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Gestion - Préparez vos négociations comme les stratèges asiatiques par Bruno Askenazi

Mots-clés: négociations, analyse, acheteur

Dans un contexte commercial tendu, la tâche du négociateur s’apparente de plus en plus à l’art de la guerre. Les préceptes des maîtres orientaux vous aideront à dresser votre plan de bataille.


D’un côté, des acheteurs sommés de limiter les dépenses ; de l’autre, des vendeurs sous pression, anxieux d’atteindre leurs objectifs coûte que coûte. Par les temps qui courent, chaque négociation commerciale a vocation à dégénérer en bras de fer. Seule une préparation minutieuse peut permettre d’amadouer le camp adverse. C’est l’objectif de la méthode RBG (pour Rivarola Business Group, du nom de son inventeur). Elle s’inspire d’anciens préceptes asiatiques comme ceux du bushido, le code d’honneur des samouraïs. Elaboré au xiie siècle, celui-ci exigeait par exemple qu’un combattant concentre toute son énergie sur l’obtention de la victoire, mais lui imposait d’agir avec honnêteté et en respectant son adversaire. Le RBG fait aussi référence à «L’Art de la guerre», le célèbre traité de Sun Tzu (VIe-Ve siècle avant J.-C.). Ce stratège chinois prônait notamment une extrême mobilité et l’utilisation de l’effet de surprise. Tout négociateur est enfin invité à s’imprégner de l’esprit du jeu de go, né en Chine il y a 4 000 ans, pour tirer le meilleur parti des faiblesses de l’adversaire. Les négociateurs de Valeo, PSA ou LVMH sont formés à cette méthode. A votre tour, apprenez à en respecter les cinq règles de base. Vous vous sentirez mieux armé et plus serein le jour J.

Concentrez-vous sur le but, pas sur l’adversaire

Dans l’esprit du bushido, le samouraï doit triompher du mal et non d’un adversaire en particulier. Certes, il affronte un individu, mais il se bat d’abord pour atteindre un objectif supérieur (l’honneur de son nom, la défense de son maître). Dans la préparation d’une négociation, faites abstraction des sentiments d’amitié ou d’antipathie que vous éprouvez pour vos interlocuteurs. En revanche, définissez précisément ce que vous voulez obtenir : vendre un produit, remporter un marché, gagner un client… Votre tactique à l’égard de la partie adverse découlera de cette réflexion. Et ne confondez pas objectif apparent et objectif réel. Ainsi, si vous participez pour la première fois à l’appel d’offres d’un grand distributeur, ne tentez pas de remporter le marché à tout prix : inconnu au bataillon, vous vous épuiseriez en vain. Concentrez-vous plutôt sur votre intérêt premier, à savoir impressionner le donneur d’ordres par votre professionnalisme en vue d’une prochaine opportunité. Faites-vous remarquer en soignant la qualité de la prestation ou la créativité des produits… Le général Sun Tzu conseillait d’accepter de perdre une bataille si cela permettait, à terme, de gagner la guerre.

Veillez à n’engager que les moyens nécessaires

Sun Tzu proportionnait les moyens mis en œuvre à l’importance de l’enjeu ou à la puissance de l’ennemi. Si la situation s’y prêtait, il envoyait de jeunes capitaines se faire les dents et gardait en réserve le gros de ses forces pour des batailles plus décisives. Dans une négociation, une bonne évaluation de l’enjeu permet de doser l’intensité de l’effort nécessaire pour atteindre l’objectif. Votre préparation sera évidemment différente s’il s’agit de retenir un client important ou d’en conquérir un dont vous n’attendez qu’un volume d’affaires mineur. Cette étape ne doit jamais être prise à la légère. Un prestataire de services informatiques se mord aujourd’hui les doigts d’avoir mal discerné l’enjeu réel qui se cachait derrière l’appel d’offres d’un grand distributeur de l’alimentaire : il y avait vu une simple occasion de remporter un marché, alors qu’il s’agissait en fait de sauver la mise de ce client fidèle, fragilisé par une concurrence exacerbée. Résultat : le fournisseur n’a pas préparé ce dossier comme il l’aurait dû… et il a perdu.

Analysez soigneusement les forces en présence

Etudier l’adversaire pour mieux le surprendre le moment venu est l’un des préceptes de base de Sun Tzu. Se renseigner sur les habitudes et la culture de clients étrangers permet ainsi d’anticiper leurs réactions ou de les impressionner favorablement. De même, une analyse préalable des forces en présence peut vous alerter sur la nécessité de rééquilibrer votre délégation. Si vous avez en face de vous trois acheteurs, dont le patron du service, il faut leur opposer trois commerciaux, parmi lesquels votre directeur des ventes. Ne faites pas comme ce dirigeant d’une société industrielle qui avait envoyé un jeune vendeur face à un ponte des services généraux. L’entretien a naturellement tourné court et le marché est allé à un concurrent.

Déterminez ce que vous êtes prêt à sacrifier

Pour Sun Tzu, la phase préparatoire compte pour 80% dans le succès d’une bataille. La victoire, soutenait-il, n’est que le fruit d’une supputation précise. A vous d’élaborer un «tableau de bord» de la négociation qui s’annonce : ce que vous acceptez éventuellement de donner pour rien, ce que vous êtes prêt à lâcher moyennant une contrepartie et ce que vous ne céderez à aucun prix (votre «ligne de rupture»). Ce tour d’horizon préalable vous aidera à distinguer plus clairement l’essentiel de l’accessoire. Le client qui vous fait face insiste pour être livré dans les vingt-quatre heures, sans savoir qu’un nouvel entrepôt, tout proche de son atelier, vous permet de respecter facilement ce délai ? Accédez à son exigence après avoir longtemps renâclé, comme si cela représentait pour vous une réelle concession. Et profitez-en pour obtenir en échange de meilleures conditions de paiement. Une ruse familière aux adeptes du jeu de go, où il est recommandé d’attirer les pions de l’adversaire sur des positions périphériques afin de mieux l’attaquer au cœur même de son dispositif.

Anticipez les différents scénarios avant la bataille

Même au milieu de la mêlée, un bon tacticien doit rester lucide et savoir à tout moment si les événements se déroulent comme prévu. Il y parviendra mieux si les différents scénarios possibles ont été étudiés en détail. Qui va parler en premier, par exemple ? Le patron, un vendeur ou un responsable technique ? Au Japon, le boss ne se risque jamais à entamer la discussion. Déjà, dans les batailles du Moyen-Age, le shogun désignait un faux général, le kagemusha, qu’on revêtait des oripeaux du chef, pour que l’ennemi concentre sur lui ses attaques. S’il était tué, le shogun se dévoilait, rameutait ses troupes et les menait à la victoire. Dans une discussion commerciale, on laisse donc un collaborateur subalterne ouvrir la négociation. S’il marque le point, le décideur renforce sa position à peu de frais. Sinon, il prend le relais et abat ses cartes maîtresses. C’est donc un véritable story-board de la négociation que vous devez élaborer. Déterminez notamment à quel moment et sur quel ton vous pourrez avancer tel argument ou faire telle concession pour qu’elle paraisse un énorme sacrifice. Anticipez les arguments de l’adversaire en analysant au préalable vos forces et faiblesses respectives. Vous serez ainsi en mesure de préparer une contre-attaque surprise. Souvenez-vous du précepte de Sun Tzu : pour déstabiliser l’adversaire, il faut mettre en œuvre une tactique à laquelle il ne s’attend pas.
Propos recueillis par Bruno Askenazi