Kanye West, le "boss" du rap américain
New York Envoyée spéciale - Kanye West, 33 ans, est au hip-hop américain ce que Martin Luther fut au christianisme ! Après lui, tout a changé : un nouveau rap, souverain et très électronique, a émergé. Kanye se prononce "Kaaniyé" - ce détail phonétique est précisé sur toutes les notices biographiques.
Le chemin pour arriver jusqu'à Kanye Omari West est balisé. Le lancement de My Beautiful Dark Twisted Fantasy, son 5e album, prévu le 22 novembre, a été assorti d'une campagne quasi présidentielle pour le titre de "boss" du rap américain, producteur de hip-hop et multimillionnaire du disque depuis 2004.Pour le précédent disque, 808s & Heartbreak (2008), Kanye avait tourné le dos aux médias, gardé un profil de musicien absorbé par ses dons. Pour My Beautiful Dark Twisted Fantasy, les choses ont changé : les disquaires ont disparu ; tout passe par iTunes et les magasins Walmart. Et Kanye West est au centre de polémiques qui sont à la fois sa force de frappe et son talon d'Achille.
En septembre 2005, lors d'un téléthon organisé par NBC en faveur des victimes de l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, Kanye West avait dévié du texte du prompteur, déclarant devant des millions d'Américains tétanisés : "Je déteste la façon dont les médias nous traitent. On voit une famille noire, on dit : ils sont en train de voler. On voit une famille blanche, on dit : ils ont trouvé de la nourriture." Et d'ajouter, avant d'être coupé au profit d'un chanteur country : "Bush se fout complètement des Noirs." Personne n'en était sorti indemne. Le potentiel rassembleur du rappeur avait été écorné, et George W. Bush avait très mal vécu d'être traité de raciste par un des plus célèbres Afro-Américains du pays, comme il le révèle dans Decision Points, son livre de mémoires.
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Tandis que l'ancien président des Etats-Unis s'occupe du lancement desdites mémoires, Kanye West, barbiche taillée au millimètre, s'attache à celui de son album. Exposé sur iTunes au printemps, le titre Power est doublé d'un clip d'une " noirceur apocalyptique", selon son réalisateur, l'Italo-Canadien Marco Brambilla.
Kanye West, qui a aussi investi dans la mode, y apparaît harnaché d'une lourde chaîne, menacé d'une épée de Damoclès, entouré de créatures ailées et nues, sur fond de civilisation chancelante. " Kanye West y est une idole qui tombe", métaphore de la célébrité au XXIe siècle, a expliqué M. Brambrilla au New York Times. Power était un amuse-gueule, en attendant Runaway, 35 minutes de clip délirant, bâti sur le modèle de Ghosts, 39 minutes de délire de Michael Jackson (1997).
" Ce type est fou, c'est son métier. My Beautiful Dark Twisted Fantasy flirte avec des niveaux héroïques de démence", lit-on dans Rolling Stone de novembre. L'album a fait l'objet de cinq projets de pochette, réalisés par le peintre américain George Condo (qui fut lié à la Beat Generation puis à la Factory d'Andy Warhol). Au final, l'image choisie pour My Beautifuk Dark Twisted Fantasy sera celle d'une danseuse à moustaches en tutu noir, une coupe à la main.
Le premier projet avait été, selon le rappeur, qui use et abuse du réseau Twitter, ameutant plus de 200 000 "suiveurs" par jour, "censuré par les autorités américaines". On ne voit pas trop pourquoi : icône noire, il y figure nu, bouteille à la main, lascivement chevauché par une créature blanche, portant des ailes à la place des bras, sans attributs sexuels révélés. Dans un autre dessin de George Condo, Kanye West a un visage brun déstructuré, bardé de sourires blancs et diamantés (le diamant était un accessoire courant chez les rappeurs, avant que leur provenance "néocoloniale", générant des guerres fratricides, en Sierra Leone par exemple, ne soit dénoncée par une partie de la communauté afro-américaine).
Né à Atlanta en 1977, Kanye West est le fils d'un Black Panthers, Ray West, qui fut le premier photographe noir du quotidien Atlanta Journal Constitution et d'une mère célibataire, Donda West, professeur à l'Université de Chicago, décédée en 2007 après une opération de chirurgie esthétique - une nouvelle étape dans le calvaire du rappeur.
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En 2006, Kanye West était apparu en "une" de Rolling Stone, photographié par David La Chapelle en Christ noir, couronne d'épines sur la tête, avec ce titre : "La passion de Kanye West". Mais sa véritable Passion eut lieu le 11 novembre sur NBC. Au "Today" de Matt Lauer, où il est invité à s'expliquer sur l'affaire Bush, le rappeur s'excuse, bredouille qu'il a parlé sous le coup de l'émotion. Puis s'énerve, déstabilisé, dira-t-il sur Twitter, par la diffusion dans son oreillette de la bande-son d'un coup d'éclat qui lui valut d'être traité de "jackass" (abruti) par l'une de ses idoles, le président Obama. En septembre 2009, lors de la remise des trophées des MTV Video Awards, Kanye West avait arraché le micro des mains de la gagnante, la blonde chanteuse de country Taylor Swift, et avait crié à l'injustice : selon lui, c'est l'Afro-Américaine Beyoncé qui aurait dû gagner. N'est-ce pas raciste, persifle Matt Lauer ? Kanye West se retourne sur le plateau, demande vertement à quelqu'un de se taire. A qui ? A son conseil en communication, révèle ArtsBeat, le blog culture du New York Times. Pour ce débat, et à une semaine de la sortie de son "chef-d'oeuvre", M. West s'est adjoint les services de la société de conseils Rubenstein Communications, qui compte parmi ses clients le New York Philarmonic ou l'hôpital Mount Sinai.
Véronique Mortaigne
