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Religion et culture - Renaissance du christianisme en chine

Source: lexpress.fr
Le monde chrétien
Comment le christianisme se réinvente en Chine
Par Laurence Debril, publié le 29/12/2010 à 09:30

Lors de la messe du dimanche dans l'église Sainte Elisabeth de Hongrie, à Paris.  
Stéphane Lagoutte/ M.Y.O.P pour L'Express

Les missionnaires n'ont jamais pu convertir l'Empereur, mais même le maoïsme n'est pas venu à bout de l'évangélisation. Reportage parmi les catholiques à Paris.

Têtes baissées, yeux clos, agenouillés à même le sol ou comme enfoncés sur leurs bancs, ils prient. Tous ne parlent pas français. Certains ne comprennent même pas le mandarin, juste le wu ou le cantonais. Mais la langue n'est rien: ils partagent une même parole, celle du Christ. Et, tous les dimanches après-midi, dès 14 heures, et parfois jusqu'à 19 heures, l'église Sainte-Elisabeth de Hongrie, à deux pas de la place de la République, à Paris, accueille leur dévotion. Quelques-uns, propriétaires de bureaux de tabac ou de commerces de gros, viennent ici au volant d'imposants 4 x 4. La plupart, ouvriers ou serveurs, montent dans un RER de banlieue pour rejoindre le coeur de la capitale. Beaucoup arrivent de la province côtière de Zhejiang, l'une des plus riches de Chine, au sud de Shanghai, ou encore de Canton. Tous différents, tous catholiques, et donc tous singuliers: appartenir à la communauté chinoise catholique, à Paris ou ailleurs, c'est encore avoir choisi la porte étroite. 
Appartenir à la communauté chinoise catholique, à Paris ou ailleurs, c'est encore avoir choisi la porte étroite 
Chine et religion: l'association relèverait presque de l'oxymore. Dans l'empire du Milieu, il ne fait pas bon adorer Dieu, quel qu'il soit. 12, 23, 54, 130 millions: le nombre de chrétiens en Chine fluctue selon les sources. Impossible de l'estimer réellement. Tout juste pense-t-on qu'il est en augmentation, notamment dans les villes, en raison de l'afflux de paysans chrétiens. Si cette population est entourée d'un tel mystère, c'est qu'en Chine coexistent plusieurs Eglises: les officielles, contrôlées par le Parti, et les "domestiques", semi-clandestines, que l'on dit très nombreuses. Les frontières entre les deux sont poreuses: il n'est pas rare qu'un prêtre dit "clandestin" officie à l'occasion dans une église "d'Etat", et vice versa. Les fidèles eux-mêmes opèrent des allers-retours d'un lieu de culte à un autre: qu'importe le fronton pourvu qu'on ait la messe. En revanche, la question demeure diplomatiquement très délicate. L'ordination comme évêque du père Guo Jincai, le 20 novembre dernier, par l'Association catholique patriotique - organisation officielle contrôlée par le gouvernement - qui n'accepte pas le rôle du Saint-Siège, a suscité bien des crispations au Vatican. Le sujet est brûlant. 
Tous différents, tous catholiques, et donc tous singuliers.  
Stéphane Lagoutte/ M.Y.O.P pour L'Express
Le père Pierre reste un curé "à la chinoise"
La preuve: Pékin a beau être à 9000 kilomètres de distance, le père Pierre, arrivé en France en 2008 à la demande de l'archevêque de Paris, évite soigneusement le problème. Officielle, clandestine? Assis dans le bureau accueillant de l'abbé Xavier Snoëk, curé français de la paroisse Sainte-Elisabeth de Hongrie, le prêtre chinois assure avec un sourire sibyllin ne pas comprendre la question. De fait, l'essentiel n'est pas là. Le pasteur asiatique rappelle qu'il est ici en France et tâche juste de remplir au mieux sa mission. Il a appris à travailler avec son homologue français et à tisser des liens entre les deux communautés. "Tous les vendredis soir, nous nous retrouvons pour prier ensemble, raconte l'abbé Snoëk. Nous chantons le Tantum ergo de concert, en latin et en chinois: je l'ai appris en phonétique, ainsi que le Notre Père! Nous essayons de nous réunir le plus souvent possible." 
Pourtant, le père Pierre reste un curé "à la chinoise": il passe beaucoup de temps auprès des familles, déjeune très fréquemment chez ses ouailles, leur rend visite lorsque certaines sont malades, organise des cérémonies rituelles pour les défunts. Car la pratique ne s'arrête pas à la messe, mais implique un échange quotidien: le curé, comme dans la France d'hier, est presque un membre de la famille. Le père Pierre joue désormais un rôle primordial auprès des quelque 700 fidèles qu'il accompagne depuis deux ans. Né dans le sud du pays, il a décidé de devenir prêtre à l'âge de 14 ans. Sa famille est catholique depuis plusieurs générations - son arrière-grand-père l'était déjà. Dans son village natal, à la Toussaint, tout le monde se réunit pour honorer la mémoire des missionnaires catholiques venus évangéliser les campagnes. Les héritiers, somme toute, de Matteo Ricci (voir l'encadré ci-dessous), prêtre jésuite italien, arrivé en Chine en 1583 et considéré comme le premier missionnaire chrétien. 
"Confucius a asséné: "Le ciel ne parle pas""

Matteo Ricci, le premier missionnaire

Il est né deux mois avant le décès de saint François Xavier, mort en regardant la Chine, dit-on. Lui y a passé vingt-huit ans. Matteo Ricci, issu de la petite noblesse italienne , est arrivé en Chine en 1583, à l'âge de 30 ans. Il n'en partira plus. Le livre de l'historienne Michela Fontana, grand prix de la biographie politique 2010 au Touquet, Matteo Ricci. Un jésuite à la cour des Ming, retrace le passionnant parcours de celui que l'on considère comme le premier missionnaire dans l'empire du Milieu. Avec une approche quasi scientifique, elle raconte sa formation, ses voyages, Goa d'abord, puis Macao. Arrivé en Chine, il décide de plonger totalement dans l'inconnu. Apprend la langue. Apprivoise les habitants. Traduit des textes en chinois, vulgarise la culture scientifique de son temps. Et, surtout, baptise... Un portrait en forme de récit, qui évoque non seulement un homme, mais toute une époque de découvertes. 
Matteo Ricci. Un jésuite à la cour des Ming, de Michela Fontana. Salvator, 456 p., 29,50€. 
En réalité, la présence de chrétiens en Chine est bien antérieure. Elle remonte aux Nestoriens, au VIIe siècle. Persécutés, ces chrétiens orientaux se sont réfugiés en Asie mineure, puis sont arrivés en Chine en suivant la route de la Soie. Une stèle trouvée au xviie siècle à Xi'an, inscrite en syriaque et en chinois, assure que les Ecritures saintes auraient été introduites à Chang'an (Xi'an) dès 631... "Bien plus tard, quand les successeurs de Matteo Ricci sont venus pour convertir l'Empereur au catholicisme, c'est l'inverse qui s'est produit, explique Emmanuel Lincot, directeur de la chaire des études chinoises contemporaines de la Faculté des sciences sociales et économiques et enseignant à l'Institut catholique de Paris. Ils ont été fascinés par la Chine, son système bureaucratique, sa culture identitaire, sa méritocratie, ses fonctionnaires révocables à merci. Mais ils n'ont jamais convaincu l'Empereur!" 
L'évangélisation, pourtant, s'est lentement propagée, jusqu'à être brutalement interrompue par le régime communiste. Depuis les années 1980 et la politique de relative ouverture de Deng Xiaoping, elle a repris timidement. La tâche est ardue. "Confucius a asséné: "Le ciel ne parle pas." "La chrétienté est peu compatible avec la culture chinoise, son nationalisme et sa pensée irréductible à toute forme de conversion", poursuit Emmanuel Lincot. Pourtant, le christianisme se réinvente aujourd'hui en Chine, face à des populations éprouvées par la crise, déracinées, et à un Etat obligé de se désengager et de lâcher du lest. Un constat qui n'a pas échappé non plus aux évangélistes et aux musulmans, qui tous font une cible de cet immense pays et de son 1,3 milliard d'habitants. Au XXIe siècle, la Chine pourrait bien donner tort à Confucius...