En Chine, tout ce qui touche à la religion est toujours difficile à cerner, et les chiffres évaluant le nombre de chrétiens ne font que confirmer cet état de fait. 23 millions officiellement, 130 millions suivant d’autres sources poussent à penser que le nombre réel se situe entre ces deux chiffres qui couvre la totalité des diverses « églises ».
Si la constitution chinoise reconnaît le droit à la pratique religieuse, celle-ci est toutefois encadrée par un certain nombre de textes législatifs qui ont pour objectif de fixer les limites d’influence de ces pratiques. En Chine, on est en effet libre de faire à peu près ce que l’on veut, sauf d’interférer avec les affaires du pays que ce soit de près ou de loin, ce qui a pour effet de créer certaines tensions entre le pouvoir et les chefs religieux, quelles que soient leurs obédiences.
Un des exemples les plus connus est le cas du Dalaï-Lama qui en se présentant bien souvent plus comme un chef politique que religieux exaspère les dirigeants chinois qui voient dans ses positions une tentative de déstabilisation d’une des régions de Chine. L’Église catholique n’est pas en reste dans cette différence d’approche, et la nomination des prélats reste toujours sujette à conflit, le Vatican n’acceptant pas qu’un pouvoir politique interfère dans ses décisions, même si par le passé les papes se sont eux-mêmes largement chargés de mélanger les genres.
Si cette époque où l’église franchissait allègrement les frontières de chaque domaine est majoritairement révolue, le Parti communiste de Chine lui ne semble pas avoir eu vent de ce changement, et continue par conséquent à imposer son diktat pour ce qui à trait aux nominations de responsables religieux. Avec la modernisation du pays, les mentalités semblent toutefois évoluer dans le sens d’une meilleure entente, ce que j’expliquais il y a peu dans cet article (Réconciliation possible entre le pouvoir chinois et le Vatican), et qui semble être un signal enfin audible d’un changement de cap du côté chinois.
Du côté de la population, c’est le temps qui paradoxalement pousse de plus en plus de Chinois vers des religions à la base occidentales, se lassant quelque peu de la complexité des pratiques bouddhistes ancestrales, les jeunes générations semblant de plus attirées de manière irrésistible par tout ce qui n’est pas issu de leur culture. Il est en effet devenu courant de croiser dans la rue des jeunes arborant un bijou en forme de croix, non pas en raison d’une croyance dont ils ignorent souvent la simple existence, mais parce qu’ayant vu une vedette du show-biz ou autre portant ce signe de manière ostentatoire, ils s’alignent sur cette référence.
Pour leurs parents, le cheminement intellectuel est bien plus difficile, plusieurs raisons faisant que le christianisme dans son ensemble véhicule encore de nos jours une image négative. Il y a tout d’abord ces trente ans d’idéologie communiste dure où l’opium du peuple a été remplacé par « l’héroïne maoïste », ne laissant ainsi aucune place à la moindre pratique religieuse qui était de plus interdite. A l’aspect négatif d’une religion occidentale, donc ennemie, largement entretenu durant cette période vient s’ajouter le fait que le christianisme a à une certaine époque tenté de s’imposer par la force, amplifiant de fait une vision d’un occident envahissant la Chine jusque dans ses croyances religieuses. L’assassinat du Révérend Père Chapdelaine (lien Wikipédia), qui donna à la France l’occasion de rejoindre les Anglais lors de la deuxième guerre de l’opium, est un des éléments mettant en avant que le christianisme était souvent associé à la présence étrangère , ce qui a un effet de rejet encore perceptible de nos jours, et que les constructions de monuments dédiés à ce culte en lieu et place de temples bouddhistes n’ont fait que renforcer.
Pour beaucoup de Chinois des générations passées, le christianisme est donc encore étroitement lié à une vision d’occupation étrangère, sentiment qui est largement renforcé et entretenu par les dirigeants Chinois pour les raisons évoquées plus haut, alors que dans le même temps les jeunes y voient un signe d’ouverture sur un monde extérieur qui était fermé à leurs parents, et donc qui par déduction basique, est meilleur que celui où ils vivent.
Si la Chine n’a pas souffert des guerres de religion, du moins à l’échelle du pays, elle a connu la guerre civile, ce qui est identique en bien des points, le but pour chaque camp étant d’imposer son idéologie. Ce passé douloureux récent fait que les Chinois tentent par tous les moyens d’éviter de nouveaux affrontements, quelle que soit la source de ceux-ci, ce qui a pour effet de faire taire toute tentative de division, ce qui de fait arrange un parti au pouvoir ne désirant guère se voir contesté par qui que ce soit.
Cette République de Chine a il est vrai une histoire plusieurs fois millénaire derrière-elle, mais de fait n’existe que depuis une trentaine d’années, ce qui correspond au début de la libéralisation lancée par Deng Xiaoping. Si économiquement, un chat peut être noir ou blanc si c’est un bon chat, il en est encore tout autrement pour les religions qui lorsqu’elles ont une couleur autre que locale ont encore bien du mal à exister auprès d’une population ayant il est vrai bien assez de préoccupations bassement terrestres pour s’adonner avec ferveur à un au-delà, et ce quelque en soit sa forme.