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Religion et Morale - De la miséricorde, du moindre mal et de la loi de gradualité

Source: Lavie.fr
Le père Alain Mattheeuws, jésuite, théologien moraliste, éclaire avec l'un de ses étudiants, le père Pascal Nègre, la déclaration de Benoît XVI sur le préservatif. Leur texte publié par lavie.fr permet de mieux évaluer la portée des propos du pape dans son dernier livre.

Dans le discernement des réflexions morales, nous constatons souvent « qu’il y a des manières de penser la miséricorde qui proposent en réalité des succédanés de la miséricorde divine. En voulant faire droit au pécheur, dans ses limites et ses blessures, elles risquent plutôt de faire droit au péché et d’y maintenir l’homme en l’y enfermant. Elles n’ouvrent pas vraiment ainsi la porte au souffle de l’espérance mais risquent de mener dans une impasse terne et désespérante. Elles rapetissent plutôt la béatitude et le bonheur de l’homme dans un humain trop humain qui réduit tristement l’horizon et les enjeux de son agir.
Le choix du moindre mal en est une conséquence et le langage du moindre mal n’aide pas à en sortir. Or, notre agir et notre histoire sainte ont toujours un lien à l’éternité qui est venue les visiter. Ils sont déjà sauvés. La loi de Dieu, ni opprimante, ni culpabilisante, est une expression de cette grâce de salut traversant l’histoire. Et elle est toujours accessible, comme grâce, ici et maintenant, dans l’instant où il nous faut poser un acte bon. La loi ouvre devant nous l’immense champ du bien à faire,
« Il est toujours tragique que Dieu soit vu comme le rival de l’homme et l’ennemi de sa liberté », disait le Pape à Barcelone il y a quelques jours. Bien au contraire, sa Loi est une loi de liberté pour des hommes qu’il veut libres et heureux.
Si l’on veut donc ne pas ignorer les difficultés réelles de l’homme à grandir dans le bien et à l’accomplir, et ne pas non plus réserver la Loi à certains ou la graduer selon les situations ; si l’on veut non pas faire un sophisme, mais réellement préciser le langage, et trouver une réponse concrète au moindre  mal  en offrant un chemin de vie où le bien est toujours à faire, alors il faut en venir à l’idée non pas de gradualité de la loi, mais de loi de gradualité dont parle déjà Familiaris  Consortio en 1981 au sujet de l’itinéraire moral des époux, mais que l’on peut facilement élargir à l’ensemble de la vie morale.
C’est la vraie réponse au moindre mal. Qu’est-ce que cela signifie ? Que le bien est toujours à faire, mais qu’il ne nous est pas toujours possible de faire tout le bien espéré ou souhaitable à un moment donné. Il y a une progressivité non seulement dans la perception de la moralité d’un acte, dans la reconnaissance de la valeur de la loi, mais aussi dans la manière de la mettre en œuvre et de la vivre. Notre vie morale est un cheminement existentiel, une histoire, éclairée par la loi de Dieu qui se donne comme loi de vie, et qui est à respecter et à accueillir toujours de nouveau et entièrement, même quand il arrive que nous expérimentions que nous n’y parvenons pas. Nous convenons volontiers que notre itinéraire n’est pas sans détours, mais l’Esprit Saint agit dans l’histoire de nos vies en assumant ses sinuosités.
Ce cheminement de chaque sujet moral doit être respecté et soutenu, car on ne peut pas montrer l’exigence et la beauté de la Loi qui est destinée à tous - sans exception - sans montrer simultanément qu’il y a aussi un chemin pour parvenir à en vivre pleinement. Et ce chemin, lui, est toujours singulier.
La loi de gradualité désigne des lois qui appartiennent à la « structure de l’être humain » appelé à faire le bien. Ainsi, la loi de gradualité se situe au niveau du sujet moral en devenir, non pour adapter à sa situation blessée la Loi divine qui est la même pour tous, mais en honorant son cheminement spirituel et moral vers la sainteté : cheminement de croissance, au cœur d’une histoire, avec des paliers. Un bien est toujours possible, et peu à peu, il nous est donné de grandir dans le bien accompli, même si à un moment donné de notre histoire, nous ne sommes pas à même de faire tout le bien demandé par la Loi.
Nous savons par l’Ecriture et la Tradition que Dieu donne sa loi à un peuple qui a la nuque raide, et qu’il le fait comme une grâce dans une histoire sainte. Il y a une « structure incontournable », profonde de notre condition d’hommes et de notre expérience morale qui est faite de passages, de seuils, de progressions. Il nous faut donc scruter, reconnaître, accueillir l’histoire de chacun et voir comment peu à peu en elle, la nature et la grâce s’unissent et se transfigurent.
Et si nous peinons à faire le bien ou posons même des actes mauvais (pas toujours les moindres d’ailleurs)? Alors face à nos limites, bien réelles, face à notre péché ou à nos difficultés à faire le bien que nous voudrions, la loi de gradualité (qui n’est pas une norme positive de type juridique) traduit l’espérance de Dieu dans notre histoire : elle est le langage délicat, parfois difficile à décliner, de la recherche d’une bonne réponse éthique, fondamentale, aux questions qui nous dépassent, et elle est la bonne alternative au choix du moindre mal. Elle n’est pas une « loi de l’illicite », ni une manière « d’éviter des normes » qu’on n’arrive pas à assumer, mais l’expression vraie de la miséricorde à l’œuvre dans nos vies et de l’intégration progressive des normes morales dans chaque individu.
Je m’explique : la gradualité dit qu’à chaque instant de notre vie nous sommes et restons en relation avec notre Dieu sauveur, et donc que nous pouvons lui dire « oui » sur le chemin qu’il parcourt avec nous. Le faire chaque fois de nouveau. Cela ne signifie pas que nous pourrons être parfaits dans le bien immédiatement, mais qu’il nous est toujours possible de choisir Dieu de nouveau, et de grandir en lui. Ici et maintenant, ce qui compte dans la conscience de l’homme de bonne volonté, c’est son désir profond et vrai de faire le bien et de ne plus pécher:
« La loi de gradualité dit la loi du cœur qui se tourne vers Dieu dans les conditions concrètes de son histoire sainte, au sein de l’Église, telle qu’elle est. Elle exprime l’essence de l’action de Dieu dans l’histoire humaine : son désir de faire alliance avec nous, de nous aimer, de nous sauver, et son attente d’une réponse libre et confiante (…). La loi de gradualité nous pousse à nous identifier [progressivement] à la personne même du Christ, qui devient la loi ultime et accomplie. (…) Sans dissocier la miséricorde du salut offert dans les commandements et leur observance, (…) elle nous aide à mesurer hic et nunc la grandeur de la miséricorde de Dieu dans l’unité d’une personne. A sa lumière, la conscience de plus en plus vive du péché fait croître l’amour du Dieu sauveur » (Mattheeuws Alain, "Soyez compatissants, animés d’un amour fraternel, miséricordieux et humbles",Cerf/Service National de Pastorale Liturgique et Sacramentelle, Guides « Célébrer », 2009).
Et cela aide donc à choisir librement, et en toutes circonstances, le bien à faire. C’est cela notre histoire, et elle est donc sacrée.

Texte exposé le 18 novembre 2010 par le père Pascal Nègre devant la faculté de Théologie de la Compagnie de Jésus à Bruxelles