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Apprendre à prier à l'ère de la technique, par Gonçalo M. Tavares

Toute fin d'aventure a quelque chose de triste. En mettant un terme à la tétralogie de ces fameux « livres noirs », comme les décrit Gonçalo lui-même, Apprendre à prier à l'ère technique n'en reste pas moins une oeuvre puissante et originale, impressionnante, dans l'ensemble de ce que peut proposer la littérature portugaise.

Dans un pays qui importe peu, vivant en paix, avec le souvenir encore frais des combats, le docteur Buchmann Lenz décide de s'engager en politique. Estimant qu'il a prouvé sa valeur comme médecin, il va prendre les mesures nécessaires pour devenir une sorte de patriarche pour le peuple. Une volonté insatiable de conforter son autorité et surtout de l'étendre anime, il puise dans une théorie intrigante sa stratégie. S'il a été en mesure de soigner des individus, il peut alors exercer son art médical pour une ville tout entière. Il se rapproche alors d'un candidat à la présidence du pays.

Et Gonçalo nous entraîne alors dans l'âme d'un homme froid et calculateur. Sans pitié même, mais à l'image de ce que peut être l'homme moderne quand il atteint des postes de pouvoir. Une constante dans l'écriture de Tavares, qui déploie une fois encore son pessimisme à l'égard de l'espèce humaine.

Toujours avec des chapitres courts, dans un style classique, rendu par Dominique Nédellec, le traducteur, le livre déploie des trésors de perversité et de manipulation. Une précision minutieuse dans les détails, avec une mathématique appliquée de la psychologie. On plonge pleinement au coeur de ce que la psychè peut receler de perversité dans l'assouvissement de ses obsessions.

Une confiance inébranlable, à l'image du dramaturge Georg Büchner, dont Gonçalo a repris le personnage, Lenz est une fait inspiré du dramaturge Jakob Michael Reinhold Lenz (1715-1792), dont Gonçalo retient essentiellement la relation à la folie. L'auteur fut lui-même l'un des représentants du mouvement tout à la fois politique et littéraire du Sturm und Drang, posé en contestation face aux Lumières du XVIIIe siècle et qui préfigurera largement le romantisme en Allemagne.

Ce quatrième et dernier pan de l'aventure menée par Tavares tend à figurer l'histoire d'un homme exclu de l'humanité ou de l'histoire, mais recherche un moyen de réunir ses semblables autour de lui. Une forme de quête mégalomane soulignant le rapport au pouvoir et ses mesquineries.

Apprendre à prier... se distingue des précédentes oeuvres, de par son simple titre. L'homme y est traité comme une machine ayant la forme autant que la fonction d'une arme à feu, et marque la rupture définitive entre l'être humain et la nature qui l'entoure. L'idée même d'harmonie entre les deux se brise face au désir de puissance, une contradiction qui cristallise notre docteur, médecin du corps, qui se substitue finalement au médecin des âmes, le prêtre, pour devenir le docteur de la société, homme politique.

Sa pensée, ses actions sont alors un scalpel, pour traiter le corps social malade, tout en assurant son propre désir de maîtrise et de domination. Difficile de diagnostiquer quand les motivations deviennent si éloignées l'une de l'autre, et tiraillent l'être au point de scinder sa personne en deux esprits distincts. Derrière l'apparente respectabilité se dissimule une vie privée de dépravation, mue par l'ambition.

Une lecture passionnante, mais facile, qui porte sur des questions modernes un regard peu enthousiaste. Et pourtant lucide. Une grande oeuvre, que l'on peut évidemment découvrir sans avoir pris connaissance des précédentes. Mais que l'on doit absolument.....Lire la suite sur actualite.com >>>