Le monde chrétien
Comment le christianisme se réinvente en Chine
Par Laurence Debril, publié le 29/12/2010 à 09:30
Lors de la messe du dimanche dans l'église Sainte Elisabeth de Hongrie, à Paris. Stéphane Lagoutte/ M.Y.O.P pour L'Express |
Les missionnaires n'ont jamais pu convertir l'Empereur, mais même le maoïsme n'est pas venu à bout de l'évangélisation. Reportage parmi les catholiques à Paris.
Appartenir à la communauté chinoise catholique, à Paris ou ailleurs, c'est encore avoir choisi la porte étroite
Tous différents, tous catholiques, et donc tous singuliers. Stéphane Lagoutte/ M.Y.O.P pour L'Express |
Le père Pierre reste un curé "à la chinoise"
La preuve: Pékin a beau être à 9000 kilomètres de distance, le père Pierre, arrivé en France en 2008 à la demande de l'archevêque de Paris, évite soigneusement le problème. Officielle, clandestine? Assis dans le bureau accueillant de l'abbé Xavier Snoëk, curé français de la paroisse Sainte-Elisabeth de Hongrie, le prêtre chinois assure avec un sourire sibyllin ne pas comprendre la question. De fait, l'essentiel n'est pas là. Le pasteur asiatique rappelle qu'il est ici en France et tâche juste de remplir au mieux sa mission. Il a appris à travailler avec son homologue français et à tisser des liens entre les deux communautés. "Tous les vendredis soir, nous nous retrouvons pour prier ensemble, raconte l'abbé Snoëk. Nous chantons le Tantum ergo de concert, en latin et en chinois: je l'ai appris en phonétique, ainsi que le Notre Père! Nous essayons de nous réunir le plus souvent possible." Pourtant, le père Pierre reste un curé "à la chinoise": il passe beaucoup de temps auprès des familles, déjeune très fréquemment chez ses ouailles, leur rend visite lorsque certaines sont malades, organise des cérémonies rituelles pour les défunts. Car la pratique ne s'arrête pas à la messe, mais implique un échange quotidien: le curé, comme dans la France d'hier, est presque un membre de la famille. Le père Pierre joue désormais un rôle primordial auprès des quelque 700 fidèles qu'il accompagne depuis deux ans. Né dans le sud du pays, il a décidé de devenir prêtre à l'âge de 14 ans. Sa famille est catholique depuis plusieurs générations - son arrière-grand-père l'était déjà. Dans son village natal, à la Toussaint, tout le monde se réunit pour honorer la mémoire des missionnaires catholiques venus évangéliser les campagnes. Les héritiers, somme toute, de Matteo Ricci (voir l'encadré ci-dessous), prêtre jésuite italien, arrivé en Chine en 1583 et considéré comme le premier missionnaire chrétien.
"Confucius a asséné: "Le ciel ne parle pas""
Matteo Ricci, le premier missionnaire
Il est né deux mois avant le décès de saint François Xavier, mort en regardant la Chine, dit-on. Lui y a passé vingt-huit ans. Matteo Ricci, issu de la petite noblesse italienne , est arrivé en Chine en 1583, à l'âge de 30 ans. Il n'en partira plus. Le livre de l'historienne Michela Fontana, grand prix de la biographie politique 2010 au Touquet, Matteo Ricci. Un jésuite à la cour des Ming, retrace le passionnant parcours de celui que l'on considère comme le premier missionnaire dans l'empire du Milieu. Avec une approche quasi scientifique, elle raconte sa formation, ses voyages, Goa d'abord, puis Macao. Arrivé en Chine, il décide de plonger totalement dans l'inconnu. Apprend la langue. Apprivoise les habitants. Traduit des textes en chinois, vulgarise la culture scientifique de son temps. Et, surtout, baptise... Un portrait en forme de récit, qui évoque non seulement un homme, mais toute une époque de découvertes.Matteo Ricci. Un jésuite à la cour des Ming, de Michela Fontana. Salvator, 456 p., 29,50€.
L'évangélisation, pourtant, s'est lentement propagée, jusqu'à être brutalement interrompue par le régime communiste. Depuis les années 1980 et la politique de relative ouverture de Deng Xiaoping, elle a repris timidement. La tâche est ardue. "Confucius a asséné: "Le ciel ne parle pas." "La chrétienté est peu compatible avec la culture chinoise, son nationalisme et sa pensée irréductible à toute forme de conversion", poursuit Emmanuel Lincot. Pourtant, le christianisme se réinvente aujourd'hui en Chine, face à des populations éprouvées par la crise, déracinées, et à un Etat obligé de se désengager et de lâcher du lest. Un constat qui n'a pas échappé non plus aux évangélistes et aux musulmans, qui tous font une cible de cet immense pays et de son 1,3 milliard d'habitants. Au XXIe siècle, la Chine pourrait bien donner tort à Confucius...