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Littérature - Zabou Breitman : « Il faut accorder plus de crédit à la poésie humaine »

Elle a beau changer de crayons de couleurs, quel que soit le domaine - médical, sentimental, familial, sociétal – dans lequel elle s'aventure, dès lors qu'elle passe derrière la caméra, Zabou Breitman en revient toujours à s'interroger sur les thèmes de l'exclusion et de l'abandon. 

 La solitude aussi. La détresse. Se souvenir des belles choses parlait aussi de don, d'espoir, que l'on retrouve dans celui-ci. J'en ai une conscience vague lorsque je travaille sur un nouveau film. Je ne veux pas trop savoir. Dans l'écriture, dans le travail, j'évite de me braquer là-dessus. C'est après coup que je réalise tout ça.
Souvenir d'enfance
J'avais envie de filmer l'adolescence et la rencontre. L'époque favorise l'isolement. Bien que l'on vive dans une époque de surcommunication, on a tendance à communiquer de façon virtuelle avec les personnes qui sont au bout du téléphone, du texto. C'est grave!
Les petits loulous grandissent et découvrent le monde dans un sentiment d'injustice, d'exclusion. Tous les ados se sentent un peu seuls au monde et c'est trop injuste. Petite, c'est quelque chose que j'ai ressenti très fort. En revenant vivre dans le quartier de mon enfance, je me suis remémorée une scène. Devant un grand magasin, sur l'avenue du général Leclerc, il y avait un mec allongé par terre sur la bouche de métro. C'était Noël. J'avais 5 ans. J'ai demandé à ma mère pourquoi il dormait là, pourquoi il n'avait pas de maison, pas de maman. Je voulais ne plus partir de là, le ramener à la maison.
Garder les yeux grands ouverts
Je suis très curieuse. C'est maladif chez moi. Depuis toute petite, j'ai les yeux partout. Je regarde tout, tout, tout C'en est épuisant.
Si je devais transmettre quelque chose à mes enfants, ce serait la curiosité, l'enthousiasme, la passion. Avoir envie de faire des choses.
Ligne claire
C'est l'histoire d'une fille qui, dans le cadre d'un exposé, rencontre une autre fille et décide de l'emmener chez elle. Je savais que je devais l'aborder sous la forme d'un conte. Cette histoire ne devait pas souffrir le flou. Il fallait être très net dans la narration. Il fallait que ce soit très simple, très ligne claire. Dans mes films précédents, on ne ressentait pas la circulation des endroits. Là, j'ai ressenti le besoin de lier les choses et les lieux. En tant que spectatrice, j'aime bien connaître les lieux. Par rapport au quotidien de la petite, je voulais qu'on soit absolument elle et qu'on sache où elle est.
Du roman au film
Je pense avoir été fidèle au roman sauf sur un point. Je ne suis pas d'accord avec le penchant de Lucas pour Lou. Je n'y crois pas. J'ai du mal avec ça. Je n'en veux pas. Dans l'épilogue que j'ai viré, il l'embrassait. Pour moi, la vraie fin, c'est la quête de la mère qui finit par s'accomplir. Il fallait que l'histoire du sauveur sauvé soit réglée. Pour une fois, j'avais envie que mon histoire s'achève. J'ai tenu à tordre un peu mes petits délires. Le fait d'avoir adapté au théâtre Des gens, d'après Raymond Depardon, a sans doute contribué à cette approche. J'ai revu aussi pas mal de documentaires du quotidien. Tous les films de Frederick Wiseman. Ceux de Depardon, de Nicolas Philibert. Tout le temps, j'en regarde à la télé. J'ai toujours aimé ça. Ça me fascine. Ça me remplit complètement.
Réalisme fou
Ce qu'on croit être réaliste est trop souvent conventionnel. La plupart du temps, cela sonne faux. La plupart des documentaires vous montrent que la vie est vraiment barjo. Les gens disent des choses dingues, se comportent de manière dingue. Tout est fou. Et magnifique. Et lyrique. Et poétique. Et n'a rien à voir avec cette espèce de convention médiocre qu'on veut bien nous donner. Dans la vie, les gens ne se répondent pas, les phrases ne se répondent pas. La vie est complètement délirante. Henri Michaux, Samuel Beckett, c'est du quotidien! Il faut accorder plus de crédit à la poésie humaine. Si planquée soit-elle parfois en l'être humain, la dinguerie est là!
Jeu de rôles
Je glisse naturellement d'un sujet à un autre. J'adore ça. C'est dans ma nature. J'aime bien le principe du cadavre exquis et d'ailleurs j'en ai glissé un à l'intérieur du film sous forme d'un petit dessin animé. C'est assumé.
La voix off
J'aime bien le principe de la voix off. Sauf qu'il faut la réussir. C'est une voix intérieure, un journal intime. Il faut qu'elle ait de la chair, cette voix! Il faut l'incarner la voix off! Dans Casino, de Martin Scorsese, que j'adore, il y a 75% de voix off.
Les actrices
Julie-Marie Parmentier une alliée de taille. Quand vous l'avez avec vous, elle vous embarque la scène. Elle est moteur. Elle est intelligente, pas du tout cérébrale. C'est une actrice, elle joue!
Nina Rodriguez a une présence physique impressionnante. Un de vos collègues m'a dit qu'on avait l'impression que l'on pouvait tout mettre sur son visage. On peut tout y imprimer, par une sorte d'effet Koulechov extrême. Elle est là, elle est posée, elle ne se repose sur aucun effet. C'est une môme en dehors des critères d'aujourd'hui qui bouquine énormément.
Sens musical aigu
Des musiques contemporaines, qui raclent un peu. Beaucoup de voix de femmes car c'est un film très féminin. C'est l'assistante de la monteuse qui a déniché Apocalyptica, un quatuor à cordes qui joue du Metallica. Ma fille a composé la chanson du générique de fin.

Portishead, un morceau tiré de l'album live, c'est d'une intensité! Elle y va Beth Gibbons! J'adore la musique un peu electro de Pati Yang. Purcell aussi.
CinéthérapieC'est beau le cinéma! Le théâtre aussi vous transforme pour quelques mois, mais c'est rare. Pour moi il y a deux trucs fabuleux. Voir des films et faire la cuisine. J'aime bien ce rapport au temps et à la chronologie. Ça fait du bien.
Qu'est ce qui fait courir Zabou?
Je vais sûrement tourner avec La Compagnie des spectres (ndlr: Seule sur scène avec un texte de Lydie Salvayre). En attendant, je commence un nouveau film comme comédienne, L'exercice de l'état, sur un scénario extraordinaire. Avec Olivier Gourmet, Laurent Stocker J'en besoin d'être actrice, d'être dans le regard d'un réalisateur. Je n'ai pas du tout envie de tout le temps diriger. Ça me pèse un peu. L'idée de me fondre totalement dans l'univers d'un autre, et surtout s'il est radicalement différent du mien, m'intéresse énormément. Cela permet de se renouveler.