Le succès et la notoriété ont ceci de particulier, qu’ils ont bien souvent la capacité de transformer les hommes, de les changer…, et ce, pas toujours dans le sens d’une plus grande humanité. Avec son air juvénile, son humeur presque toujours égale et sa bonhomie naturelle, Lokua Kanza ne connaît pas ces travers. Si le temps semble ne pas avoir de prise sur lui, il en est de même pour la reconnaissance, le succès et la popularité. À la différence de ces « artistes » à la petite semaine, qui dès le plus petit succès d’estime, se prennent très au sérieux, Lokua Kanza incarne une humilité rare chez les artistes, les intellectuels, les politiques ou encore les sportifs. Une humilité qui se retrouve dans les relations qu’il entretient avec les autres, tous les autres, y compris les anonymes qui l’arrêtent dans la rue. Une humilité qu’il met au service de son art. Subtilement intitulé Nkolo, "l’Éternel" en lingala, le dernier album de Lokua Kanza est à la fois l’expression de cette humilité, et celle de l’immense talent de cet artiste, né à Bukavu, en République Démocratique du congo, il y a plus d’un demi siècle.
Un album qui sonne comme un retour aux sources, après le malentendu autour de l’album Plus vivant, sorti en 2005. Pourtant, les textes et les musiques de cet album sont d’une excellente facture. Mais voilà, il était en français, et malgré des textes signés d’auteurs reconnus comme l’écrivain Marie Nimier – prix Médicis – ou encore la chanteuse Camille, une partie du public de Lokua n’a pas accepté cette démarche, et l’artiste n’a pas réussi à fédérer un public plus large. Pourtant, l’un des objectifs de Lokua était de permettre à tous ceux qui ne comprennent pas le lingala ou le swahili, langues dans lesquelles il chantait principalement jusque-là, de mieux comprendre le message de ses chansons. D’où ce magnifique duo avec le Québécois d’origine rwandaise Corneille, qui donna également son nom à l’album : Plus vivant. Cette incompréhension, certains l’ont même exprimé très clairement pendant les concerts qui ont suivis la sortie de l’album, en applaudissant à tout rompre, la reprise des chansons en lingala ou en swahili.
Quelques temps seulement après, j’ai eu la chance d’évoquer cet épisode de sa carrière avec Lokua Kanza. Comme à son habitude, il fit preuve d’humilité et d’une très grande sagesse. Cet événement fut notamment pour lui, l’occasion d’une remise en question, dont l’un des enseignements majeurs, fut la prise de conscience que sa richesse réside bien dans cet héritage que lui ont légué ses parents : la culture des Mongo de RDC pour son père, et celle des montagnes du Rwanda, dont est originaire sa mère. Plus globalement, Lokua réalisait que l’Afrique dans laquelle il s’enracine, et que beaucoup apprécient, reconnaissent, louent… à travers lui, l’Afrique donc, s’inscrit au cœur de sa musique, qu’elle la fonde, et qu’elle en constitue le ferment. D’ailleurs, c’est probablement l’une de ses caractéristiques distinctives, avec bien entendu ses multiples talents, de musicien, chanteur, compositeur, arrangeur, et même producteur.
Il n’est donc pas étonnant que de nombreux artistes aient fait appel à ses services : Miriam Makeba, Sara Tavares, Papa Wemba, Nana Mouskouri… Généreux, il affectionne particulièrement les rencontres : Youssou N’Dour, Manu Dibango, Koffi Olomidé, Chico Cesar, Al Jarreau, Noa, Francis Cabrel, Bisso Na Bisso… Par ailleurs, quand il le peut, il n’hésite jamais à apporter son soutien aux jeunes artistes. Adepte de l’échange et du partage, Lokua Kanza donne beaucoup, et reçoit aussi énormément en retour. L’on se souvient notamment avec émotion du très lumineux Toto, Bona, Lokua, un album en trio avec ses amis, le bassiste camerounais Richard Bona, et le chanteur antillais Gérald Toto. D’ailleurs, depuis qu’il vit au Brésil, Lokua Kanza multiplie les collaborations avec les artistes brésiliens comme Gal Coosta, Vanessa Da Mata ou encore Ney Mato Grosso. Dans ce nouvel album, où on retrouve du français, dans les titres « Famille » et « On veut du soleil », Lokua s’est appliqué à traduire en actes, et de quelle manière, tout ce qu’il a compris depuis la sortie de l’album Plus vivant. Bien entendu, entre temps, il a vécu beaucoup d’autres événements. Je pense notamment à son expatriation au Brésil. Du reste, il vit désormais entre la France, le Brésil et la RDC. À l’instar du premier titre de ce nouvel album « Elanga ya muinda », ce qui veut dire « Jardin de lumière » en lingala, dans ce nouveau disque, Lokua Kanza nous invite à partager la lumière qu’il y a au fond de lui, comme chez chacun d’entre nous.
Christian Eboulé