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Histoire - « L’homme du Moyen Age était optimiste ! » Par Alain Erlande-Brandenburg, Historien

Source: DNA
Alain Erlande-Brandenburg décrypte notre perception du Moyen Age et raconte l’histoire de la construction des cathédrales, une aventure retracée par la nouvelle collection des Éditions La Nuée Bleue (*).

Quelle est la place du Moyen Age dans notre imaginaire ?
La place du Moyen Age dans l’imaginaire actuel est le fruit du travail des historiens du XIX e siècle, et notamment de Jules Michelet. Ils ont apporté une vision idyllique et héroïque de cette période de l’Histoire de France. L’homme du Moyen Age était à leurs yeux un guerrier juste, maîtrisant aussi bien la nature que les adversités. Cette vision a ensuite été revisitée par les chercheurs contemporains qui, à la lumière du marxisme notamment, ont éclairé les aspects sociaux, moraux et historiques du Moyen Age. Aujourd’hui, la synthèse des travaux historiques permet d’avoir une vision plus véridique de la période médiévale, celle d’une époque où se mêlent le plus horrible comme le plus admirable. Le Moyen Age a connu des périodes difficiles, mais aussi des périodes fastes, notamment autour de l’an mil où l’homme établit un nouveau rapport à son environnement. Le signe de cette vitalité est une démographie galopante.

La cathédrale va être construite de façon aussi somptueuse que les thermes ou le forum

Autour de l’an mil, les villes comme le monde rural se repeuplent. L’économie bascule. L’horizon de l’homme du Moyen Age se prolonge à travers des expéditions maritimes commerciales vers le Nord. Cette volonté de conquête est un signe de croyance en la vie. Les plus compétents et les plus téméraires font des fortunes. L’architecture s’en ressent : on abandonne les maisons en bois pour des constructions en pierre. Certaines villes, comme Paris, prennent un rôle de leader. La cour française s’y installe et la ville devient capitale de la France sous Philippe Auguste au XIIe siècle.
Peut-on peut parler du Moyen Age ou faut-il plutôt évoquer des Moyen Age ?
Je pense qu’il faut parler du Moyen Age. Au-delà des inégalités sociales et géographiques, le caractère essentiel de cette période est l’optimisme. Cet optimisme tire sa source dans la religion. Le christianisme a profondément marqué la période médiévale. C’est une religion d’espoir. Elle promet le paradis à ceux qui respectent la morale. C’est un espoir essentiel !
La construction des cathédrales épouse ce mouvement ?
Les premières cathédrales ont été construites par l’empereur romain Constantin, au moment de l’édit de tolérance en 312 qui reconnaît aux chrétiens la liberté d’exercer leur religion. Constantin installe l’évêque au sein de la ville, un choix essentiel qui va être le fil rouge de la création des cathédrales. La ville au IV e siècle est encore de tradition antique. La cathédrale va être construite de façon aussi somptueuse que les thermes ou le forum. Constantin veut sortir les chrétiens de leurs mystères pour que le culte soit public, avec pour objectif de familiariser les Romains avec cette nouvelle religion apaisée et d’inscrire les chrétiens dans une société qu’ils respectent même s’ils veulent l’amender. Dès la fin du IV e, l’empereur a réussi son pari : il y a une adéquation entre le chrétien et le citoyen romain.
La deuxième phase de l’histoire des cathédrales intervient avec l’arrivée des barbares aux frontières de l’Empire romain. Les barbares sont les hommes et les femmes qui ne parlent pas latin. Clovis, le roi franc, est le premier à se convertir au christianisme. Les royaumes barbares deviennent alors des royaumes chrétiens, où le roi devient un successeur de l’empereur. Il prend la suite de sa politique de construction, mais presque tout le panorama architectural des cathédrales est antérieur aux barbares. Quand Clovis arrive à Paris, il découvre stupéfait la cathédrale Notre-Dame, monument romain en marbre de 120 mètres de long. Elle existait ainsi jusqu’au XII e siècle où elle a été rasée.
Comment évoluent les cathédrales au Moyen Age ?
L’évolution de la cathédrale épouse celle de la société. La cathédrale reste citadine. Lorsque la situation est difficile, les villes se vident, et les évêques laissent leurs cathédrales se déliter. Lorsque la situation s’améliore, les villes se repeuplent et deviennent riches. Les cathédrales bénéficient de cette croissance. Après le renouveau de l’an mil : les cathédrales sont remises en état ou reconstruites en pierre. Les évêques veulent les meilleurs matériaux pour les édifices. On fait appel à des professionnels de haut niveau. L’architecture rompt totalement avec l’ordinaire : il faut que l’édifice de culte destiné à l’ensemble des fidèles du diocèse soit à l’image de Dieu ! Les exemples de Chartres et de Rouen sont représentatifs de cette exigence.
Par ailleurs, les cathédrales sortent de terre dans des villes désertifiées en cours de repeuplement. La ville se reconstruit autour d’elles. La cathédrale est comme la poule qui veille sur ses poussins, les fidèles, habitants de la ville.

Les évêques -des intellectuels inscrits dans la réalité- sentent un mouvement de fond dans la société

Sur quelle période s’étend le renouveau des cathédrales ?
Le mouvement démarre avec Chartres à partir de 1 140. Au milieu du XII e siècle, qui marque le début de la période gothique, la construction des cathédrales est un mouvement qui prend des dimensions énormes dans la France du Nord. Il est difficile pour l’historien de déterminer le phénomène de manière précise mais à partir de ce moment, on observe de nombreuses constructions dans un périmètre de 150 kilomètres autour de Paris. Les évêques, qui sont des intellectuels inscrits dans la réalité, sentent un mouvement de fond dans la société autour du christianisme et veulent conquérir les fidèles. Pour cela, il faut les séduire. L’art, c’est la beauté et l’habileté. Ils veulent ériger des bâtiments neufs qui donnent une image attractive de l’église.
Le mouvement qui commence par la France du Nord s’étend ensuite à celle du midi à partir de Clermont et Bordeaux. À la même époque, cette impulsion touche aussi l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. Ce mouvement va durer jusqu’en 1 240. L’élan s’arrête ensuite puis reprend à l’extrême fin du Moyen Age, en lien avec un boom démographique et économique qui touche l’Espagne et le Portugal. La période faste des constructions touche à son terme. Elles seront ensuite sporadiques.
Qu’en est-il de l’époque contemporaine ?
La situation dépend des pays. Dans les pays émergents, la construction d’une cathédrale est un acte politique, comme celle de Brasilia qui accompagnait la volonté de déplacer la capitale du Brésil. De même, dans les pays de l’Est, les cathédrales ont été érigées après avoir disparu sous le communisme. Enfin, il peut s’agir de cas isolés dans un mouvement de reconquête des cœurs des fidèles comme la cathédrale d’Évry, en banlieue parisienne, qui n’a pas eu le succès espéré.
Propos recueillis par Élodie Bécu