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(Neyyar Dan, Inde) Lever à l'aube. Quatre heures de yoga par jour. Frugalité végétarienne. Séances obligatoires de méditation et récitations de mantras. À l'ashram Sivananda Yoga Vedanta, dans le sud de l'Inde, vacanciers et voyageurs de partout dans le monde prennent congé de leur vie «normale» pour voyager au bout d'eux-mêmes.
Un yogi |
«La ferme!» s'impatiente Debbie, sympathique massothérapeute irlandaise de 30 ans. La pire ennemie de Debbie est une cloche au cri strident, qui tient le rôle de dictatrice en chef à l'ashram Sivananda Vedanta de Neyyar Dam. C'est elle qui décide du destin de Debbie et des quelque 200 résidants de ce lieu de retraite logé au seuil des montagnes Sahyadri, à 50 km de la ville de Trivandrum, tout au sud de l'Inde.
Premier tintamarre de la journée: 5h20 du matin. Les coqs s'époumonent depuis déjà quelques heures. Depuis quelques heures aussi les chants indiens enveloppent ce paisible lieu de retraite. La nuit a été trop courte.
Avec les 2500$ qu'a coûté notre formation à l'ashram, nous aurions pu nous offrir un hôtel confortable avec vue sur la mer, à Varkala ou à Kovalam, des plages situées non loin de l'ashram. Nous aurions pu passer ces quatre semaines à visiter des temples ou des plantations de thé, séjourner à Varanasi, découvrir Bombay et Delhi...
Qu'est-ce qui motive ces gens de tous âges - des femmes en majorité - à opter pour l'austérité yogique, pendant leurs vacances annuelles?
«Voyager pour découvrir, pour visiter, j'adore ça. Mais il y a autre chose. Il y a un voyage intérieur à faire», dit Catherine, au moment de prendre le chai matinal. Belle artiste libanaise de 31 ans, elle pratique le yoga chaque jour chez elle, à Beyrouth. «Chez moi au Liban, pratiquer le yoga m'aide à survivre et à dépasser toutes sortes de dépendances.»
Jaya Ganesha, Jaya Ganesha...
L'adaptation à la vie de l'ashram vient évidemment avec son lot de surprises et d'appréhensions pour les visiteurs. Plusieurs froncent les sourcils à l'idée d'entonner matins et soirs des «Hare Krishna», «Jaya Ganesha» et autres odes en sanskrit aux divinités hindoues. «Lors du premier satsang (séances de méditation, mantras et conférences sur la pratique du yoga), j'étais vraiment sous le choc. Cela me faisait penser aux Hare Krishna de mon enfance!» s'amuse Yolunda, énergique prof de pilates de Vancouver, qui s'est rendue en Inde pour se familiariser avec le yoga.
La centaine de participants avec qui j'ai séjourné au Teacher Training Courseétaient habités par des motifs personnels variés. Plusieurs voulaient approfondir leur pratique personnelle de yoga et comprendre la source spirituelle d'une discipline devenue éminemment populaire en Occident. Nombreux étaient ceux qui, après avoir lu Mange, prie, aime (immense best-seller de l'Américaine Elizabeth Gilbert), voulaient vivre une expérience dans un ashram en Inde.
Mange, prie, aime...
Curiosité, humilité, patience et une bonne dose d'humour sont de précieux alliés pour la vie d'ashram. En plus de se lever aux aurores, d'étudier la Bhagavad Gita (plus ancien des textes sacrés de l'hindouisme), de se soumettre à un horaire militaire et de renoncer à la caféine, à la télé, à l'ordinateur, au téléphone portable, à l'alcool, au tabac et aux autres délices terrestres, les résidants sont tenus de participer à l'entretien des lieux en s'acquittant des tâches qui leur sont confiées.
Pour ma part, j'ai reçu l'édifiante mission de nettoyer chaque jour les toilettes de mon dortoir. En langage yogique, on nomme «karma yoga» ces corvées ingrates. On nous explique que le travail «gratuit» est la façon la plus efficace de réduire l'ego, ennemi numéro un de l'être humain.
Étonnamment, l'harmonie s'installe tout naturellement dans cette ruche peuplée de fortes personnalités. «Quand on voyage en Inde, il faut s'attendre à manger silencieusement par terre avec la main droite», observe Shambu, qui enseigne aux aspirants professeurs de yoga.
Selon Shambu, qui a été un proche disciple de Swami Vishnu Devananda (fondateur du centre Sivananda, sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal), les Occidentaux sont d'abord attirés par le yoga parce qu'ils cherchent à être en meilleure forme physique, ou pour apprendre à relaxer ou à respirer. Surgit ensuite parfois l'éveil spirituel. Volontairement ou pas.
«Par le yoga, les gens découvrent leur vraie nature, la touche de divinité qui réside en chacun de nous. En Occident, la croyance générale est qu'il faut être original et refuser de se plier aux règles. Mais c'est un leurre: la vraie liberté, c'est d'apprendre à contrôler ses pensées, son esprit.»
Observer et ralentir le flot de ses pensées par la méditation et les quatre heures de yoga quotidiennes, c'est là le grand défi de tous les étudiants de l'ashram. Et la tâche de rester assis en lotus pour tenter d'apprivoiser ou de simplement ralentir ses pensées est parfois exaspérante. Les classes d'asanas (postures de yoga) sont parfois longues et pénibles quand le mercure grimpe à 35ºC.
Mais malgré les efforts et l'austérité, ce sont les instants de grâce qui nous restent en tête. Le souvenir de la fête de Shivaratri, où nous avons passé une nuit blanche à danser et à répéter le même mantra. La satisfaction de réussir la posture du «scorpion». Le bien-être ressenti par ce mode de vie sain et sans stress. Les échanges avec des nouveaux amis de Hong Kong, Londres, New York, Caracas... Et surtout, le bonheur de comprendre que nous ne sommes les esclaves ni des autres, ni de notre corps, ni de nos pensées.
Comment je me sentais, après quatre semaines de pratique intensive? Allégée de deux kilos. Régénérée. Libérée. Rajeunie (mon corps a retrouvé la flexibilité de ses 16 ans!). Calme et concentrée. Sereine.
Et je n'étais pas la seule à faire les louanges de l'ashram, lors de la fête d'adieux des étudiants. Leslie, Irlandaise de 36 ans qui travaille dans le domaine culturel, se sentait prête à entreprendre une nouvelle vie. Même chose pour Matthias, un Autrichien de 38 ans, qui a décidé d'abandonner sa carrière de joueur de poker professionnel pour adopter une vie plus saine.