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Notre cerveau aime les adultères

Si vous voulez développer votre QI, essayez de deviner si votre âme-soeur vous trompe, si elle pense à quelqu’un d’autre et si ce qu’elle vous dit ne la trahit pas. Mais peut-être qu’elle sait que vous savez ? Auquel cas, pourquoi vous dit-elle « je t’aime » ?

Il y a une chanson d’Henry Salvador qui s’intitule : Je sais que tu sais. « Je sais que tu sais que je t'aime / N'est-ce pas que tu le sais / Jamais je ne t'en ai fait l'aveu /Mais je sais que tu sais tout quand même / Car tu sais lire dans mes yeux ». On pourrait penser : c’est de la bluette. Pas du tout, c’est le début d’un complexe enchaînement de pensées qui peut conduire l’être humain à pousser son intelligence jusqu’aux limites. Car « Je sais que tu sais » constitue le premier pas d’une réflexion extrêmement stimulante pour le cerveau. C’est du moins la théorie de Liza Zunshine, interviewée par le New York Times sur les dernières avancées en matière de sciences cognitives. Liza Zunshine est une chercheuse spécialisée dans la “Théorie de l’esprit” et, d’après elle, c’est l’amour qui permet aux hommes (femmes) de développer leur esprit avec le plus d’acuité.

La “Théorie de l’esprit” fait référence à la capacité d’attribuer un état mental à soi-même ou à autrui. « Qu’est-ce qu’elle veut ? A quoi pense-t-il ? Me désire-t-il ? En aime-t-elle un autre ? Dit-il cela pour me tromper ? Pourquoi ne parvient-elle pas à me dire ce dont elle a envie ? » L’être humain est en permanence confronté au problème du non-dit, du refoulement ou du mensonge. Son intelligence est pratiquement monopolisée par l’opération mentale qui consiste à essayer de comprendre ce que ressent l’autre, à prédire son comportement et à évaluer la nature de ses sentiments. C’est probablement cela qui rend l’être humain tellement unique dans le règne animal. Et c’est justement la raison pour laquelle les spécialistes en sciences cognitives concentrent leurs efforts, depuis environ 1978, à comprendre comment l’enfant, puis l’adolescent acquiert cette capacité de compréhension “intime”. L’acquisition de cette capacité mentale se fait dès l’âge de 2 ans.

Un article publié dans le Magazine Act dénombre les cinq étapes de ce processus d’acquisition: « Au premier niveau, atteint vers l’âge de 2 ans, il s’agit de comprendre que différentes personnes peuvent avoir des vues différentes de la même situation (Flavell, Shipstead & Croft, 1978). Par exemple, si l’on place une carte à deux faces (un côté rouge et un côté vert) entre deux individus, le premier ne verra que l’une des deux faces de la carte (par exemple, le côté rouge) et le second ne verra que l’autre face (le côté vert). Le deuxième niveau implique une prise de perspective visuelle complexe. Il s’agit de comprendre que l’on peut voir une même chose différemment. Par exemple, si une image est placée à plat sur une table entre deux individus assis face-à-face, l’image apparaîtra à l’endroit pour l’un et à l’envers pour l’autre. Ce niveau de compréhension serait atteint entre l’âge de 3 et 4 ans (Howlin et al., 1999). Au troisième niveau, les individus comprennent que voir conduit à savoir, en se basant sur le principe selon lequel on ne peut avoir connaissance que des événements que l’on a vus (Taylor, 1988). L’expérience de Pratt et Bryant (1990) illustre cette compétence. On présente à des enfants une histoire impliquant deux personnages ; l’un de ces deux personnages regarde à l’intérieur d’une boîte, tandis que l’autre se contente de la toucher. On demande alors aux enfants « Qui sait ce qu’il y a à l’intérieur de la boîte ? ». A partir de 3 ans, les enfants répondent correctement : seul le personnage qui a vu à l’intérieur de la boîte sait ce qu’il y a à l’intérieur et celui qui n’a pas vu ne peut pas savoir. »

Arrivé à l’âge de 5-6 ans, la plupart des enfants ont acquis la capacité de remettre en cause leurs croyances et de modifier leur point de vue en le confrontant à celui des autres. Mais l’apprentissage de l’intelligence relationnelle ne cesse jamais vraiment. Et l’amour (ou la littérature sur l'amour), s’il faut en croire Liza Zunshine, fait partie des expériences les plus importantes pour progresser dans la vie. Surtout quand il s’agit d’amour à trois, dit-elle. Pourquoi ? Parce qu’alors l’esprit humain se torture violemment pour essayer d’y voir plus clair. Ça commence comme un jeu de devinette: « M’aime-t-il encore ? ».
Rémi Sussan, dans Internet Actu résume ainsi la chose: « En moyenne, notre “théorie de l’esprit” nous permettrait d’aller jusqu’à 4 “niveaux d’intentionnalité” : il sait (1) que je sais (2) qu’elle sait (3) qu’il sait (4). Selon le New York Times, à partir du cinquième niveau, la compréhension d’une situation descend de 60 %. Or, selon Liza Zunshine, un auteur comme Virginia Woolf est capable, dans ses romans, de jongler avec 6 niveaux ! Et ce alors que le lecteur auquel elle s’adresse est un individu moyen, pas un philosophe ou un psychologue habitué aux introspections les plus complexes…

La littérature permettrait donc à chacun de nous de monter dans de hauts niveaux d’abstraction, de pousser notre esprit dans ses limites. Sans doute est-ce ce qui a poussé Liza Zunshine a rejoindre un groupe de chercheurs dirigé par Michael Holquist, professeur de littérature comparée à Yale, désireux aujourd’hui d’analyser l’effet que les grands chefs d’oeuvre ont sur nos cellules grises. L’expérience devrait commencer prochainement. Elle devrait consister à prendre douze sujets, les faire passer sous IRM, et leur faire lire des textes de plus en plus complexes pour observer leurs réactions.

“Nous partons du principe qu’il y a une différence entre la lecture d’auteurs comme Marcel Proust ou Henri James et celle d’un journal, qu’il existe un bénéfice cognitif à lire de la littérature complexe”, explique Michel Holquist. » Lisez des livres sur l'amour, semble-t-il dire. Plus les imbroglios affectifs seront complexes, plus vous exercerez vos neurones. Plus les relations seront triangulaires, assorties de chantages, de scrupules, de secrets et de manipulations, plus votre cerveau se régalera. On n’attendait finalement que ça pour relire Ce que savait Maisie.