Jeudi 23 janvier 2025

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Catastrophe naturelle - SÉISME DE 2010: Le récit de Julie Rozé

Haïti sombre dans le chaos : le récit d'une française

Julie Rozé, originaire de Marseille, vit dans le sud d'Haïti, à Jacmel, où elle est coopérante à la Délégation catholique pour la coopération. Elle vient de nous faire parvenir ce récit.
"Je suis ressortissante française, professeur de piano à l’école de musique de Jacmel. Quand la catastrophe s’est produite, j’étais en dehors de la ville, je revenais de Marigot (petite ville à quelques kilomètres sur la côte où je vais donner des cours de piano le mardi après-midi), dans un tap-tap. Je n’ai pas senti la secousse, mais on a vu des bouts de roches en travers de la route. J’ai pensé à des éboulements, puis on a commencé à voir les gens sortir sur la route, dire qu’il y avait eu un accident, et au fur et à mesure qu’on approchait de Jacmel on comprenait et réalisait ce qui se passait.

Une amie française à Jacmel m’a appelé pour me dire qu’elle n’avait plus de maison : elle était chez elle quand sa maison s’est écroulée ! Elle s’est accrochée à la fenêtre et s’en est miraculeusement sortie avec trois égratignures ! Moi-même j’ai pu joindre mon colocataire, heureusement ma maison n’avait rien. J’ai rejoint le centre-ville et retrouvé deux de mes colocataires. Il y avait des gravats partout, tout le monde était dehors, à moitié hébété, cherchant des proches, rejoignant sa maison.

Mais dans l’ensemble, les gens restaient calmes. Ils ont commencé à affluer sur la place de l’hôtel de ville. Certains groupes se sont mis spontanément à chanter des prières. Les gens en appelaient à Jésus et réclamaient miséricorde, les bras levés au ciel. Il y avait encore quelques secousses.

Finalement, avec le petit groupe dans lequel j’étais (mes trois colocataires haïtiens et mon amie française), nous avons rejoint le terrain d’aviation de la ville, un peu plus éloigné de la mer, car nous craignions un raz de marée. D’ailleurs une voiture de police enjoignait la population à rejoindre ce terrain pour passer la nuit, disant que la Minustah pouvait nous y accueillir.

Sur la route nous avons trouvé une femme qui avait visiblement tout perdu, elle marchait nu-pieds, ses cheveux étaient pleins de poussière, elle avait des blessures sur le corps. En arrivant sur le terrain, j’ai demandé à un soldat de la Minustah s’il y avait une infirmerie, mais il m’a répondu que non, que pour l’instant il n’y avait rien, et qu’il y avait des problèmes de communications entre les Sri-Lankais et je ne sais plus quelles autres nationalités ! Une policière m’a dit, "mais il y a l’hôpital", sans savoir que celui-ci était à moitié détruit !

Tout le monde est étendu par terre sur des draps de fortune. La Minsutah a mis quatre heures pour monter deux tentes, finalement vers une heure et demie du matin, ils ont distribué de l’eau et des biscuits.

Le lendemain tout le monde a réintégré son quartier. Mais les gens continuent à dormir dehors. Il y a encore de petites secousses. Le bas de la ville (les quartiers du bord de mer) est très touché. Beaucoup de maisons sont totalement détruites. Deux écoles se sont écroulées sur les élèves. Il n’y aurait quasiment pas de rescapés. Ici les cours ont lieu surtout le matin jusque vers 13/14 h, il y a quelques vacations l’après-midi. Si le tremblement de terre avait eu lieu trois heures avant, ça aurait été une catastrophe encore bien plus affreuse pour toute la ville.

Je n’ai pas de proches gravement touchés par la catastrophe mais je ne connais pas encore le sort de tous mes élèves, et les nouvelles des uns et des autres arrivent au compte-gouttes, c’est cela qui est terrible ; on apprend qu’un tel a disparu, un tel va bien, un tel a perdu sa maison… C’est la loterie. On est encore très inquiets pour les gens qu’on connaît à Port-au-Prince car le téléphone ne fonctionne pas.

Maintenant le plus dur reste à venir. Quand même c’est fou car les gens restent calmes, ils sont fatigués mais souriants, demandent des nouvelles de chacun. Vraiment, personne ne s’énerve. Autour de moi je n’ai ressenti aucune colère, juste de l’accablement, de la tristesse, de la fatigue aussi, mais aussi pour les rescapés, le soulagement de se retrouver ensemble et sain et sauf.

Voilà, dans la ville les patrouilles de la Minustah se baladent dans leurs voitures avec leurs habits militaires et leurs fusils… disons que pour l’instant je ne comprends pas bien ce qu’ils font. C’est une force militaire, pas de secours, de plus ils ont perdu leur tête pensante dans la catastrophe (à Port-au-Prince) et semblent totalement désorganisés et dépassés par la situation.

La route vers Port-au-Prince (la seule qui amène à Jacmel) est coupée. On ne sait pas quand les ravitaillements vont venir. Il y a déjà de grosses difficultés à trouver de l’eau potable. Tout le monde se rue sur l’essence… Le marché, lui, fonctionne, les paysans viennent vendre leurs produits.

Je ne sais pas quoi dire de plus pour l’instant. Tout le monde reste sur le qui-vive, moi je suis inquiète quant à la possibilité qu’il y ait un autre séisme, ce matin encore il y avait des petites secousses.

J’utilise Internet chez le consul, M. Borne, directeur de l’école Alcibiade. Il n’y a pas d’autres postes ni réseau ailleurs, a priori."


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