En dépit d’avertissements multiples depuis la fin du printemps 2008, les autorités publiques ont constamment minimisé la gravité de la situation. Non seulement la dynamique de la crise financière a été sous-estimée, mais les autorités ont refusé de prendre en compte la dégradation rapide de l’activité économique en Allemagne, qui est le premier partenaire économique de la France. Aussi, la mise en place d’un plan de relance a été très tardive et celui-ci n’a pas été conçu de manière à être crédible. Pour Jacques Sapir, les solutions concertées à l'échelle européenne sont évidemment à privilégier si on le peut, mais les solutions unilatérales sont à choisir s’il le faut : droits compensateurs contre le dumping social et écologique, remise en marche des mécanismes de crédit, programmes d'investissement public pour le logement, les transports, l'industrie automobile, revalorisation des prestations familiales, du smic et des bourses, proposition d'une communauté européenne de l'énergie et réforme de l'Euro.
L’économie française subit de plein fouet aujourd’hui – comme il était prévisible – les effets de la crise économique et financière. Cette dernière vient frapper la France à travers plusieurs mécanismes.
La contraction du crédit, mais surtout la suppression par les banques des facilités de paiement qu’elles accordaient aux entreprises a profondément atteint les entreprises et en particulier les PME/PMI. Moins que d’une crise de solvabilité des entreprises, on peut parler d’une crise de liquidité, qui a exercé une contrainte très brutale depuis octobre 2008.
La chute de la demande chez nos voisins immédiats, où la crise est certes plus structurelle qu’en France, a cependant eu un impact très fort sur l’activité. La demande intérieure s’est aussi contractée dans une situation où les inquiétudes légitimes face à une dégradation rapide du climat économique international pousse les ménages à accroître leur épargne (et diminue leur consommation) et pousse les chefs d’entreprise à retarder des décisions d’investissement.
La hausse de l’Euro face aux monnaies asiatiques (sauf le Yen) et aux monnaies des « nouveaux entrants » de l’UE exerce aussi un effet dépressif sur l’activité.
L’accélération des destructions d’emplois a donc été spectaculaire dès janvier 2009 avec 90 000 chômeurs supplémentaires (contre 45 000 en décembre). Le taux de chômage va atteindre et dépasser les 10% dans le cours de cette année. Si ce chiffre reste encore relativement modéré par rapport aux niveaux que l’on connaît aux Etats-Unis ou en Espagne, il témoigne d’une brutale accélération qui devrait se confirmer durant tout le printemps de 2009.
En effet, on constate à travers les enquêtes menées dans les bassins d’emplois, la conjonction de trois phénomènes :
a. Les entreprises françaises en position de sous-traitance sont confrontées à une chute brutale des commandes des donneurs d’ordres qui soit sont eux-mêmes touchés par la crise soit anticipent son aggravation et rapatrient en interne une partie du travail. Or, les sous-traitants sont financièrement beaucoup plus fragiles que les donneurs d’ordres.
b. La baisse très rapide de l’activité chez nos voisins immédiats (Espagne, Grande-Bretagne et Allemagne) déstabilise les PME-PMI dont on oublie qu’elles sont en France un des moteurs des exportations et de l’activité.
c. Les chefs d’entreprise anticipent une crise de longue durée et n’attendent pas d’être confrontés à une chute de leurs commandes pour réduire l’activité. Ce phénomène est, bien entendu, aggravé par le comportement des banques qui ont brutalement réduit les facilités de crédit aux entreprises depuis octobre 2008.
Dans ces conditions, et compte tenu de la dégradation de la situation dans plusieurs industries et plusieurs bassins d’emploi, il faut donc s’attendre à une montée significative du chômage. On peut estimer à 500 000 le nombre de chômeurs supplémentaires que l’on connaîtra dans le premier semestre de 2009.
Dans ce contexte, la réaction des autorités publiques a été inadéquate et a contribué à fragiliser la situation de l’économie française.
En dépit d’avertissements multiples depuis la fin du printemps 2008, les autorités publiques ont constamment minimisé la gravité de la situation. Non seulement la dynamique de la crise financière a été sous-estimée, mais les autorités ont refusé de prendre en compte la dégradation rapide de l’activité économique en Allemagne, qui est le premier partenaire économique de la France. Aussi, la mise en place d’un plan de relance a été très tardive et celui-ci n’a pas été conçu de manière à être crédible.
Les autorités françaises s’en sont remises à l’espoir d’une action concertée des pays de l’UE, qui apparaît de plus en plus comme une illusion. La montée des problèmes tant dans l’ouest de l’UE (Grande Bretagne, Espagne, mais aussi Allemagne), que dans l’est de l’UE (les « nouveaux entrants » auront besoin d’au moins 180 milliards d’Euro d’ici la fin du printemps) rend peu crédible une réponse concertée au niveau de l’UE. La montée des tensions au sein de la zone Euro va d’ailleurs mobiliser des moyens financiers pour sauver la monnaie unique, qui ne pourront pas être engagés pour soutenir l’activité économique.
Dans ce contexte, les autorités françaises, après une posture interventionniste, tiennent désormais un discours de la résignation face à la crise qui n’est pas autre chose qu’un défaitisme économique, tout en se berçant d’illusions quant à une possible reprise de l’activité en 2010.
Ce discours ne correspond en rien à la réalité, car la crise économique n’est pas une fatalité. Les autorités ont des moyens d’action, même si on pourrait souhaiter qu’elles en aient plus. L’absence de volonté et le manque de crédibilité des politiques proposées découragent les acteurs économiques. Ceci va donc accréditer les postures attentistes et de repli des entrepreneurs, conduisant à une aggravation rapide de la crise.
I - Évaluation du plan de relance : « trop peu, trop tard »
Le plan de relance du gouvernement français porte sur environ 26 milliards d’Euros (non compris les prêts accordés aux banques), ce qui correspond à environ 1,3% du PIB. Il porte sur 5 domaines :
-Des investissements publics portant sur des opérations qui sont en général « accélérées » par rapport à des décisions de financement déjà prises.
-Des mesures favorisant des investissements de la part des particuliers (dans le cadre de la Loi Borloo).
-Des mesures de soutien sectorielles (automobile)
-Une baisse des charges sur les PME de manière à compenser la contraction du crédit.
-Une amélioration de l’indemnisation du chômage partiel.
Dans sa forme actuelle, ce plan pose 4 problèmes :
- Les montants engagés sont trop faibles pour être réellement crédibles. Rappelons que le « Plan Obama », si on lui retire sa dimension purement bancaire, représente environ 3,2% du PIB américain. Les mesures engagées par d’autres gouvernements européens (Espagne, Allemagne) sont aussi de l’ordre de 3% du PIB (au début mars 2009). Or, un plan de relance, pour avoir un effet réel, doit arriver à convaincre les entrepreneurs que la hausse de la demande (et donc de leurs profits) sera significative (par rapport au risque économique d’un accroissement des immobilisations) et d’une durée suffisante pour justifier des investissements nouveaux. Le plan du gouvernement français est ici loin du compte. Même si le « plan automobile » devait finalement venir s’ajouter au plan initial, on serait à 32 milliards. En fait, pour être au niveau de nos partenaires européens, il faudrait engager de 60 à 70 milliards d’Euros, hors soutien aux banques et au secteur financier.
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- Les 26 milliards sont trop dispersés, car répartis sur 5 directions, et 11 milliards sont en réalité des baisses d’impôts qui viennent « compenser » une absence de crédit. Il n’y a donc « que » 15 milliards d’Euros d’argent « nouveau » pour alimenter la demande solvable. Qui plus est, cette somme est répartie sur des opérations qui sont très diverses et trop nombreuses (Le Premier Ministre a ainsi annoncé « 1000 nouveaux chantiers »). Si la mobilisation des possibilités offertes par la Loi Borloo va dans une bonne direction, les moyens consentis sont trop faibles.
- Ce plan est trop tardif. Il a été annoncé en janvier 2009 alors que le choc de la crise sur l’économie réelle était visible depuis le début d’octobre 2008. Certains chantiers ne débuteront en réalité qu’à la fin de 2009 et n’auront pas d’effet sur l’activité avant le printemps 2010 au mieux.
- Ce plan n’annonce aucune rupture de tendance pour les acteurs économiques car il incorpore explicitement la contrainte issue de la dégradation de la balance commerciale de la France depuis 2007. Le gouvernement a délibérément réduit l’importance du plan de relance pour ne pas provoquer un déséquilibre supplémentaire. Les déclarations du Premier ministre qui exclut explicitement un nouveau plan sont, de ce point de vue, psychologiquement désastreuses. Les agents économiques vont ainsi anticiper le fait que le gouvernement français n’a pas les coudées franches. Cette anticipation mine encore plus la crédibilité du plan et limite drastiquement ses effets sur les anticipations des entrepreneurs et des ménages.
L’impact du plan de relance français ne pourra être que très faible. Il est trop réduit et arrive d’une certaine mesure trop tard car les effets de la crise du crédit ont déjà été fatal à de très nombreuses entreprises françaises. Le phénomène « boule de neige » qui peut transformer une récession en une dépression, soit le fait que des faillites réduisent encore plus la demande et découragent d’autres entreprises d’investir, accroissant la contraction de la demande, qui engendre de nouvelles défaillances d’entreprises, est déjà en train de s’amorcer.
Le plan de relance français est ainsi la version économique et contemporaine des erreurs stratégiques de 1940. Face à une menace qui se précise on engage des forces en trop petit nombre et trop tardivement, car on se refuse à changer de stratégie.
Au-delà des limites directes sur la situation macroéconomique qui découlent de la faiblesse des sommes engagées et de leur dispersion, l’absence de crédibilité induit par l’absence d’une volonté manifeste de combattre la crise et ses effets par tous les moyens possibles ne peut que démobiliser les acteurs économiques (et administratifs). Le défaitisme, militaire ou économique, se paye toujours au prix fort.
II - Quelles solutions face à la crise ?
Pour combattre la crise, il convient de faire porter l’effort sur les causes réelles de la dégradation rapide de la situation, soit la crise de liquidité des entreprises et la défaillance du système bancaire, la montée de l’incertitude économique et l’effondrement de la demande solvable qui poussent les entreprises à réduire drastiquement la voilure, enfin le sous-développement d’un marché intérieur trop peu structuré et trop ouvert.
Si des réponses concertées avec nos partenaires immédiats constitueraient la meilleure des solutions, l’échec actuel de la concertation et la paralysie qui ronge les institutions européennes rendent cette solution optimale peu probable. Il est alors faux de prétendre que des solutions unilatérales ne seraient pas efficaces. Si elles seraient moins efficaces que les solutions concertées, elles seront toujours plus efficaces qu’une absence de solutions. Les solutions concertées sont à privilégier si on le peut, mais les solutions unilatérales sont à choisir s’il le faut.
1) Il est urgent de remettre en marche les mécanismes de crédit au profit des entreprises et des ménages, et en particulier les mécanismes assurant le financement des besoins de trésorerie des PME-PMI. Pour ce faire, et devant l’échec patent des incitations et autres demi-mesures (comme le « médiateur de crédit », il n’est pas d’autre solution que la réquisition des banques françaises pour une période temporaire (de 6 mois à 1 an). Des administrateurs publics doivent donc être nommés dans les principaux établissements ainsi qu’au niveau régional, et des « comités de crédit » constitués au niveau départemental sous le contrôle du préfet pour assurer l’alimentation prioritaire des entreprises. Pendant cette période exceptionnelle, la cotation en Bourse des banques concernées doit être suspendue pour éviter des manœuvres spéculatives.
2) Les anticipations des entreprises et des ménages doivent être consolidées de manière positive par une série de grands programmes publics, dont la mise en œuvre doit être rapide et l’importance significative :
- Un grand programme public de construction de logements visant les classes populaires et les classes moyennes doit être lancé (s’il le faut en rachetant les programmes immobiliers privés aujourd’hui suspendus à leur valeur réelle) par l’émission d’un emprunt spécial alimentant une caisse publique autonome, et dont les titres pourront donner lieu (par capitalisation des intérêts et primes) à des bons utilisables pour acquérir ces logements. Ce programme doit aussi viser à la reconstruction des « cités » construites entre 1960 et 1980 et qui sont devenues des systèmes urbanistiques criminogènes.
- Des programmes publics de modernisation des infrastructures (transport ferroviaire et ferroutage, enfouissage des lignes à haute tension) doivent être aussi lancés très rapidement. Ceci doit s’accompagner d’une véritable politique industrielle dans les domaines évoqués, conduisant à suspendre l’application des directives européennes qui ont entraîné la dissociation (unbundling) de la production et des réseaux à EDF et à la SNCF.
- L’industrie automobile doit être aidée dans sa dimension innovante par la constitution de sociétés publiques de location et de leasing qui achèteront les véhicules électriques et hybrides des producteurs français (ou plus précisément produites sur le territoire français, même si le producteur est de droit étranger) pour les mettre à disposition des ménages et des parcs de véhicules d’entreprise rapidement et à un coût réduit. Cette politique, identique à celle du gouvernement japonais dans le domaine des ordinateurs dans les années 1960 et 1970, a pour but d’inciter les utilisateurs à s’engager vers les nouvelles technologies tout en réduisant leurs frais et le risque financier. Pour les producteurs, ces sociétés apportent, pour une période de démarrage de la production, une garantie du chiffre de vente, assurant d’emblée la rentabilité des investissements de production et la possibilité d’atteindre des échelles de production satisfaisante (ainsi que pour les sous-traitants). Notons que si un accord pouvait être réalisé avec l’Allemagne et l’Italie, un tel système pourrait être mis en place conjointement sur les 3 pays.
- Les mesures actuelles du plan de relance liées à la loi Borloo doivent être étendues, et les subventions accrues (viser un amortissement sur 10 ou 15 ans et non les 20 ans actuels). Ces mesures doivent pouvoir s’appliquer aux municipalités qui décideraient d’entreprendre des investissements d’économie d’énergie (pompes à chaleur, géothermie, panneaux solaires) sur les bâtiments publics qui sont de leur responsabilité.
3) Des mesures de développement du marché intérieur s’imposent mais doivent absolument être combinées à des mesures de protection face aux producteurs jouant du dumping social ou écologique. Elles doivent être annoncées rapidement. Ces mesures seraient d’autant plus efficaces qu’elles pourraient être négociées avec nos partenaires. Cependant, ces derniers doivent être mis face à leurs responsabilités par l’annonce claire et sans ambiguïté que le gouvernement français pourrait recourir à des mesures unilatérales si aucun accord ne pouvait rapidement (6 mois) être trouvé. Les mesures de développement du marché intérieur incluent :
- Une revalorisation des prestations familiales et le développement du « chèque-crèche » en particulier pour les mères isolées.
- Une revalorisation du SMIC
- Un développement des bourses pour les étudiants, pour tenir compte de l’allongement normal de la durée des études et faciliter l’accès à l’Université (avec le rétablissement des emplois de « pion » permettant d’assurer un soutien scolaire après la classe).
4) Une proposition de croissance doit être faite à nos partenaires immédiats, sous la forme d’une Communauté Européenne de l’Énergie, associant la France, l’Allemagne, l’Italie et la Russie (et à laquelle d’autres pays pourront naturellement s’associer). Cette Communauté, conçue sur le modèle de la CECA de 1949, portera un programme de modernisation et d’investissement visant les grandes infrastructures énergétiques à l’échelle du continent européen (gazoducs et oléoducs, mais aussi lignes à haute tension) ainsi que le développement de politiques d’efficacité énergétique en Russie et en Ukraine (ces politiques offrent des débouchés aux industriels européens tout en accroissant la marge exportable de la Russie et en réglant le problème récurrent de l’Ukraine).
5) Enfin, la France doit porter auprès de ses partenaires un projet de réforme de la Zone Euro incluant la possibilité de passer de la logique de monnaie unique à celle de monnaie commune, une réforme de la BCE afin d’en faire le pivot d’une politique monétaire orientée vers la croissance, et la mise en place d’un système coordonné de contrôle des changes afin d’éviter l’impact de la spéculation sur le taux de change et de retrouver une véritable capacité à piloter ce dernier. La « zone Euro » réformée pourrait s’inspirer dans ses mécanismes de fonctionnement de l’Union Européenne des Paiements qui fonctionna de 1949 à 1957. L’introduction de mécanismes de contrôle sur les flux de capitaux permettra d’accélérer une « dé-financiarisation » de l’économie européenne et de redonner au secteur réel toute son importance.
Ces propositions combinent donc des solutions pour la France et pour l’Europe. Elles sont à la fois ambitieuses et pour certaines immédiatement applicables. Elles peuvent constituer le choc psychologique nécessaire pour convaincre les ménages et les entreprises qu’il n’y a pas de fatalité à la crise et qu’il existe une volonté de ne pas se laisser submerger par le chômage et la misère. La dimension « choc psychologique » dans une politique de lutte anti-crise est aussi importante que les mesures elles-mêmes. Un désastre rejeté est à moitié effacé.
Jacques Sapir
Économiste, Directeur d’études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
9 Mars 2009