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« A propos de la Turquie et du Génocide Arménien, l’Administration Obama devrait nous chanter une autre chanson » Par Taner Akçam

aner Akçam est Maître de Conférence en histoire et président des Etudes sur le Génocide Arménien Kaloosdian/Mugar, au Centre Strassler pour les Etudes sur l’Holocauste et les Génocides, Université Clark (Worcester, Massachussetts). Une autorité internationale de premier plan sur le Génocide Arménien, il est l’auteur de ’Un acte honteux : le Génocide Arménien et la Responsabilité de la Turquie." Il est coordinateur d’un atelier à Clark pour faire le point sur l’" Etat de la Recherche sur le Génocide Arménien" (8 avril 2010)

Barack Obama
Quelle est la différence entre l’administration Obama et celle de Bush ? Il n’y en a aucune, semble-t-il, lorsqu’il s’agit de regarder l’histoire en face et de reconnaître les fautes historiques. On y chante dans les deux la même vieille chanson.

La Maison Blanche paraît déterminée à rejeter la Résolution 252 de la Chambre que la Commission des Affaires Etrangères a voté la semaine passée (4 mars), un pas inhabituel dans une longue histoire de résolutions échouées sur la "Reconnaissance du Génocide Arménien". Audiences du Congrès, résolutions en sous-commissions, promesses de campagne appuyées, et tranquilles assurances, tout cela pour aboutir à la même conclusion prévisible dès lors que la Turquie fait jouer les muscles et menace ouvertement les intérêts américains dans la région. Les Membres du Congrès acceptent de reculer, en fait non parce qu’ils ne croient pas que les Arméniens ont été victimes d’un génocide, mais à cause d’intérêts nationaux perçus comme tels au Moyen-Orient.

Selon la rengaine, faire face à l’histoire est une réponse morale alors qu’aborder les erreurs historiques est conforme aux réels intérêts nationaux de la région. Deux arguments semblent éternellement en conflit : Sécurité Nationale contre moralité ou en d’autres termes, réalistes contre fondamentalistes moraux .

Les réalistes turcs sont très concernés par la sécurité nationale . En 2007, une cour turque avait déclarés coupables deux journalistes arméniens de Turquie, Arat Dink, fils du journaliste assassiné Hrant Dink, et Sarkis Seropyan, pour avoir usé du mot "génocide" et avoir prononcé contre eux une peine de un an de prison. Le tribunal avait déclaré que : "parler du génocide, à la fois en Turquie ou d’en d’autres pays, affecte défavorablement [sic] la sécurité nationale et l’intérêt national." Le jugement déclarait en outre que la République de Turquie fait l’objet d’" un siège diplomatique consistant en des résolutions de génocide...L’acceptation de cette demande pourrait conduire dans les siècles futurs à une remise en cause des droits souverains de la République de Turquie..." Du fait de ces soucis pour la sécurité nationale, le tribunal a déclaré que parler du génocide de 1915 n’est pas protégé. Le Tribunal a jugé que "l’utilisation de ces droits peut être limité conformément à des objectifs tels que la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la sécurité publique." Les réalistes , ici aux Etats Unis, devraient se rendre compte que leur action est cohérente avec les jugements anti-démocratiques du tribunal turc.

Pendant des décennies, l’état turc a traité toute reconnaissance que 1915 était un génocide comme une attaque contre sa sécurité nationale. L’état organisait une chasse aux sorcières contre les intellectuels et les chercheurs qui y faisaient une référence quelconque. Orhan Pamuk, l’auteur lauréat du Prix Nobel, et Hrant Dink ont été poursuivis, traînés de salles d’audience en salles d’audience. L’assassinat de Hrant Dink en 2007 était une conséquence inévitable de cette campagne.

Le Gouvernement et le Congrès des USA devraient reconnaître que la Turquie utilise le prétexte de la sécurité nationale pour limiter la liberté d’expression, un droit démocratique fondamental. Assurément, pour faire un retour sur l’histoire à présent discutée, rappelons-nous que les demandes des Arméniens pour l’égalité et la justice sociale dans les années de déclin de l’Empire Ottoman étaient également traitées comme des menaces envers l’état. Le mantra de la sécurité nationale devint un prétexte pour leur massacre et leur déportation. Aujourd’hui, la demande pour une évaluation honnête de l’histoire est traitée de la même façon : comme un problème de sécurité.

L’ironie de la situation est que criminaliser une demande historique au nom de la sécurité nationale n’est pas seulement un obstacle pour la démocratie, mais entraîne en même temps de réels problèmes de sécurité pour la Turquie et la région entière. Cette "prophétie auto-réalisée " peut-être démontrée par le Génocide Arménien hier et le problème kurde aujourd’hui. Le problème kurde actuel s’est posé à la suite de leurs demandes démocratiques pour des réformes sociales, qui ont été classées menaces pour la sécurité. Aussi longtemps que la Turquie continue de voir les principes moraux et la sécurité nationale comme exclusifs les uns de l’autre, et refuse de se réconcilier avec son passé pour des raisons de sécurité nationale - en fait, aussi longtemps que la sécurité nationale turque est définie comme s’opposant à une évaluation historique honnête - les problèmes internationaux persisteront.

Lorsqu’on connaît le Moyen-Orient, on reconnaît facilement que les injustices et la négation persistante de ces injustices par l’un ou l’autre des états ou des groupes ethniques ou religieux sont des pierres d’achoppement majeures. L’histoire et les injustices historiques ne sont pas de simples questions académiques concernant le passé, le passé EST le présent dans le Moyen-Orient. Pour que la realpolitik réussisse dans la région, il est nécessaire de s’interroger sur la place de la reconnaissance de fautes historiques dans une politique de sécurité nationale.

Les Etats Unis doivent changer leur politique envers la reconnaissance du Génocide Arménien et réévaluer ce qui constitue la sécurité pour la Turquie. Au cours du 19 ème siècle, le concept français de "bon pour l’Orient" [c’est suffisamment bon pour l’Orient] a légitimé le colonialisme français et fourni une justification pour rabaisser les pays colonisés et les actes commis dans ces pays. Les Etats Unis doivent se débarrasser eux-mêmes de cette vision coloniale classique. Si la démocratie et le face à face avec l’histoire sont bons pour les Etats Unis, il en est de même pour la Turquie.

Le Congrès et la Maison Blanche doivent être suspicieux envers le canard de l’intérêt national employé comme moyen de rejeter la résolution sur le génocide. Un tel argument va à l’encontre des valeurs américaines et légitime la campagne d’état turque contre les intellectuels. Il nous faut nous mettre à chanter une chanson nouvelle qui ne soutienne pas les régimes autoritaires et négationnistes au Moyen-Orient. La sécurité en Turquie et aux Etats Unis doit intégrer le face à face avec l’histoire et la démocratisation.

Obama est venu à Washington avec une plateforme pour le changement . Je pose à nouveau ma question : quelle différence y a-t-il entre les administrations Obama et Bush ? La réponse pourrait-elle être l’acceptation de la résolution sur le génocide et la promotion d’un changement démocratique au Moyen Orient ?

Traduction Gilbert Béguian