Mort d'Oussama ben Laden - Ben Laden se terrait au coeur d'une ville-garnison au Pakistan
Par Radio-Canada | Radio Canada – mar. 3 mai 2011 10:24 HAE
Le complexe d'Abbottabad dans lequel Oussama ben Laden a été tué d'une balle dans la tête par un commando des forces spéciales de la marine américaine était situé tout près de la principale académie militaire du Pakistan, à environ une heure de route de la capitale pakistanaise, Islamabad.
Selon le récit fait par un responsable américain au New York Times, il s'agissait d'un complexe « extraordinaire », occupant un terrain « huit fois plus grand que les autres maisons du quartier », ceinturé de murs hauts de 5,5 mètres surmontés de barbelés, et dans lequel on ne pouvait entrer que par « deux portails sécurisés ».
Le complexe, évalué à 1 million de dollars, aurait été construit en 2005, au bout d'une route en terre. Il ne disposait pas de ligne téléphonique ni d'un accès à Internet.
Mais comment les Américains ont-ils réussi à localiser ce complexe? Selon un responsable de l'administration Obama, la piste qui a permis à des agents du renseignement de trouver Ben Laden a été recueillie lors d'interrogatoires dans des prisons secrètes de la CIA.
Selon plusieurs responsables américains, le cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, Khalid Cheikh Mohammed, a lui-même fourni le nom de guerre de l'un des plus fidèles lieutenants de Ben Laden. Le successeur de Khalid Cheikh Mohammed, Abou Faraj al-Libi, a également fourni des informations précieuses au service du renseignement américain. Ils ont tous deux été soumis à des techniques poussées d'interrogatoire dans les prisons secrètes de Pologne et de Roumanie.
Le véritable nom du messager aurait été découvert il y a quatre ans, mais il a fallu deux ans de plus avant de connaître la région où ce messager était actif. C'est ce messager qui aurait finalement mené les agents américains au complexe d'Abbottabad, à environ 60 km d'Islamabad, en août 2010.
Après de longues vérifications, le président Obama aurait été convaincu, ce printemps, de l'opportunité de passer à l'action. Selon le New York Times, le président américain a tenu la première de cinq réunions de son Conseil de sécurité à ce sujet le 14 mars dernier.
Les méthodes utilisées pour recueillir les informations qui ont mené à l'exécution de Ben Laden risquent de relancer le débat sur le programme de détention et d'interrogatoire instauré par le président Georges W. Bush dans le cadre de la lutte au terrorisme. Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, le président Bush avait autorisé la CIA à utiliser des méthodes d'interrogatoires les plus dures de l'histoire des États-Unis. Certaines de ces pratiques s'apparentent à de la torture. Son successeur, Barack Obama, a mis un terme au programme des prisons secrètes.
Feu vert aux Navy Seals
L'approbation aurait été donnée vendredi dernier par le président Obama, et ni le Pakistan ni aucun autre pays n'auraient été mis dans le coup. L'opération a été menée dimanche par les Navy Seals, placés pour l'occasion sous la supervision du patron de la CIA, Leon Panetta.
L'opération, qui aurait duré 40 minutes, a été suivie en direct par M. Panetta et d'autres responsables des services de renseignement, réunis dans une salle de conférence au siège de la CIA à Langley, en Virginie.
Cinq personnes, dont Oussama ben Laden et un de ses fils, ont été tuées. Deux autres hommes, vraisemblablement des messagers d'Oussama ben Laden, ont aussi perdu la vie, tout comme une femme utilisée comme bouclier par un homme, selon des responsables américains. Aucun Américain n'a perdu la vie lors de l'opération.
Le commando qui a mené l'assaut contre la villa aurait été prêt à capturer le terroriste vivant s'il avait consenti à se rendre, selon un responsable américain. Mais Ben Laden aurait résisté et il est mort au cours d'une fusillade.
Un hélicoptère a été perdu lors de l'opération en raison d'une panne mécanique, ce qui a obligé tous les membres du commando à prendre place dans l'autre appareil utilisé pour cette opération.
Toujours selon le Times, le président Obama aurait été informé de l'identification du corps d'Oussama ben Laden dimanche, vers 15 h 50, vraisemblablement après avoir reçu une preuve d'ADN.
Un haut responsable américain a déclaré à l'AFP lundi que de l'ADN prélevé sur le corps d'une des personnes tuées « correspond à celui de plusieurs membres de la famille de Ben Laden. La probabilité que l'ADN soit celui de Ben Laden est d'au moins 99 % », a-t-il dit.
Selon un haut responsable américain de la Défense, une cérémonie funéraire a eu lieu sur le pont du porte-avions américain Carl-Vinson, en mer d'Oman, avant que le corps ne soit jeté à la mer.
Quelques heures après l'annonce de la mort d'Oussama ben Laden, le FBI a actualisé sa liste des « terroristes les plus recherchés », où il figurait en première place. La photo du chef d'Al-Qaïda a été barrée d'un bandeau rouge « décédé ».
Des images du complexe diffusées par la chaîne ABC montrent des traces de sang sur le sol, des meubles renversés et plusieurs ordinateurs dont les disques durs ont été arrachés. On peut aussi apercevoir un gros trou dans le mur extérieur de la maison, à travers lequel on voit un lit surélevé défoncé.
Pour l'instant, aucune image d'Oussama ben Laden n'a été diffusée.
La « coopération » du Pakistan
La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a fait état de la coopération du Pakistan au cours de l'opération de localisation de Ben Laden. « Notre coopération avec le Pakistan dans l'antiterrorisme pendant de nombreuses années a grandement contribué à nos efforts pour désarmer Al-Qaïda », a assuré Mme Clinton.
« De fait, la coopération avec le Pakistan a aidé à nous mettre sur la voie de Ben Laden et du complexe dans lequel il se cachait », a-t-elle ajouté.
Dans les faits, la présence d'Oussama ben Laden dans un impressionnant complexe au coeur d'une ville-garnison près d'Islamabad ravive les doutes sur l'authenticité des efforts du Pakistan dans sa lutte contre Al-Qaïda.
Une authenticité remise en question publiquement par Mme Clinton en octobre 2009 au cours d'un voyage au Pakistan. « Al-Qaïda a trouvé abri au Pakistan depuis 2002. Je trouve difficile à croire que personne dans votre gouvernement ne sache où ils sont, ni ne puisse les arrêter s'il le voulait vraiment », avait-elle lancé.
Radio-Canada.ca avec AFP et New York Times
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Embarras au Pakistan après la mort de Ben Laden
Par Mark Hosenball et Kamran Haider | Reuters 3 mai 2011
WASHINGTON/ABBOTTABAD, Pakistan (Reuters) - Le président pakistanais s'est efforcé mardi de dissiper les soupçons qui pèsent sur l'attitude de son gouvernement à l'égard d'Oussama ben Laden, tout en reconnaissant ne pas avoir été informé de l'opération américaine qui a coûté la vie au chef d'Al Qaïda.
Selon le directeur sortant de la CIA, Leon Panetta, qui s'exprime mardi dans la revue "Time", les autorités américaines craignaient que le Pakistan ne compromette l'opération en "alertant les cibles".
L'homme le plus recherché de la planète depuis une décennie a été abattu dans la luxueuse résidence qu'il occupait à Abbottabad, ville de garnison située à une soixantaine de km au nord d'Islamabad, la capitale. Ces révélations ont amené de nombreux élus américains à demander une suspension de l'aide américaine au Pakistan.
Les premières explications du président Asif Ali Zardari, livré dans une tribune publiée par le Washington Post, n'ont guère dissipé les soupçons.
"Certains, dans la presse américaine, ont suggéré que le Pakistan manquait de vitalité dans la lutte contre le terrorisme ou, pire, que nous manquions de sincérité et que nous protégions les terroristes que nous prétendons poursuivre. De telles spéculations infondées aiguisent peut-être la curiosité des chaînes d'informations câblées, mais elles ne reflètent pas les faits", écrit-il.
La situation géographique du repaire où le chef de file d'Al Qaïda se cachait peut-être depuis cinq ou six ans pose l'embarrassante question de l'efficacité de l'armée et du renseignement pakistanais ou même de leur éventuelle complicité.
Le Pakistan entretient de longue date des relations ambiguës avec certains extrémistes islamistes qu'il a abrités pour des raisons stratégiques dans le contentieux persistant qui l'oppose à son voisin indien. Cette crainte envers l'Inde explique son soutien aux taliban afghans ainsi qu'aux séparatistes du Cachemire.
DES PHOTOS DE L'IMMERSION BIENTÔT DIFFUSÉES
La méfiance que ces liens ont suscitée à Washington a sans doute pesé dans la décision de ne pas informer à l'avance Islamabad de l'opération contre le repaire de Ben Laden.
Tout comme le chef de l'Etat, le ministère des Affaires étrangères a reconnu avoir été tenu dans l'ignorance, mais assure que les services de renseignement pakistanais échangeaient depuis 2009 des informations au sujet de la résidence d'Abbottabad avec la CIA.
Regrettant de ne pas avoir été prévenu, le ministère dit avoir exprimé sa "profonde préoccupation" aux Etats-Unis.
Oussama ben Laden "ne se trouvait pas où nous ne pensions, mais, désormais, il n'est plus", poursuit Asif Ali Zardari dans sa tribune.
"Bien que l'opération de dimanche n'ait pas été une action conjointe, une décennie de coopération et de partenariat entre les Etats-Unis et le Pakistan a conduit à l'élimination d'Oussama ben Laden comme menace persistante pour le monde civilisé", souligne-t-il, sans plus d'argument pour la défense de ses services de sécurité et de renseignement.
Les taliban afghans ont quant eux émis mardi des doutes sur la mort de celui fut qu'ils ont accueilli à la fin années 1990.
A Washington, John Brennan, conseiller de Barack Obama pour la lutte antiterroriste, a déclaré que des photos de l'immersion en mer du corps de Ben Laden pourraient être diffusées prochainement.
Si sa disparition est sans conteste une victoire personnelle pour Barack Obama, qui briguera un nouveau mandant dans un peu moins d'un an, son administration va devoir composer avec le mécontentement des parlementaires qui jugent le moment venu de revoir l'aide financière et militaire fournie au Pakistan. Elle s'élève à 20 milliards de dollars depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Quant aux Américains, 39% d'entre eux déclarent que leur opinion à l'égard de Barack Obama s'est améliorée depuis l'annonce de la mort d'Oussama ben Laden, selon un sondage Reuters/Ipsos Mori.
Pierre Sérisier et Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Jean-Loup Fiévet