Les biceps d'un homme se mesurent à sa voix
Nous n'en avons pas conscience mais nous sommes capables de déterminer les yeux fermés si un homme est bien bâti ou non. Même lorsque les voix graves et rocailleuses ne vont pas de pair avec une carrure de boxeur...
On peut lui demander d'enlever le haut, tâter ses biscoteaux, tester la fermeté de sa poignée de main ou l'observer couper du bois. Mais au fond, c'est inutile, parce qu'au simple son de sa voix, on sait déjà si un homme est bien bâti ou non. Nous n'en avons pas vraiment conscience, mais nous sommes conditionnés pour ça.
Rapport entre le biceps d'un homme et le timbre de sa voix |
C'est sûr qu'en entendant Sylvester Stallone dans le rôle de Rocky Balboa hurler «Adrienne» depuis son ring, n'importe qui aurait pu affirmer les yeux fermés qu'on n'avait pas affaire à un gringalet. Mais la question est en réalité un peu plus subtile, car les râles graves et rocailleux ne vont pas forcément de pair avec une carrure de boxeur. Certains indices semblent toutefois bel et bien nous permettre d'évaluer assez précisément la force physique de quelqu'un simplement en l'écoutant.
Bandes sonores
Apparemment, nos intonations ne «trahissent» pas uniquement nos émotions, elles donnent également de précieuses indications sur certaines de nos caractéristiques physiques. C'est la conclusion d'une étonnante expérience menée en Californie par l'équipe du professeur Aaron Sell, de l'Université de Santa Barbara.
Après avoir fait passer des tests de force (pectoraux, biceps, épaules, poignée de main) à différents groupes d'hommes - des Américains, des Boliviens, des Argentins et des Roumains -, les chercheurs les ont enregistrés en train d'énoncer le plus naturellement du monde une phrase dans leur langue maternelle. On a ensuite repassé les bandes à des étudiants et des étudiantes américains, en leur demandant d'évaluer la force physique de cet interlocuteur invisible sur une échelle de un à sept.
Le résultat s'est avéré bluffant: peu importe qu'il comprenne ou non ce qui se dit, l'être humain semble capable de se faire une idée de la puissance physique d'un homme juste en tendant l'oreille. Et cela avec presque autant de précision que s'il l'inspectait torse nu.
Cerveau reptilien
Aaron Sell y voit une sorte d'héritage de nos ancêtres. Il fut sans doute un temps où il devait être utile de disposer de plusieurs moyens (y compris la nuit et à distance) d'identifier un rival dangereux, pour les hommes, ou un partenaire vigoureux, pour les femmes.
Tout cela aurait à faire avec notre cerveau reptilien, selon le Dr Jean Abitbol, otorhinolaryngologiste et auteur du livre «L'odyssée de la voix». «Prenez le brame du cerf, en automne. Plus le cri est grave, plus il va attirer les femelles, explique-t-il. La charge hormonale en testostérone fait alors que les cordes vocales du mâle s'épaississent et provoquent immédiatement un son avec des harmoniques très graves, qui montre une puissance telle que la femelle lorsqu'elle l'entend se sent en sécurité.» L'être humain est, lui aussi, un mammifère, poursuit le médecin français, «et on ne peut pas nier la présence de notre cerveau reptilien...»
Pour le spécialiste, nous ne bramons pas, mais il n'y a aucune raison que notre voix ne véhicule pas également, de manière certes un peu moins brutale, certaines informations, notamment sur notre morphologie.
«Sauf exceptions, le fait d'avoir des résonances graves est associé à certains types de physiques, assure-t-il. C'est bien entendu un peu réducteur, mais prenez un baryton: il sera en général relativement grand, avec un cou assez long et une certaine stature.»
D'ailleurs, si un homme se met à faire de la musculation, il y a de fortes chances que sa voix se modifie un peu. «La corde vocale est un muscle strié, comme le biceps, donc directement dépendant des hormones mâles que l'on produit en faisant de la musculation, confirme Jean Abitbol. Ces hormones vont augmenter la taille des biceps mais également la puissance des cordes vocale; donc, la voix va devenir plus grave.»
Pour autant, s'il existe effectivement des liens entre testostérone, musculature et timbre de voix, la réalité est un peu plus complexe. Lors de son expérience, Aaron Sell n'a, pour sa part, pas observé de relation systématique entre voix grave et puissance musculaire.
Pour le chercheur, une tonalité basse ne semble donc pas être en soi l'indicateur infaillible d'une carrure athlétique. Il en conclut que «soit l'élément déterminant qui nous permet d'évaluer la force physique d'un individu n'a pas encore été identifié, soit il s'agit d'une combinaison subtile de différents éléments, comme pour la beauté».
Les armoires à glace ne grondent pas systématiquement deux octaves en dessous de la moyenne, et pourtant nous les repérons quand même, sans savoir exactement comment. Il faut dire que la perception des tonalités est une mécanique éminemment complexe. Jean Abitbol le rappelle volontiers: «Pour faire simple, on peut dire que le relief des graves dépend de la présence des aigus qui eux-mêmes peuvent masquer les graves.» Et le spécialiste d'insister sur l'incroyable potentiel de l'oreille humaine, «si extraordinaire qu'elle permet de détecter la force de quelqu'un grâce au relief qu'il y a dans sa voix entre les graves et les aigus. Ce qu'aucune technologie, aucun ordinateur dans l'état actuel des connaissances n'est capable de faire...»
Ils chantent exactement comme papa
Ils chantent exactement comme papa, au point que ça en devient troublant. Jakob Dylan (fils de Bob), Harper Simon (fils de Paul) et Joe Sumner (fils de Sting) n'ont pas uniquement choisi de suivre le sillon paternel en faisant de la musique leur métier, leur voix rappelle de manière frappante celle de leur géniteur. Hérédité ou mimétisme?
Un peu des deux, répond le Dr Jean Abitbol, spécialiste de la voix. «Il faut d'abord rappeler que l'enfant a une mémoire auditive. Si on lui fait écouter de la musique régulièrement dans le ventre de sa mère, il y a des chances qu'il devienne un bon musicien de manière intuitive, explique-t-il. Mais on sait également qu'il existe un gène de l'élocution verbale.»
Il y aurait donc un peu d'inné et un peu d'acquis dans l'histoire. Et pas mal d'admiration. «S'ils ressemblent tant à leur père, c'est sans doute qu'ils désirent faire comme lui, dans la voix, le timbre, les silences, poursuit Jean Abitbol. C'est une sorte d'imitation par admiration. Mais il y a aussi une dimension génétique. Sur le plan anatomique, leurs cordes vocales peuvent très bien ressembler à celles du père. Prenez de vrais jumeaux: ils auront la même voix, même s'ils habitent à des milliers de kilomètres l'un de l'autre. Car, anatomiquement, ils sont identiques. Par contre, si l'un des deux se met à fumer, sa voix va se transformer. En un mot, la voix révèle non seulement notre personnalité immédiate, mais elle trahit aussi toutes les cicatrices de la vie.»