Je tiens ma promesse de tirer, dès ce second recueil, l'histoire du retour de la lodyans à Cuba. Mon ami de Santiago y tenait mordicus, comme signe d'un temps nouveau à l'horizon, en ce jour où une clameur parcourut tout l'archipel isléen, de la bouche grande ouverte de l'Orénoque à la langue étirée de la Floride. Cuba est revenue! Cuba est revenue! scandaient les écolières qui, de toutes les cours de récréation de Trinidad aux Bahamas, auraient vu passer le long de l'arc antillais la grande île voûtée. Elle s'en fut chez elle juste à temps pour recevoir la visite du Pape en personne. Et voilà qu'avec ce retour, la lodyans bâillonnée reprenait immédiatement son droit de parole caraïbe pour dire l'alpha et l'oméga de cette visite dans un raccourci dont seule elle avait gardé en mémoire les tracés secrets.
À Jean-Paul II, il manquait ce fleuron à ses campagnes d'évangélisation et à Castro, il fallait un signe d'ouverture pour conjurer l'étranglement. Derrière les pompes de cette double campagne de charme d'un peuple ravi d'être ainsi courtisé, il y avait en coulisse des moments d'âpres négociations dans lesquelles les leaders se disputaient les moindres retombées. Ainsi courut le bruit que les deux hommes discutaient du prix de la visite. Du donnant-donnant.
Déjà que pour la précédente, celle du Premier Ministre canadien, un frisson perceptible annonçait que quelques étaux allaient se desserrer. Cran par cran. C'était au tour du Pape d'obtenir en échange une amélioration de l'ordinaire des Cubains. Le rationnement à un poulet par famille et par mois ne devait plus être qu'un mauvais souvenir des temps durs des chutes de toutes sortes. Murs et Rideaux. Il demandait avec insistance au moins cinq poulets par famille et par mois, afin de dépasser la poule au pot du dimanche des paysans français que réclamait en son temps Henri IV. Le pape ne pouvait décemment aller plus bas que le Vert Galant sans se déjuger. L'argument porta et cette priorité au relèvement de la diète fut finalement acceptée avec en plus le retour de la messe de minuit à Noël pour célébrer la naissance de l'Homme-Dieu et une procession sans entrave à la Fête-Dieu pour faire le compte. Ceux qui savent à quels marchandages se livrent les hommes de pouvoir, une fois loin des caméras, savent que cette petite passe d'arme était bien anodine.
Le courant était continu entre ces deux hommes de la même génération, l'un et l'autre en fin de parcours, et l'on sentait bien qu'ils ne se quitteraient pas sans quelques secrètes confidences d'État de dernière minute, comme gage d'estime réciproque. Elles eurent lieu, comme souvent, au pied de la passerelle de départ. Chuchotées. Têtes collées. Le Pape se pencha: Tu sais Fidel, Dieu n'existe pas et ce dernier de lui répondre: Tu sais Caroll, les poulets non plus.