimentaire

Ensuite, il faudra organiser la distribution de l’aide alimentaire. C’est l’affaire du Programme alimentaire mondial (PAM) qui était sans nouvelles hier de ses employés sur place, ses bâtiments ayant été détruits. De nombreuses voies d’accès étant hors d’usage, l’acheminent des cargaisons de nourriture jusqu’aux victimes sera difficile.

Eviter les épidémies

Le rétablissement d’un réseau d’eau potable est l’autre grande priorité des secours. La destruction du réseau d’assainissement accroît le risque sanitaire. Après le tremblement de terre, la population se trouve exposée aux épidémies. Les infections sont la seconde cause de décès après une catastrophe. La communauté internationale n’a d’autre alternative que d’engager une thérapie lourde et des soins de longue durée.

Alain Jourdan

Quand les hôpitaux deviennent gonflables

En Haïti, comme lors de précédentes catastrophes majeures, les infrastructures médicales n’ont pas été épargnées, alors qu’elles sont plus que jamais indispensables. Pour pallier cette pénurie sanitaire, des hôpitaux démontables sont envoyés par des ONG.

Médecins sans frontières (MSF) a expédié hier soir son hôpital gonflable, d’une capacité de cent lits. Il s’agit d’une dizaine de tentes gonflables en PVC, d’une surface d’environ 100 m2 chacune. La structure totale, de près de 1000 m2, abrite, outre des salles d’hospitalisation, deux blocs opératoires, une salle de réanimation, une unité de soins intensifs, une salle d’urgences et une de radiographie. L’hôpital gonflable possède aussi un générateur électrique, la climatisation et son propre système de traitement et d’évacuation de l’eau. Il peut être équipé de réservoirs d’eau souples (bladder tanks). Le tout est monté en deux à trois jours.

Cette installation est très rarement utilisée dans son entier. Ce fut le cas après le tsunami de Noël 2004 et après le tremblement de terre au Pakistan. MSF Belgique possède une structure similaire, mais faite de containers pliables. Certaines fédérations nationales de la Croix-Rouge en ont également, notamment la canadienne et la norvégienne. Un hôpital démontable en dur sera ainsi envoyé dans les 48 heures.

Antoine Grosjean


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