"Pour moi, quelle est la plus belle image du monde ?" demande Bill Gates au public. Le tableau de Van Gogh Les Tournesols apparaît derrière lui : "Est-ce celle-là ?" L'"homme de Vitruve ", le dessin de Léonard de Vinci, suit : "Ou celle-ci ?" Voici maintenant le logo de Microsoft : "Ou bien celle-là ? " La salle rit, un graphique s'affiche aussitôt : la courbe de la mortalité infantile depuis un siècle. Bill Gates conclut : "Voilà la plus belle des images." La courbe passe de 20 millions en 1960 à 9 millions en 2010.
Preuve vivante? C'est une campagne mondiale destinée à démontrer aux opinions des pays riches, à travers des histoires concrètes et des témoignages filmés, que l'aide aux pays pauvres arrive à destination, se révèle utile. Melinda Gates rejoint son mari sur scène : "Vous connaissez les arguments : “Ça ne sert à rien”, “l'argent finance des régimes corrompus”, “c'est un cautère sur une jambe de bois.”… Nous voulons les détromper."
Elle prendra son temps, didactique, enthousiaste, pour décrire les effets pratiques des grandes actions humanitaires en cours financées par les Etats et les fondations. De courts films viennent illustrer ses propos. Une famille de paysans du Nicaragua raconte les effets bénéfiques de la vaccination contre le rotavirus. Une docteur d'Addis-Abeba défend l'ouverture de petites salles d'accouchement dans les villages. Une Tanzanienne décrit comment la culture de patates douces l'a sauvée de la faim.
"Nous voulons en finir avec le cynisme qui prétend que l'aide au développement et l'humanitaire ne servent à rien", me confie plus tard un des organisateurs. Luc Lamprière, directeur de l'ONG Oxfam France, m'explique que les associations ont mis des années à créer des chaînes de solidarité pour faire parvenir l'aide à ceux qui en ont besoin.
Et ça marche : le 6 octobre, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a rappelé que GAVI, l'Alliance mondiale pour la vaccination et l'immunisation, lancée en 1999 grâce à un don de 750 millions de dollars de la Fondation Gates, a déjà permis de sauver 5 millions de vies, et devrait en sauver 4 millions dans les trois années à venir. Ce n'est pas un sparadrap.
Dans l'entretien qui suit, Bill et Melinda Gates, rencontrés à Londres la veille de la soirée Living Proof, expliquent la philosophie de leur fondation – la plus dotée au monde avec 25 milliards d'euros –, décrivent leurs actions autour du monde et répondent aux critiques.
Vous avez déclaré vouloir consacrer 90 % de votre argent à la philanthropie. Pourquoi ?
Melinda Gates Nous venons de deux familles où l'on estime qu'avoir acquis une grande richesse donne de grandes responsabilités. Et nous avons toujours pensé, même quand nous étions engagés dans Microsoft, que cet argent reviendrait à la société. La question était plutôt de savoir quand et comment nous ferions cela. Bill pensait que ce serait plus tard, vers la soixantaine [il n'avait pas 40 ans à la création de la fondation], mais en nous tournant assez tôt vers la philanthropie, découvrant la gravité de la situation du monde en voie de développement, nous avons éprouvé le besoin d'agir vite.
Des bijoux de qualité et abordables |
Bill Gates Pendant plusieurs centaines d'années, la combinaison entre bonne gouvernance et capitalisme a permis d'accomplir d'immenses progrès. Dans les pays riches, l'espérance de vie a presque doublé, les enfants ne meurent pratiquement plus avant 5 ans, la plupart mangent à leur faim, beaucoup des grandes maladies ont été éradiquées.
Le capitalisme n'est pas un régime parfait, mais il nous a beaucoup apporté, à nous qui vivons dans des pays prospères. Le problème aujourd'hui provient du fossé qui s'est creusé avec les pays pauvres qui, pour des raisons de santé, de sous-alimentation, de faible production de nourriture et d'autres drames encore, se retrouvent coincés dans le sous-développement.
Nous sommes très motivés par l'idée qu'en innovant dans les domaines des semences et des vaccins, nous pouvons faire accéder ces populations à l'autosuffisance. C'est vrai que l'élément capitaliste est très important pour réussir.
En janvier 2008, lors du Forum économique mondial, vous avez appelé à un nouveau capitalisme qui associerait la recherche du profit à l'entraide, l'intérêt personnel au soin des autres.
B. G. Je faisais référence à Adam Smith, le père de la théorie libérale, et à son essai La Richesse des nations. C'est un chef-d'œuvre, même s'il n'est plus très lu. Je l'ai cité au Forum pour appeler à un capitalisme plus créatif.
M. G. Il existe de telles disparités à l'intérieur du monde capitaliste ! Comment peut-on accepter que 1,6 million d'enfants meurent chaque année de la diarrhée ? C'est quelque chose d'inimaginable en France, ou aux Etats-Unis, mais comme il n'y a pas de marché pour les traitements, aucune compagnie capitaliste ne songe à travailler dessus. Nous incitons donc les groupes pharmaceutiques à aller travailler dans les pays pauvres. Nous leur expliquons qu'ils peuvent sauver énormément de vies.
Que pensez-vous de ceux qui veulent stimuler l'entrée dans l'économie des plus démunis ?
B. G. Nous sommes impliqués dans la microfinance et le soutien économique des plus pauvres. Nous intervenons pour qu'ils récupèrent des droits de propriété, nous soutenons des groupes de femmes qui s'unissent pour monter des projets de développement, nous…
M. G. La voix des plus pauvres se fait mieux entendre quand des femmes ou des hommes s'associent. On le constate en Inde, par exemple, où nous encourageons les personnes infectées par le VIH à s'unir pour faire pression sur le gouvernement en vue d'acquérir des installations sanitaires et médicales, ou pour avoir accès à des centres de soin, des améliorations impossibles à obtenir autrement tant ils sont stigmatisés. Nous aidons aussi les femmes à s'associer de telle façon que les hommes n'accaparent pas la parole.
Quelle est la philosophie de votre fondation ?
M. G. Notre philosophie, c'est que toutes les vies humaines ont la même valeur [C'est le slogan de la Fondation Gates]. Le premier objectif de la Fondation est d'utiliser les ressources dont nous disposons pour inciter les gouvernements et les associations à sauver le plus grand nombre de vies possibles. Cela signifie soutenir des innovations scientifiques et techniques dans les domaines de la santé et l'agroalimentaire, tout en encourageant des innovations sociales. Cela peut prendre beaucoup de formes… Mais, en définitive, ce qui compte pour nous, c'est avoir sauvé le plus grand nombre de vies avec l'argent que nous investissons.
B. G. La grande quête de l'humanisme est d'en finir avec toutes les discriminations, qu'elles soient de genre, de religion ou de race. Mais la plus grande des discriminations et des injustices, de très loin, reste d'être né dans un pays pauvre, où vos chances de vivre plus de cinq ans, de vous nourrir suffisamment, d'éviter une maladie grave, se révèlent beaucoup plus faibles comparées à celles des gens nés ailleurs. Il faut en finir avec cette discrimination, et nous savons que c'est possible. Nous avons beaucoup d'exemples de pays comme la Corée du Sud ou le Brésil, qui étaient très pauvres cinquante ans auparavant.
Avec la bonne politique, les bonnes innovations agricoles, la bonne aide, ces pays sont devenus autosuffisants. Et donc, armés de cette idée que chaque vie sur Terre a la même valeur, nous étudions très sérieusement ce qui empêche les pays pauvres d'atteindre l'autosuffisance. Ensuite, nous agissons. Nous essayons de mobiliser les forces de changement, les scientifiques, les entreprises, les gouvernements, les ONG et l'argent de notre fondation pour essayer d'enrayer la pauvreté. Nous espérons que pays par pays, petit à petit, les gens se hisseront au-dessus du besoin d'être aidés…
Mais votre choix prioritaire est la santé…
B. G. Parmi les fléaux qui maintiennent ces pays dans la dépendance, les plus graves sont la mortalité infantile et les maladies mortelles et virales. Nous nous sommes rendu compte qu'en améliorant le système de santé, nous pouvions régler beaucoup de problèmes, comme la pauvreté – ou la croissance de la population.
Nous avons été surpris, Melinda et moi, de découvrir à travers nos actions combien la santé est un élément-clé. Quand nous nous sommes impliqués dans le planning familial en Inde, en Afrique, nous avons réalisé qu'avec une population grandissant très vite, aucun système social ne peut fonctionner : l'éducation, le travail, la protection de l'environnement. Un taux de croissance à deux chiffres de la population menace la stabilité d'un pays.
Dans les années 1970, beaucoup d'économistes se montraient très pessimistes quant à l'évolution de la population mondiale : on pensait qu'elle allait atteindre 20 milliards d'individus après 2000, et que notre planète deviendrait invivable. Ils se trompaient. Il me semble très important de comprendre pourquoi.
A l'époque, on n'imaginait pas combien l'amélioration de la santé allait aider les familles à faire moins d'enfants. Aujourd'hui, le nombre d'habitants se stabilise, pour parvenir d'ici à 2050 à un pic de 9,5 milliards. Si les pays riches aident les pays pauvres, ce sera peut-être moins. Et c'est une révélation de réaliser que sauver des vies, diminuer la mortalité, améliorer l'autosuffisance favorisent les enjeux de population et d'environnement.
En fait, vivre en bonne santé est quelque chose de magique qui permet d'espérer, de construire. Il existe plusieurs autres objectifs décisifs comme développer une agriculture vivrière, vivre en paix, accéder à l'éducation, mais la santé est au sommet.
La baisse de la mortalité infantile et maternelle fait partie des huit objectifs du Millénaire de l'ONU ? Pensez-vous qu'ils seront atteints ?
M. G. Nous avons fait de très importants progrès au niveau mondial sur le quatrième objectif, qui concerne la mortalité infantile, déjà réduite de deux tiers. Pour évaluer les progrès accomplis, il faut se référer aux années 1960, quand 20 millions d'enfants mouraient chaque année.
Aujourd'hui, c'est 9 millions. Voilà pourquoi nous investissons tant dans les vaccins [la Fondation a prévu de verser 7 milliards d'euros à l'Alliance GAVI]. Si vous voulez aider un enfant à vivre au-delà de trente jours, les vaccins le permettent. Les vaccins ont quelque chose de miraculeux. Ils sont bon marché. Ils assurent la bonne santé pour une vie entière.Pour cela, il faut les fabriquer, les livrer, et en inventer de nouveaux.
Nous intervenons sur ces trois niveaux. Mais si vous voulez que ces enfants vivent plus longtemps, il faut faire plus. Souvent les femmes n'ont pas d'endroit salubre pour accoucher, il faut leur construire une salle d'accueil dans un village. Il y aura moins de risque que leur bébé (ou elle-même) meure.La santé des mères est le cinquième objectif du Millénaire, sur lequel nous faisons beaucoup d'efforts. Même dans les pays les plus pauvres d'Afrique, la mortalité maternelle recule.
En Inde du Nord, nous soutenons des travailleurs de la santé qui vont de village en village, immunisent les enfants, permettent aux femmes de rejoindre de petites cliniques. C'est ainsi que les progrès se font…
En plus des projets locaux, vous financez aussi des projets scientifiques innovants. Lesquels ?
B. G. Nous investissons dans la recherche médicale et la mise au point de vaccins contre le sida, la tuberculose, le paludisme. Beaucoup de secteurs innovants ne sont pas vraiment soutenus, nous les aidons. Nous cherchons à faire prendre conscience aux scientifiques des problèmes du tiers-monde.
Nous leur décrivons ce dont les populations ont besoin, comment réguler l'hygiène collective dans les bidonvilles, éradiquer les moustiques porteurs du paludisme ou comment s'en prévenir… Nous mettons les scientifiques au défi de résoudre des problèmes graves.
Comment procédez-vous pour identifier ces problèmes, choisir les équipes, vérifier les résultats de vos actions ?
B. G. Il existe une telle variété de problèmes ! Quand nous donnons de l'argent au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, nous savons d'expérience que leurs méthodes pour sélectionner l'urgence sont bonnes. Quand nous contribuons à l'achat de vaccins, nous nous assurons qu'ils sont distribués. Quand nous donnons directement sur le terrain, nous mettons en place un système de mesures des résultats, nous les archivons. Quand nous distribuons de l'argent pour différentes recherches, nous savons que toutes n'aboutiront pas, et c'est normal…
Nous vérifions que les scientifiques travaillent, essaient de résoudre les problèmes, mènent sérieusement leurs recherches. Pour le vaccin contre le paludisme par exemple, nous finançons huit équipes. Ce sont des projets à risque, mais nous avons l'espoir d'aboutir.
De nombreux laboratoires, plusieurs gouvernements et fondations financent comme nous la recherche d'un vaccin contre le sida. Il nous semble important de diversifier les initiatives, dans l'espoir d'en découvrir un.
M. G. En ce qui concerne la santé, la recherche ne constitue que le premier aspect du problème. Comment faire pour que le résultat d'une découverte soit bien distribué dans les pays concernés, atteigne les personnes menacées ? Pour cela, il nous faut renforcer une forme d'alliance globale de la santé, associant des partenariats publics et privés, à laquelle nous travaillons depuis dix ans dans le but précisément que les vaccins arrivent à bon port.
Tout règlement d'un problème de santé exige ainsi trois étapes : découverte, développement, distribution.
B. G. Nous soutenons aussi des petits projets, comme par exemple un thermos pour préserver le vaccin dans les pays chauds. A quoi servirait-il, s'il n'arrivait jamais à destination ? Ou encore, nous participons au financement de programmes de lutte contre les moustiques qui transmettent le paludisme.
Certains scientifiques avec lesquels nous travaillons fabriquaient des armes, auparavant. Nous leur avons dit : "Nous, nous voulons tuer des moustiques. " Ils ont répondu : "Oh, ça c'est facile ! – Oui, mais nous cherchons une technologie bon marché. – Pas de problème, on peut se servir du laser contenu dans un lecteur CD ou DVD." Vous voyez, des technologies parmi les plus "cool" des pays développés peuvent être utilisées dans la lutte contre le paludisme…
Depuis deux ans, la crise économique pousse les Etats à amputer leurs dépenses sociales et on assiste à la réduction des budgets d'aide au développement. Ils se défaussent sur les fondations ?
B. G. Nous ne pouvons pas remplacer les gouvernements, ni nous substituer à ce qu'ils entreprennent déjà. Quand les opinions des pays riches comprennent que le résultat de leurs efforts contribue vraiment à sauver des vies et à développer les pays pauvres, leur mentalité change. Avec quelques milliers de dollars, vous pouvez sauver des enfants, faire reculer la maladie, changer ces sociétés.
Même dans ces temps économiques difficiles, les Etats ne peuvent pas équilibrer leur budget en choisissant de sacrifier les pays les plus pauvres. Personne ne peut faire ça ! Couper un budget d'aide, c'est littéralement envoyer des milliers de gens à la mort.
L'OCDE vient de délivrer un bonnet d'âne à la France. Au lieu du 0,51 % du budget promis à l'aide, le gouvernement l'a réduit à 0,46 %…
B. G. La politique de la France d'aide au développement sera examinée attentivement au prochain G8, sous présidence française. Parfois, on a l'impression que vos budgets augmentent, parfois qu'ils diminuent, on ne sait plus.
Dans l'histoire passée et récente, la France a beaucoup agi au niveau international. Elle est le deuxième plus gros donateur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme [plus de 1,5 milliard d'euros versés à ce jour]. D'excellents scientifiques travaillent à des projets-clés.
J'espère qu'elle n'abaissera pas ses budgets. La question est celle du leadership et des initiatives à prendre. S'agira-t-il d'aides concrètes, effectives, pour l'agriculture par exemple ? La France doit augmenter sa participation.
M. G. Quand Nicolas Sarkozy et sa femme se sont rendus au Bénin, en janvier, pour constater les effets des actions du Fonds mondial, ils ont pu se rendre compte des résultats. 122 millions de moustiquaires ont été distribuées, le taux de contagion du paludisme a diminué dans tous les pays africains, au Cambodge, aux Philippines. Grâce aux moustiquaires, on a pu sauver 2,2 millions de vies, nous le savons précisément.
Il faut faire passer le message en France, le dire haut et fort : les partenariats public-privé sont responsables, ils mesurent les effets des actions entreprises, ils savent exactement combien de moustiquaires ont été distribuées, dans quels territoires, et si elles ont été efficaces. C'est le meilleur moyen de faire comprendre aux gens l'utilité de l'engagement français, et combien il peut faire la différence.
Vous vous dites " optimistes impatients ". Encore aujourd'hui ?
B. G. Oh, oui ! Si je croyais que l'humanité va revenir à une mortalité de 20 millions d'enfants par an, je serais pessimiste. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Aujourd'hui, nous agissons tous pour passer sous le cap des 5 millions d'enfants, nous voulons réaliser l'objectif du Millénaire de descendre à 0,5 % de mortalité infantile. Cela semble réalisable.
Chaque année, les Etats, les associations et les fondations sauvent des millions de vies, ils œuvrent à installer partout l'autosuffisance. Voilà pour l'optimisme. Mais je pense qu'il faut accélérer, et voilà pour l'impatience. Nous voulons éradiquer la poliomyélite dans le monde. Pour ce faire, nous avons besoin de plus de générosité, plus de vaccins.
Vous avez été critiqué par le Los Angeles Times. Une enquête montre que vous travaillez avec certaines entreprises sans éthique citoyenne…
B. G. Le Los Angeles Times cite des entreprises dans lesquelles nous investissons, pas de celles avec lesquelles nous travaillons avec la Fondation. C'est très différent ! Pour la Fondation, c'est vrai, nous travaillons avec de grands groupes pharmaceutiques ou agro-alimentaires, mais nous réalisons chaque année un classement fondé sur les principes éthiques. Nous pensons qu'il est bon d'entretenir une compétition entre eux sur ces questions.
Mais il faut distinguer les actions de la Fondation des investissements que nous faisons par ailleurs. Quand une personne privée investit par exemple dans EDF, achète quelques actions, elle ignore si EDF a enfreint la loi française voilà dix ans. Comment le savoir ? Nous ne sommes pas en mesure d'établir un classement de toutes les entreprises où nous investissons à titre privé. Nous posons certaines limites, nous n'achetons pas d'actions à des entreprises qui fabriquent du tabac par exemple.
Mais comment tout vérifier ? Quand il est question de la Fondation, de nourriture, de médecine, nous travaillons à ce que les entreprises avec lesquelles nous nous associons progressent et deviennent plus citoyennes. Mais nous ne surveillons pas le moindre investissement que nous faisons. Nous pourrions posséder 0,1 % d'une banque sans savoir qu'elle est en train de monter des crédits subprimes. Ce n'est pas à nous de vérifier, c'est au gouvernement américain.
Parlez-nous de l'initiative The Giving Pledge ("la promesse de don") ...
B. G. Nous nous réunissons régulièrement avec les gens les plus riches du monde pour discuter des expériences qui réussissent dans le champ de la philanthropie, de ce que nous pouvons faire pour les enfants les plus pauvres, des causes que nous estimons justes. Certains d'entre eux font déjà beaucoup, dans des domaines différents.
Il n'existe pas un modèle unique de philanthropie. Aux Etats-Unis, 40 milliardaires se sont engagés à reverser au moins 50 % de leur fortune. C'est magnifique. Maintenant, nous voudrions fonder des groupes similaires dans les autres pays.
Comment envisagez-vous l'héritage ?
B. G. Clairement, il existe un niveau de richesse où il devient impossible de tout dépenser soi-même ! Quand vous êtes aussi riche, il devient dérangeant pour vos enfants de tout leur léguer. Ce serait comme affirmer à un jeune homme plein de talents et de possibilités que les meilleures choses qu'il réalisera au cours de sa vie seront son mariage à 90 ans puis la rédaction de son testament.
M. G. Avec The Giving Pledge, nous demandons aux plus riches de s'engager. Ce n'est pas une contrainte légale, mais un engagement moral. Et nous espérons que cet engagement durera tout au long de leur vie.Vous savez, je pense qu'ils en tireront beaucoup de satisfaction, car ils n'offrent pas seulement leur argent, ils donnent aussi leurs talents… Tout cela peut changer les choses dans les pays du Sud, nous le vérifions chaque jour.
Au cours de nos réunions, nous les questionnons : "Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ? Comment procédez-vous pratiquement ? Qu'allez-vous financer ? Qu'avez-vous dit à vos enfants ?" Réfléchir à plusieurs aide les autres à passer à l'action, et à ne pas attendre d'avoir 90 ans pour le faire…
Frédéric Joignot
Parcours
1955 Naissance de Bill Gates.1975 Il fonde Microsoft avec Paul Allen.
1987 Il entre dans le classement Forbes des milliardaires. Il sera en tête de 1995 à 2007 et en 2009.
1994 Il épouse Melinda. Le couple a trois enfants.
2000 Il cède sa place de PDG de Microsoft à Steve Ballmer.
2008 Il consacre l'essentiel de son temps à l'action philanthropique.
Leurs fondations
1994 Création de la William H. Gates Foundation, qui devient en 2000 The Bill & Melinda Gates Foundation.1999 Création de la Gates Learning Foundation, consacrée à l'éducation.
2000 La Fondation contribue largement au lancement de GAVI, l'Alliance pour la vaccination.
2006 La Fondation se restructure autour des programmes Etats-Unis, santé mondiale, développement mondial.
2009 La fondation distribue dans l'année plus de 4 milliards d'euros. Elle emploie plus de 800 personnes.