Né à Port-au-Prince le 2 avril 1770, d'un colon français ( Pascal Sabès ) et d'une mulâtresse ( la dame Ursule ), Alexandre Pétion appartenait à la catégorie des affranchis. Il adopta le pseudonyme de Pétion, en hommage à Pétion de Villeneuve, qui fut membre de la Convention et de la Société des Amis des Noirs.
Il échappa à la mort, le 3 juin 1770, lors du tremblement de terre qui dévasta Port-au-Prince. « Alexandre Pétion, rapporte Edgar La Selve ( pp. 194-195 ), était alors à la mamelle. Sa mère, troublée par la frayeur, par le tumulte, par les cris, l'avait abandonné dans sa chambre, endormi dans son berceau. La malheureuse ne peut que balbutier le nom de cet enfant, elle invoque du secours ; mais la terreur et le danger glacent tous les courages ; personne ne bouge. Enfin la nourrice se précipite, au risque de sa vie, dans la maison chancelante et rapporte le petit " Sansandre " sain et sauf ». Le séisme, qui ne laissa qu'un amas de décombres, fit une centaine de victimes.
Pétion fut orfèvre dans sa jeunesse. A dix-huit ans, il était soldat dans les chasseurs de la milice, et fit en 1790 de vains efforts pour sauver le colonel Mauduit-Duplessis des mains des pompons rouges ou indépendants, qui l'assassinèrent lâchement. Au mois d'août 1791, les hommes de couleur s'étant soulevés pour l'obtention de leurs droits politiques, Pétion fut au nombre des confédérés ( appellation qu'avaient prise les révoltés commandés par le mulâtre Beauvais ). À la première rencontre, Pétion se fit remarquer entre tous par son courage et sa générosité. À la suite d'un congrès, où il fut un des représentants de sa classe, un traité de paix fut signé ( 11 octobre 1791 ). Mais de nouvelles luttes armées ne tardèrent pas à éclater dans la ville de Port-au-Prince ; Pétion s'y signala comme officier d'artillerie, et à Bizoton, en décembre 1791, comme lieutenant du général André Rigaud.
Pendant toute la durée de la guerre que la France eut à soutenir contre les Anglais, Pétion, alors commandant d'artillerie, se distingua en maintes occasions par des actes de courage : sa prise du camp « La Coupe », le 15 février 1798, entraîna l'évacuation de Port-au-Prince par les forces ennemies. Mais une rivalité apparut entre les deux principaux chefs indigènes : le mulâtre André Rigaud et le noir Toussaint Louverture ; le premier représentant la France, le second les Anglais et leurs auxiliaires, les émigrés. Entre ces deux hommes le choix de Pétion ne fut pas douteux : il abandonna Toussaint Louverture, sous lequel il servait, et alla offrir spontanément son épée au général Rigaud ( 1799 ). Il participa aux principaux succès de son nouveau chef, battit Dessalines au Grand-Goave, prit la ville de Jacmel, y soutint un siège mémorable, et combattit jusqu'à la défaite complète du parti de Rigaud. Il s'embarqua alors pour la France ( août 1800 ) et arriva à Paris le 20 janvier de l'année suivante, après avoir passé par Curaçao et la Guadeloupe, et avoir subi une captivité de deux mois sur les pontons de Portsmouth, où le jetèrent les Anglais, qui l'avaient fait prisonnier à l'entrée de la Manche.
La guerre contre Saint-Domingue ayant été décidée, le gouvernement consulaire, qui comptait beaucoup sur l'appui des officiers mulâtres et noirs, appela ceux qui se trouvaient en France sous les drapeaux de l'armée expéditionnaire. Pétion y entra comme adjudant commandant. Après la soumission de Toussaint Louverture, en mai 1802, il fut chargé de pacifier les hauteurs des Verrettes et de l'Archaïe ( septembre 1802 ), et de soumettre Jasmin, Sansouci, Petit-Noël et Macaya, indomptables Africains qui, dans les mornes du Nord, luttaient encore et persistaient à ne point vouloir déposer les armes. Mais la population indigène de Saint-Domingue s'aperçu vite que, sous des semblants de pacification, l'expédition française n'avait en réalité d'autre but que de rééditer l'Ancien Régime: on apprit, par des fugitifs échappés des frégates transformées en prisons, que l'esclavage avait été rétabli à la Guadeloupe sur des monceaux de cadavres.
À cette terrible nouvelle, Pétion donna le signal de la révolte, le 13 octobre 1802. À la tête de cinq cent cinquante hommes il marcha contre le principal poste français du Haut-du-Cap, le cerna, le fit désarmer et sauva quatorze canonniers que les siens voulaient égorger : l'armée des « indépendants » était formée. Les généraux Geffrard, Clervaux et Christophe, vinrent se joindre à Pétion qui, toujours plein d'abnégation, céda au dernier le commandement de l'insurrection. Dégoûté pourtant de servir sous ce chef hypocrite et féroce, il ne tarda pas à aller se placer sous les ordres de Dessalines qui, après lui avoir vainement offert le commandement suprême de l'armée, le nomma général et lui confia l'Ouest de l'île. C'est pendant qu'il occupait ce poste qu'il répondit au général Lavalette, qui lui proposait une amnistie générale et la promesse du non-rétablissement de l'esclavage : « Il est trop tard, nous avons résolu de vivre libres et indépendants ou de mourir. » Sa tête fut mise à prix par Rochambeau pour cinq cents portugaises ; ce qui ne l'empêcha pas de continuer son œuvre °de délivrance : il battit le général Kerverseau dans la plaine de Mirebalais ( mai 1803 ), rallia les débris des corps des généraux Gabart et Cangé, mis en déroute par Lavalette, et entra le 16 octobre 1803 à Port-au-Prince après un siège au succès duquel il avait largement contribué. Le 4 décembre 1803, les débris de l'armée de Saint-Domingue évacuaient l'île, et le même jour le drapeau de l'indépendance flottait sur le Môle Saint-Nicolas.
Averti par Christophe des préventions de Dessalines contre lui, il le fera assassiner le 17 octobre 1806. C'est aussitôt après que commence la guerre entre Christophe et Pétion : Christophe, qui avait été nommé chef provisoire du gouvernement, arbora dans le Nord le drapeau de la guerre civile, pendant que dans l'Ouest, à Port-au-Prince, on proclamait la République ( 27 décembre 1806 ). Pétion, que l'assemblée chargea d'aller combattre Christophe, perdra contre lui la bataille de Sibert, le 1er janvier 1807. Deux mois après, le Sénat nommait Pétion président de la République d'Haïti ( 10 mars ). Mais des conspirations nombreuses contre sa personne et contre son gouvernement l'obligeront à dissoudre le Sénat et à régner en dictateur.
La guerre fratricide de Christophe, marquée par des alternatives de succès et de revers pour Pétion, continuait encore quand arriva de France en Haïti ( avril 1810 ) l'ancien rival de Toussaint Louverture, le général André Rigaud. Pétion accueillit son compagnon d'armes comme un frère, mais celui-ci ne voulut pas rester au second plan : profitant de l'influence qu'il exerçait sur les populations du département du Sud, dont le commandement lui avait été confié, il se déclara indépendant et opéra une scission qui eût pu tuer la jeune république, sans la sage prudence de Pétion, qui évita toujours de commencer une autre guerre civile. Il fut l'année suivante réélu président par un sénat composé de cinq membres tout à sa dévotion.
Bolivar trouva en Pétion un puissant appui, lors de l'affranchissement des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud. Par son équité, il posa les bases des arrangements pris avec la France, pour la reconnaissance de l'indépendance et de la souveraineté d'Haïti. En 1816, il élabora pour la République haïtienne une constitution modèle, qui instituait l'abolition de l'esclavage, la liberté de la presse, le bicamérisme, la responsabilité des fonctionnaire et la présidence à vie : toutes réformes d'origine européenne, très avancées pour l'époque. C'est également lui qui partagea les terres des plantations confisquées aux Français entre les paysans haïtiens (1). Mais après la réunion du Sud à la République, à la mort de Rigaud, rien de saillant n'apparaîtra plus dans la vie politique de Pétion. Il mourra à Port-au-Prince, le 29 mars 1818, d'une fièvre putride et maligne.
Ses restes seront inhumés aux environs de Port-au-Prince, sous le fort Alexandre, dont il avait ordonné la construction en 1804. De son tombeau, écrit Edgar La Selve ( p. 196), semblait sortir une voix qui disait : « En politique, il faut compter sur les institutions et jamais sur les hommes ».
Sources:http://www.palaisnational.info/pnh/heros_indep/apetion.htm