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La résurrection de Beken, chanteur haïtien par Thierry Leclère

Il a été l’une des jolies découvertes du festival Etonnants Voyageurs, ce week-end, à Saint-Malo. Avec sa voix écorchée et ses mélopées nostalgiques qui chantent la dureté de la vie, le chanteur populaire haïtien Beken, ancienne gloire de Port-au-Prince, se produit ce soir à Paris. Une (re)découverte qui a commencé, en mars, par un portrait dans le "New York Times"… Vite, on peut encore l'écouter ce soir sur une péniche amarrée au bassin de la Villette (Paris)!



Il rentre dans un restaurant de Saint-Malo, commande une bière haïtienne. « Comment, vous n’avez pas de Prestige ? » Le patron asiatique décline poliment. Qu’est-ce que cette cité de corsaires qui ne connaît même pas la fameuse bière nationale des Haïtiens ?
Voilà une dizaine de jours que Beken apprivoise la France à petit pas. Et, hormis l’absence notable de bière Prestige, Jean-Prosper Dauphin (Beken est son nom de scène) est sur un petit nuage. A 54 ans, il vit peut-être le redémarrage de sa carrière, lui qui était, il y a quelques jours encore, réfugié sous une tente, comme des dizaines de milliers d’Haïtiens victimes du tremblement de terre, sur la place Saint-Pierre de Pétionville, sur les hauteurs de Port-au-Prince.

Sa voix rauque, adoucie par les chauds accents créoles, sa guitare folk et ses complaintes nostalgiques ont fait frissonner, samedi dernier (seul ou en duo avec la chanteuse d’origine haïtienne Marlène Dorcéna), le public du théâtre de la Ville de Saint-Malo.
Le nom de Beken, en Haïti, ne dit pas grand-chose aux moins de 20 ans, mais leurs parents se souviennent de chansons comme Tribilasyon (tribulation ) ou Mizè (misère), qui flottaient dans l’air des années 80. Inconnu à l’étranger, hors diaspora haïtienne, à la différence de Manno Charlemagne, plus engagé, Beken chante la dureté de la vie, l’injustice et le quotidien des gens de peu. Il met aussi en paroles sa propre souffrance, puisque, appuyé sur son unique jambe et la lourde béquille fabriquée par ses soins, il vit le handicap depuis l’âge de 12 ans. Depuis qu’une voiture l’a fauché dans une rue de Port-au-Prince.

Né dans le quartier populaire de Carrefour, Jean-Prosper Dauphin était le fils d’un petit artisan travaillant dans la tôlerie et la peinture de voitures. Aucun musicien dans la famille. Le virus l’a pris à 15 ou 16 ans, avec sa première guitare. Depuis une trentaine d’années, il vit tant bien que mal de sa musique. Ses ritournelles populaires lui ont permis de nourrir ses cinq enfants, même si ses apparitions se faisaient rares ces derniers temps. Son dernier concert dans la capitale haitienne, en décembre dernier, au parc historique de la Canne à Sucre, cachait mal une carrière en sommeil.

Le 12 janvier, Beken, comme des centaines de milliers d’Haïtiens, se retrouve à la rue, sa maison détruite. C’est là qu’intervient Simon Romero, un journaliste du New York Times, qui, couvrant l’actualité en Haiti, découvre les chansons de Beken au hasard des cassettes et des CD que son guide-interprète lui passe dans la voiture. Simon Romero signe un portrait attachant dans l’édition du 4 mars de son journal et , dans les semaines qui suivent, des journalistes du monde entier (Japon, Brésil… ) font le crochet, place Saint-Pierre, pour interviewer l’artiste, qui n’en revient pas de cette gloire retrouvée.

En avril, alors qu’il est en pleine préparation d’une série documentaire radio sur Haïti, Alexandre Héraud, producteur à France Culture, tombe lui aussi sous le charme de Beken,. Coup de pouce de l’ambassade de France pour financer son premier voyage en France. Et voilà comment les Malouins ont fait connaissance avec le chanteur de Port-au-Prince, le week-end dernier, lors de la soirée spéciale Haïti de France Culture, dans le cadre du foisonnant et enthousiasmant festival Etonnants Voyageurs.

Alexandre Héraud, qui a cornaqué le séjour parisien de Beken et de son jeune fils, depuis l’achat d’une nouvelle guitare jusqu’à l’organisation de quelques concerts et les contacts avec des producteurs, s’est retrouvé embarqué dans une folle entreprise, aussi épuisante que réjouissante.

Ce mardi soir et demain, mercredi, l’aventure continue. La péniche Anako, amarrée quai de Seine, à Paris, accueillera les deux premiers concerts parisiens de Beken. Avec ou sans Prestige, un petit air de Buena Vista Social Club, version haïtienne, va flotter, ce soir, sur le bassin de la Villette.

Thierry Leclère