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Cinéma - Black Swan: le reflet de l'épineuse perfection par Jimmy Chartrand

Source: voir.ca
Certainement qu'on ne fait pas dans la dentelle ici et qu'il n'y a pas exécution de la plus grande subtilité dans les métaphores, pourtant, dans ce savant exercice de style qui se veut synthèse de la carrière déjà impressionnante du réalisateur, il faudra s'avouer que Black Swan ne sera pas seulement qu'efficace, il sera également divin.

À peine âgé de sa quarantaine, Darren Aronofsky en aura fait du chemin depuis son intriguant, mais non moins intéressant Pi. D'abord, il aura redéfini les limites du montage à travers un trip inoubliable dans les bas-fonds de l'enfer de la drogue avec Requiem for a Dream. Puis, il nous aura entraîné dans des univers indescriptibles dans cette quête sur l'immortalité pour contrer la mort et la maladie au seul nom de l'amour dans le sublissime, mais sous-estimé The Foutain. Ensuite, il aura atteint son oeuvre la plus minimaliste, mais également, peut-être la plus dure en s'enfonçant dans la vie d'un lutteur déchu qui tente tant bien que mal de redorer sa vie avant que celle-ci ne l'abandonne, si ce n'est déjà fait, dans le poignant The Wrestler.

S'il abordera son plus récent long-métrage avec sa maturité acquise au bout de ces quatre films dignes de mention, il retournera vers le caractère juvénile de ses premières oeuvres pour s'offrir une expérience hallucinogène dans les méandres de l'esprit, frôlant avec un plaisir certain les bases de l'horreur, camouflées sous un foudroyant thriller psychologique.

Situant le tout dans le monde aussi exigeant qu'élégant du ballet, il lui fallait évidemment tout cet univers de tension et de pression pour venir à bout de ses désirs les plus chers. (Inutile de mentionner qu'à plus d'un moment les possibles attentes sont détournés pour toujours mener vers des sentiers inattendus le film qui semblait être tout autre chose aux premiers abords.) S'intéressant à nouveau à cette ambition d'atteindre une quête apparemment inaccessible (ici, la perfection), tout comme cette façon d'accéder à l'aliénation, Aronofsky se livre sans concession dans les tourments les plus profondément ancrés de l'être humain. Que ce soit dans ce désir de performance, de cet esprit compétitif que tout un chacun a d'enfoui ici ou là, ou dans cet isolement inévitable qu'on s'impose à un moment ou un autre, par dévotion à un espoir profond.



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Le cas qui nous intéresse? Celui de Nina. Jeune fille sage, modèle, bien élevée, apparemment sans failles. Élégante, séduisante, mais surtout, naïve. Est-ce sa faute? On aura tout le film pour le déterminer pour changer d'idée, de perception, mais même là...

Sur le déclin, la compagnie est prête à tout pour redorer son image et raviver l'intérêt du public pour le ballet. Sous la gouverne de l'impitoyable séducteur Thomas Leroy, la nouvelle saison devra donc se débuter par une revisite risquée de l'intemporel Lac des cygnes de Tchaïkovsky. Pourtant, visant le sommet, un premier obstacle fera apparition pour notre douce protagoniste. Le prestigieux titre ne nécessite pas seulement la grâce et l'élégance, mais également un double rôle, une deuxième facette, celle du cygne noir, qui doit évoquer tout ce que l'autre n'est pas et du coup, tout ce qui Nina n'est ou ne semble pas être. Malgré tout, coup de théâtre oblige, elle obtiendra le rôle et, tout en se mettant à dos la vie en soi, elle s'enfoncera toujours plus loin dans cette virée hypnotique vers, pour elle, la perfection, pour lui, son côté sombre, pour les autres, la satisfaction et ses rivales.. L'humiliation (ou le déclin avant l'heure tant souhaité).

Comme on s'en doute, ce périple ne sera pas des plus simples ni de tout repos. Victime d'un univers castrateur par sa mère mystérieuse et plutôt inquiétante, Nina aura du mal à visualiser et à accéder ce qu'on attend d'elle. Envahie d'un dépassement de soi qui la poussera à bout sans pour autant atteindre ce qui est demandé, elle sera également tiré par des alliés ou des opposants dans le sombre monde réel qu'elle évite depuis toujours.

Par contre, si la montée est indéniable, d'où la terrible efficacité de la chute (dans tous les sens du termes) finale, on ne s'empresse par pour autant pour en brusquer sans classe l'ensemble. Au contraire, on préfère dans un premier temps prendre la peine d'établir puis entretenir avec intelligence l'ambiance et l'atmosphère du film pour, avec soins, apporter peu à peu les nouveaux tons abordés par celui-ci.

Dès lors, dans ce vicieux coming-of-age inattendu et surtout, après l'âge, Aronofsky met à profit toute l'ingéniosité de ses talents de metteur en scène. Retournant à la caméra minimaliste de son The Wrestler, tout en épousant son regard conscientisé sur la réalité frappante de l'artiste dévoué, il en profite également pour brosser un nombre épatant de thèmes et de sujets tous plus nécessaires les uns des autres. Entre abus et séduction, amitié et rivalité, jeunesse et vieillesse, et j'en passe, il faut vivre avec intensité ces quelques rares scènes laissant émerger une Winona Ryder ravagée en ballerine déchue, mais pas pour autant apaisée confrontant avec férocité notre Nina.

Du coup, côté performances, si Vincent Cassel, accessoire, mais essentiel, est d'une perversité diaboliquement malsaine, que Barbara Hershey se veut d'une terrifiante parentalité, en plus de cette Mila Kunis sensuellement désinvolte, c'est décidément Natalie Portman qui récolte tous les lauriers. Dans sa façon exemplaire d'interpréter avec nuance et puissance une jeune fille innocente (aspect qui lui convient, mais dont elle s'est déjà détachée depuis longtemps) qui s'enfonce peu à peu, avec réticence toutefois, dans les méandres débauchés du monde adulte, la belle impressionne.

Il faut admettre que la caméra rapprochée la met sensuellement en valeur et que le film ne manque pas de volupté. Tournoyant et mouvant avec elle peu importe les mouvements qu'elle peut bien exécuter, seule ou accompagnée, on s'étourdit avec plaisir dans ce tourbillon d'inquiétudes. Sans oublier qu'Aronofsky se lance à fond dans les épatants et habiles jeux de miroir reflétant constamment les mirages du double, de l'alter ego, ne manquant pas d'accentuer l'ambiguïté d'ensemble et son caractère aussi obsédant qu'obsessionnel.

Mieux encore, l'histoire fait usage en mise en abyme de l'histoire même du Lac des cygnes pour enrichir avec encore plus de brio la qualité déjà remarquable du long-métrage.



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Ainsi, totalement omnubilé, sous le charme, pris d'un vertige dont on ne veut plus se défaire, le film s'immisce dans notre esprit pour ne plus le quitter. L'univers, oppressant à plus d'un niveau, se voit bénéficier de cette direction artistique exemplaire, de ce travail sonore à faire frissonner, tout comme de la remarquable (comme à l'habitude) trame sonore de Clint Mansell qui s'est lancé dans la lourde tâche de remanier à sa guise Tchaïkovsky. Le charme opère et l'usage d'effets spéciaux, vibrants, au lieu de nous pousser au décrochage, à l'inverse, ne font que raviver avec prestance l'angoisse qui ne cesse de nous prendre par en dedans.

Malveillant, mais également jouïssif tout autant que captivant et sadiquement humoristique à ses heures, offrant probablement le trip mental cinématographique le plus savoureux de l'année, bien qu'il reste mineur dans sa filmographie découlant du fait qu'il ne ressasse qu'avec brio tout ce qu'il a déjà établi par le passé, Black Swan continue le parcours sans failles du passionnant Aronofsky. Au risque d'en dire trop, ne reste plus qu'à cesser d'en vanter les mérites et de se lancer ou de relancer dans cette terrible danse.