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Le postmodernisme, une idéologie de la mondialisation ou du libre jeu des marchés Par Amady Aly DIENG

mots-clés: postmodernisme, Nkolo Foé, postcolonialité
Nkolo Foé, professeur de philosophie, montre que l’ère du postmoderne continue et accomplit l’époque structurale, et qu’à ce titre, il constitue une philosophie des contraintes. Au moment où l’on proclame ici et là ‘le capitalisme indépassable’, ‘la fin de l’histoire’, où le postmodernisme enterre définitivement les ‘grands discours’(ceux des Lumières et du socialisme) pour faire l’éloge de la soumission, Nkolo Foé démontre que la philosophie du capitalisme sénile est fondamentale.

L’idée de ce livre est née d’une controverse avec une certaine jeunesse africaine fascinée par la civilisation du virtuel. Nkolo Foé, professeur de philosophie et chef de département de philosophie de l’Ecole normale supérieure à l’université de Yaoundé, a voulu ici faire douter cette génération en mettant en évidence les desseins secrets du postmodernisme qu’il décrit comme une idéologie de la mondialisation ou du libre jeu des marchés. Le livre montre que l’ère du postmoderne continue et accomplit l’époque structurale, et qu’à ce titre, il constitue une philosophie des contraintes. Tous affichent leurs desseins totalitaires, tout en feignant de critiquer l’idée de totalité.

Détruisant le mythe universaliste qui accompagne la postmodernité, le livre se prononce en faveur d’un universalisme démocratique, fondé sur la réhabilitation de la valeur d’usage. Il se conclut par une réflexion générale sur le problème de la modernité, que ce livre se situe au niveau de la contradiction entre la modernité économique et la modernité sociale ; le refus de cette dernière expliquant les nostalgies anti et pré-modernes d’une doctrine conservatrice au service de la polarisation du monde.

Le bel ouvrage de Nkolo Foé vient à temps, selon l’économiste et préfacier Samir Amin. Au moment où l’on proclame ici et là ‘le capitalisme indépassable’, ‘la fin de l’histoire’, où le postmodernisme enterre définitivement les ‘grands discours’ (ceux des Lumières et du socialisme) pour faire l’éloge de la soumission, où Antonio Negri (2000) appelle à s’accommoder de l’Empire (américain bien entendu) qui conduira par lui-même aux lendemains radieux pour lequel il n’est plus besoin de combattre, la démonstration que Nkolo Foé nous offre – que toute ‘cette philosophie’ : celle du capitalisme sénile – est fondamentale.

La postcolonialité, une idéologie des bandes apatrides

Sans l’’archéologie des sciences sociales’, l'idéologie de l’Empire eût été impossible. Au cœur de cette archéologie, il y a en effet l’ethnologie.

Celle-ci doit expliquer le rapport qu’elle soumet avec l’historicité alors que son objet est précisément l’étude des peuples sans histoire. Dans l’étude de son objet, cette science privilégie en effet l’invariant (la synchronie) et non la succession des événements (la diachronie). L’objet visé est la suspension du ‘long discours diachronique’ par lequel nous essayons de réfléchir à l’intérieur d’elle-même notre propre culture pour faire surgir des corrélations synchroniques dans d’autres formes culturelles (Foucault). Le discours sur le décentrement, l’acentrique, justifie ainsi philosophiquement la théorie de l’Empire. Contrairement à l’impérialisme passé, l’Empire postmoderne n’établirait pas de ‘centre territorial du pouvoir’ et ne s'appuierait pas sur des ‘frontières ou des barrières fixes’. Cette conception de l’Empire explique mieux l’idéologie de la gouvernementalité, incarnée par les grandes structures d’ensemble l'Empire de la gouvernementalité est un espace complexe et souple, où les foyers de pouvoirs sont nombreux et où le principe de subsidiarité permet la décentralisation de l’autorité vers les pouvoirs locaux.

La déconstruction du nationalisme fut d’abord un phénomène littéraire, s’étant très tôt signalée chez Senghor, avant de se préciser dans la période postindépendance avec Ouloguem. Le Devoir de violence inaugure la vague postcoloniale, en s’opposant à l’écriture de la première génération, considérée comme une stratégie de légitimation du ‘récit nationaliste’. Publié en 1968, le roman de Ouloguem est contemporain des constructions de Foucault et Derrida, qui contribuèrent à légitimer philosophiquement la contestation des utopies de l’ ’ère de Bandoung’.

Ce qu’il y a d’absurde dans le discours senghorien

Le nationalisme occupe une place de choix dans ces utopies qui tiraient leur légitimité des luttes anticoloniales. Non sans malice, roman et théorie postcolonialiste s’ acharnent à ridiculiser ces luttes. Nationalisme, nativisme et ‘afro-radicalisme’ apparaissent chez Achille Mbembe comme ‘des philosophies du travestissement’ ou faux. Enclin à l’amalgame, il confond nationalisme et refus d’ouverture au monde, lutte pour la protection des acquis économiques et culturels de la nation et nativisme – assimilé au racisme. Cela signifie que tout nationalisme est un racisme et que toute forme lutte pour la souveraineté nationale est un parti pris en faveur de l’exclusion et de la ségrégation. De l’imagination, de l’hybridité, du métissage, du croisement des cultures, de l’utopie d’une société post-nationale, post-ethnique, Il fait des concepts opératoires. Mbembe se présente ainsi comme un épigone d’Appadurai. Chez ce dernier, la postcolonialité apparaît comme l’idéologie des bandes apatrides, captives du marché mondial.

Nkolo Foé étudie la solution proposée par Marcien Towa à la question de l’identité, du soi et de l’autre, du particulier et général, du singulier et du l’universel. Cette solution est dialectique, par essence, elle est donc complexe. On ne peut aborder la philosophie de Towa en faisant abstraction de sa profession de foi universaliste et démocratique. C’est dans la critique du senghorisme qu’en philosophie africaine, l’essentialisme devient pour la première fois, un concept opératoire. Ce concept permet d’illustrer ce qu’il y a d’absurde dans le discours senghorien. L’absurde réside à deux niveaux au moins. Premièrement, cette théorie fige la culture dans l’essence. Deuxièmement la Négritude biologise la culture. Il écrit : ‘ Avec lui donc, arrachons-nous au terroir, planons, allons à la rencontre du tout venant de toutes les races, de tous les continents, etc...).

Ces réalités que le postmodernisme dissout dans le langage et l’ironie

Derrière les rêveries métisses de Senghor, se camouflait en fait un rêve bien plus sérieux, celui d’un vaste Empire français. Obsédé par la destruction des nationalités et nostalgique des empires cosmopolites passés, Senghor n’envisageait sérieusement qu’une seule chose, ‘un idéal commun’, une ‘commune raison de vivre’ au sein d’un Empire, ‘L’Empire français’. C’est au nom de la Civilisation de l’Universel que Senghor flétrit le principe des nationalités ; aussi voit-il dans le nationalisme une ‘arme périmée’, ‘un vieux fusil de chasse’.

C’est le dégout de l’Afrique qui pousse les hybrides sur les chemins de l’exil. Mbembe affiche ainsi son dégoût du terroir avec ses mœurs bizarres. En définitive, les postmodernes conséquents rencontrent les social-néolibéraux pour identifier leurs intérêts les plus profonds avec ceux des forces les plus pures du capitalisme, la colonne vertébrale de sa politique étant l’exploitation et la répression. C’est dire que lorsqu’il s’agit du droit des peuples, de la justice sociale, de la protection de l’environnement et de la vie, le social-néolibéralisme et la postmodernité n’ont rien à nous apprendre. La voie indiquée par ces forces contredit fondamentalement celle du socialisme, qui place au centre de ses préoccupations : droits de l’homme et des peuples, le droit à l’éducation, à la santé, la protection de l’environnement et de la vie – autant de réalités que le postmodernisme dissout dans le langage et l’ironie. Réaliser ces objectifs, exige que l’on s’appuie sur le précieux héritage des Lumières, mais aussi de Marx. Or il est difficile de dissocier la vague irrationaliste actuelle, des politiques néo-fascistes, en tant qu’exigence de gestion efficace d’un capitalisme qui ne cache même plus ses desseins inégalitaires, urbi, et impérialistes, orbi.

Ce livre très documenté et plein de riches réflexions sur les grands courants de pensées actuels mérite d’être lu attentivement par les chercheurs en sciences sociales de l’Afrique noire et particulièrement d’Afrique occidentale.