Souvenirs d'un défenseur des pauvres en Haïti

Par Kevin Pina

La communauté internationale et l'administration Préval ont récemment oublié l'anniversaire de l'assassinat brutal du Père Jean-Marie Vincent en Haïti, contribuant ainsi à la perception de deux réalités distinctes haïtiennes. D'un côté, il existe l'Haïti de l'élite fortunée, de l'ONU, des profiteurs étrangers, des ONG, des diplomates et leurs clients au sein du gouvernement Préval. D'un autre côté, il y a l'Haïti de la majorité des pauvres qui sont coincés dans l'engrenage de la pauvreté constante avec une expérience, une histoire et une mémoire unique qui leur sont propres.

Les pauvres d'Haïti se sont souvenus de l'anniversaire de l'assassinat du père Jean-Marie Vincent, le 28 août dans des petites cérémonies solennelles autour de son tombeau à Port-au-Prince et dans la petite ville de Jean Rabel dans le nord-ouest d'Haïti, où il a fondé une organisation de droits des paysans : Tèt Kole Ti Peyizan. Ils se sont souvenus de lui pour avoir défié les élites riches d'Haïti en lançant des projets d'alphabétisation et la planification d'une banque alternative dédiée aux pauvres. Ils se sont souvenus de son courage et des bastonnades reçues des mains des dictateurs pour ses appels incessants que les dépossédés d'Haïti avaient parfaitement le droit de prendre le contrôle de la destinée de la nation. Pendant que les membres de la classe possédante d'Haïti méprisaient les pauvres âmes analphabètes, ils régnaient par la corruption et la violence. Vincent précisaient toujours que les pauvres n'étaient pas les victimes, ils abritaient plutôt une force et une sagesse que les riches ne pouvaient se permettre de comprendre. Vincent avait dit une fois: «Alors que les riches se soucient d'aller au ciel, les pauvres se soucient de se nourrir. Nous devons nous concentrer sur les besoins des pauvres de se nourrir avant de parler du salut spirituel de ceux qui peuvent déjà manger.
Youri Latortue the powerful head of the Haitian parliament's Justice and Security Commission was also accused of complicity in Vincent's assassination.

Dans l'autre Haïti, l'anniversaire de l'assassinat de Vincent a été éclipsé par tout le battage médiatique du "trickle-down economic » de Reagan, théorie économique prônant le retour d'Haïti dans le camp du modèle néolibéral de développement des ateliers de misère. Le battage médiatique d'une «nouvelle Haïti » née de la promesse de nouveaux ateliers de misère et d'une tentative récente visant à augmenter le salaire minimum à un maigre 3.73 $ par jour d'un scandaleux $ 1.75 par jour. Ce qui, une fois de plus servait à masquer la réalité frémissante des pauvres qui pouvaient à peine cacher leur misère, dans cette nation insulaire de 9 millions d'habitants.

Père Jean-Marie Vincent luttait contre ce qui est devenu maintenant la réalité des modèles EU/ONU de développement des ateliers de misère en train d'être imposés aujourd'hui sur Haïti. Cette solution aux difficultés économiques d'Haïti qui récompense l'élite riche prédatrice et monopoliste au détriment de la masse des pauvres en Haïti a longtemps été appelée le « Plan Lanmò », ou le Plan de la mort. Père Jean-Marie Vincent s'opposait à ce modèle de développement imposé pour la première fois sur les masses d'Haïti dans les années 1980 par Ronald Reagan, sous le nom CBI (Caribbean Basin Initiative) - Initiative pour le bassin Caraïbéen; et il aurait certainement vociféré son opposition à son recyclage aujourd'hui.

Il ya quinze ans, le père Jean-Marie Vincent avait été abattu d'une rafale de balles devant son presbytère à Montfortain dans le quartier de Christ-Roi à Port au Prince. Les témoins avaient décrit deux véhicules transportant des membres de l'Anti-Gang d'Haïti, unité redoutable de l'armée haïtienne, comme ceux qui avaient ouvert le feu sur son véhicule. Il aurait été encore en vie alors que l'armée haïtienne, à dessein, conduisait l'ambulance lentement à l'hôpital, lui permettant de saigner à mort avant d'avoir pu atteindre les médecins. Sa mort avait été lente et tortueuse dénonçant ainsi le profil des accusés, comme le capitaine Jackson Joanis, le lieutenant Youri Latortue et le Sgt. Jodel Chamblain ; tous, membres de premier plan de l'unité anti-gang de l'armée haïtienne, au moment de son assassinat en 1994.

Chamblain et Jackson Joanis ont été jugés coupables par contumace en 1995 pour l'assassinat d'Antoine Izméry, un partisan d'Aristide et homme d'affaires condamné par sa propre classe comme un traître. Izméry et Vincent ont été comptés parmi les victimes du régime Cédras que le Département d'Etat américain avait décrit comme «un des pires violateurs de droits humains dans le monde." Chamblain et Jackson Joanis ont finalement été libérés sous le régime Latortue installé par l'administration Bush en 2004 après un simulacre de procès que l'Amnistie Internationale a appelé une «insulte à la justice." Ils ont également été absous dans l'assassinat du père Jean-Marie Vincent.

Youri Latortue, un parent par le sang (neveu) et chef de sécurité du Premier ministre Gérard Latortue, installé par les États-Unis en 2004, est maintenant à la tête d'une puissante Commission de Justice et Sécurité au parlement haïtien. Il était également accusé de complicité dans l'assassinat de Vincent selon un rapport publié par une délégation du Centre d'études des droits de l'homme en 2004. «Un ancien haut fonctionnaire de police de rang de l'USGPN (sécurité du palais), Edouard Guerrier ... prétend que Youri Latortue avait participé dans l'assassinat en 1994 du prêtre catholique, Jean-Marie Vincent (à l'instar des témoins oculaires en 1995), et qu'il a aidé à assassiner en 1993 le militant démocrate Antoine Izméry. De 1991 à 1993, M. Latortue était un officier de [l'armée d'Haïti FADH's] antigangs, l'unité la plus tristement célèbre de l' armée en matière de violations des droits de l'homme. "

L'administration de l'ancien président Bill Clinton qui sert actuellement d'Envoyé Spécial des Nations Unies en Haïti, tandis que l'ex première dame Hillary Clinton est Secrétaire d'État dans l'administration Obama, avait passé des instructions à la CIA et au Département d'État pour mener une enquête indépendante sur l'assassinat du père Jean -Marie Vincent et les partisans du président Aristide en 1994. Léon Panetta, qui dirige actuellement la CIA était le chef de cabinet de Clinton au moment où l'enquête avait été commandée par le Bureau du Président. Leur porte-parole à l'époque, Roger Shattuck, Secrétaire d'État adjoint aux droits de l'homme et affaires humanitaires avait fait allusions à leurs conclusions dans une conférence de presse le 13 septembre 1994 quand il avait déclaré sans équivoque, "L'homme armé qui a tué le père Jean-Marie Vincent, un allié Aristide, le 28 août était lié au régime de Cédras ». Pourtant, à ce jour, aucun des détails de l'enquête n'a jamais été rendu publique.

À la fin, ce qui est clair, c'est que l'Envoyé spécial des Nations unies en Haïti Bill Clinton, secrétaire d'État Hillary Clinton et chef de la CIA Léon Panetta détiennent aujourd'hui le pouvoir sous l'administration Obama de faire luire la vérité sur l'assassinat du père Jean-Marie Vincent. Ils sont maintenant en mesure d'exiger que les dossiers de la CIA et du Département d'Etat soient rouverts. Malheureusement, s'ils ont la volonté politique de le faire peut être comme toute autre chose qui se passe dans l'Haïti d'aujourd'hui. La justice est gênante dans leur «nouvelle Haïti" si elle s'installe sur le parcours d'un pays qui va de l'avant." Malheureusement pour eux, l'histoire a prouvé qu'elle est un château de sable quand on construit un nouvel avenir basé sur le mensonge et l'impunité dans un pays comme Haïti dont le peuple a montré à maintes reprises qu'il a la mémoire longue.

Quoique fournir la vérité sur l'assassinat de Vincent puisse être gênant pour ceux qui croient qu'ils détiennent actuellement le destin d'Haïti entre leurs mains, ils devraient comprendre plus que d'autres, que les pauvres n'oublieront jamais l'héritage du père Jean-Marie Vincent. Ils se souviendront toujours de son exemple de courage et d'abnégation, des expressions de l'amour pour eux, car il a vécu, travaillé et est mort dans leur Haïti

Kevin Pina est un journaliste et cinéaste qui a couvert les événements en Haïti depuis 1991. Pina est également le rédacteur et fondateur du Projet d'information Haïti (HIP), une agence de nouvelles alternatives basées à Port-au-Prince.