"Ce n’est plus un rideau de fer, mais une intolérance radicale, celle d’une certaine classe politique qui de nouveau choisit d’attribuer aux minorités la responsabilité des malheurs qui accablent leurs pays", écrit Denis MacShane, ancien ministre britannique.
Il existe en Europe une nouvelle ligne de fracture. Ce n’est plus un rideau de fer, mais une intolérance radicale, celle d’une certaine classe politique qui de nouveau choisit d’attribuer aux minorités la responsabilité des malheurs qui accablent leurs pays. En Europe de l’Ouest, ce sont les Musulmans. En Europe de l’Est, ce sont les Juifs, les Roms, ou les homosexuels. Aux Pays-Bas, le parti de Geert Wilders a grimpé dans l’opinion jusqu’à remporter en mars les élections sur un programme populiste anti-Musulman et anti-Coran. En Hongrie, le parti Fidesz a fait un joli score lors des dernières élections avec ses attaques sur le "grand capital juif… qui vise à dévorer le monde entier". À la droite du Fidesz, on trouve un parti ouvertement antisémite, le Jobbik, qui est à deux sièges des Socialistes. Ses leaders ont fait part de leur intention d’entrer au parlement à Budapest vêtus de l’uniforme néonazi de la Garde Hongroise d’avant-guerre.
Les spécialistes en science politique contemporains n’aiment pas souligner la composante antisémite. Ils préfèrent utiliser les termes "populiste radical", mais pour quiconque connaît un tant soi peu l’histoire européenne, comment ignorer le parallèle avec une pensée politique fondée sur la violence antisémite ? Au cours de la première partie du siècle dernier, la dislocation de l’économie et la perte de confiance envers la classe politique traditionnelle ont permis l’émergence de mouvements ultranationalistes. Aujourd’hui, la récession mondiale et la quête d’un bouc émissaire à blâmer pour la perte de son emploi et de son revenu entraînent la résurgence de ces idées politiques toxiques.
Le leader du Fidesz, Viktor Orban, était après 1990 un évangéliste de la libre concurrence et du marché plein de jeunesse. Aujourd’hui, son propos s’est teinté de nationalisme. Ses opposants socialistes ont dû accepter un plan d’austérité du FMI. À la différence de la Grèce — qui pour l’instant reçoit l’aide de ses partenaires de l’eurozone — la Hongrie a dû se débrouiller seule quand il a fallu rembourser avec une monnaie toujours plus dévaluée, le forint, des emprunts contractés en euro à l’époque du boom économique pour acquérir maisons et voitures. Il n’a pas été trop compliqué de faire porter le chapeau au gouvernement socialiste, à la globalisation et au grand capital international. Mais Fidesz a choisi d’aller plus loin. Pour flatter l’électorat d’extrême droite, un parlementaire Fidesz, Oszkar Molnar a déclaré qu’il était temps de donner la "priorité aux intérêts hongrois sur ceux du grand capital international, le capital juif".
À l’instar du Front National de Jean-Marie Le Pen en France, Jobbik bénéficie du soutien d’environ 15 % de l’électorat hongrois. Le parti d’extrême droite tchèque ODS a dû démettre son leader, l’ancien premier ministre Mirek Topolanek, qui s’en était pris aux origines juives de l’actuel premier ministre tchèque et fustigé l’homosexualité du ministre des transports. Dans un ouvrage récent, La droite radicale populiste en Pologne, Rafal Pankowski, professeur de science politique à Varsovie formé à Oxford, écrit : "l’antisémitisme est essentiel à la droite populiste polonaise. Le nombre de juifs vivant aujourd’hui en Pologne est minime, mais le préjugé antisémite sert de code à une hostilité générale envers la diversité et la démocratie [libérale] polonaise". Pour l’heure, toute critique du nationalisme politique est suspendue, les Polonais portant le deuil de leur président Lech Kaczynski et des autres responsables nationaux tués lors du crash aérien survenu au début du mois.
Le bilan des activistes de son parti — et notamment de Michal Kaminski, parlementaire le plus connu de Pologne et leader d’un petit groupe d’extrême droite au parlement de Strasbourg — est néanmoins dérangeant. Kaminski, admirateur de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, parle des homosexuels en termes orduriers et déclare qu’il ne s’excusera pour le massacre des Juifs en terre polonaise pendant la deuxième guerre mondiale que le jour ou "les Juifs s’excuseront pour les meurtres de Polonais".
Les grands partis politiques ont tenté de minimiser la résurgence des violences à l’encontre des minorités. Mais au parlement européen, le Fidesz est affilié au Parti Populaire Européen, le groupe de centre-droit, qui fédère la CDU, parti d’Angela Merkel au pouvoir en Allemagne, l’UMP de Nicolas Sarkozy, dont le gouvernement est aux affaires en France, et les partis conservateurs au pouvoir en Suède, en Italie et en Belgique. Lorsque l’extrémiste autrichien Jörg Haider avait rejoint une coalition de gouvernement en Autriche, voici une dizaine d’années, l’Union Européenne avait soumis Vienne à une quarantaine politique jusqu’à son départ. Or, le Fidesz dispose d’une importante majorité bâtie sur des attaques sur le "grand capital juif", prodiguées en des termes qu’Haider lui-même n’a jamais osé utiliser.
On le voit, le populisme radical — anti-musulman en Europe Occidentale, antisémite en Europe orientale, et partout xénophobe et anti-immigrationniste — n’est plus confiné aux extrêmes. Lors des élections générales britanniques, les grands partis font tous des concessions à la xénophobie ambiante en employant vis-à-vis des immigrants un langage qu’ils estimeraient intolérable s’il était utilisé envers des citoyens britanniques vivant et travaillant à l’étranger. Les comparaisons avec l’Europe d’avant-guerre ne doivent pas pour autant être exagérées. Le fascisme est mort, et ne reviendra pas. Mais une pensée politique fondée sur l’intolérance est à l’œuvre en Europe, et personne ne sait comment l’affronter.
Par Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes du gouvernement britannique.