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Notre rapport avec la mort, par Jean-Marie Nadeau

Ma femme Béatrice, ma compagne de vie privilégiée depuis 38 ans, est décédée le 8 mars dernier. Un événement si intense ne peut que nourrir mes réflexions sur la mort, et le rapport que j'entretiens avec celle-ci.

Un amour qui dure est un grand privilège et une bénédiction. Vivre des relations humaines bien ancrées et qui persistent est souhaitable pour tous. Ces relations peuvent autant être fondées sur l'amour que sur l'amitié. Ce qui importe dans tout cela, c'est la permanence, car on se définit par rapport à l'autre dans la durée. La mort de l'autre ne constitue pas une fin, mais une transformation profonde. Comment doit-on alors se définir ou se redéfinir en l'absence de l'autre?

Ce qui fait le plus mal dans la mort, pour les survivants, c'est la séparation physique avec l'être aimé : ne plus le voir, l'entendre, le sentir, le toucher"¦ On a beau dire que le corps n'est qu'une enveloppe pour le cœur et l'esprit, il demeure le porteur par excellence de ce qu'est et ce qu'a été l'être humain. Le reste n'est qu'esprit, mémoire, souvenirs"¦ce qui cela dit n'est pas négligeable.

Heureux sont ceux qui ont la foi et qui croient dans un au-delà paradisiaque. Mais cette foi est souvent la mère de toutes les contradictions, de plusieurs abus et d'inertie. La foi devient trop souvent une justification pour ne pas vivre pleinement sa vie. On utilise la foi comme police d'assurance pour son bien-être éternel. Ça devient un outil qui facilite la vie, mais à quel prix?

Je ne peux m'empêcher de penser que la foi sert trop souvent à justifier le mal. Je ne peux m'habituer à ce que des chrétiens d'extrême droite ou des musulmans fanatiques fabriquent des armes et des bombes, et ce, pour défendre le même Dieu. Je ne peux me résoudre à trouver normal que l'on exploite, que l'on discrimine et que l'on vide la planète de ses ressources au nom de la foi. Personnellement, tout cela m'éloigne de la foi.

Mais loin de moi est l'idée de faire de l'amalgame. Je reconnais que pour plusieurs personnes, dont mes parents que j'aime, la foi est un carburant, une référence, une direction. C'est un élément indispensable à leur bien-être. Et je suis heureux pour eux qu'ils aient cette conviction.

Je nous souhaite tous les paradis du monde après la mort. Je rêve que ma femme festoie actuellement avec ses parents décédés, ses sœurs et les miennes, et tous les autres qui sont partis avant elle. Mais je trouve la vie trop courte pour la passer à m'imaginer l'au-delà. Que l'on soit croyant ou pas, il faut vivre sa vie au quotidien dans l'amour, le respect des autres, l'entraide, la solidarité, la justice, l'égalité"¦ C'est le choix que Béatrice et moi avons fait. S'il y a un Dieu et un paradis, il saura bien nous reconnaître et nous y accueillir.

Plus on avance dans la vie, il va de soi que la liste des morts dans notre entourage s'allonge. Que ce soient les trop nombreux amis fauchés trop jeunes par des accidents de voiture, l'abus de drogue et les suicides; les grands-parents, les oncles, les tantes, les sœurs, les frères; les professeurs, les fous du village, les dirigeants politiques ou les nombreux anonymes morts suite à des catastrophes naturelles ou à cause de la bêtise humaine. La télévision vient aussi banaliser la mort. Quoi qu'il en soit, on ne s'habitue pas à la mort, surtout celle de nos proches.

Par ailleurs, la mort d'une amoureuse - comme ma femme l'aura été pour moi - m'a permis de réaliser avec plus de force la grandeur de l'amitié et de la solidarité humaine. J'ai été estomaqué de l'entraide que j'ai reçue de nos amis, et même de gens qui n'étaient pas nécessairement proches de nous. Pendant plus de 10 jours, des plats cuisinés nous ont été apportés en gage de sympathie et de solidarité. Je ne sais pas si c'est toujours comme cela, mais pour moi et mes filles, mes gendres et mes petits-enfants ce fut d'un réconfort inestimable. Ces petits gestes spontanés de compassion me réconcilient avec la vie et les humains. Merci les humains!

Un autre grand bonheur a été de constater qu'enfin l'on reconnaissait ma femme Béatrice pour sa singularité, son unicité, sa spécificité, son engagement. Certains diront qu'il était un peu tard pour le faire. D'autres diront que Béatrice n'aurait pas accepté qu'on la reconnaisse comme telle publiquement de son vivant. Peu importe, on sait mieux maintenant ce que nous ses proches savions. Elle était une grande dame, millionnaire dans son cœur et son esprit.

Aimons nos proches tous les jours, en le leur disant et en le leur démontrant. Aimons nos voisins et tous les gens qui nous entourent en leur facilitant la vie plutôt qu'en la leur compliquant. Arrêtons de nous comporter sur cette terre comme si nous étions éternels. Et embrassons la vie à bras le corps, parce qu'elle mérite d'être vécue pleinement, d'autant plus qu'elle ne dure pas assez longtemps.

Jean-Marie Nadeau est auteur, consultant

en communications, militant acadien,

ancien candidat du NPD et actuel président de la Société de l'Acadie du N.-B. L'opinion émise dans cette chronique n'engage que l'auteur. M. Nadeau peut

être joint à l'adresse suivante :

jmacadie@nb.sympatico.ca