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Leçons de ténèbres par Charles Juliet

Le sixième tome de son Journal paraît : la sérénité est au rendez-vous.

Un jour, l'écriture s'est imposée à lui. Il parle même d'exigence absolue. Charles Juliet commence à tenir un journal dès 1957. Elève dans une école militaire depuis l'âge de douze ans, il décide, à vingt-trois ans, de se faire réformer et de quitter l'armée où il suivait des études de médecine. Il redevient un civil et se met à écrire. A partir de ce jour, Charles Juliet y consacre sa vie mais le chemin est long, tourmenté, ténébreux. Souvent, il reste à l'affût, seul devant son bureau à s'ennuyer, sans même songer qu'une autre vie est possible. Sa femme travaille, ses proches l'interrogent sur ce qu'il fait, il attend dans la solitude, ou bien se met à lire. La réédition en poche du premier tome de son Journal évoque ce long malaise, cette angoisse et ce découragement. Aujourd'hui, c'est le sixième tome qui paraît, couvrant les années 1993-1996, et c'est un écrivain en accord avec lui-même qui s'exprime. Quarante ans se sont écoulés entre ces volumes dont la lecture parallèle est passionnante, comme peut l'être le destin d'un écrivain embarqué dans une autoanalyse qui l'amène à la sérénité. "Pourtant, je ne pense pas être un auteur de journal, dit-il à présent, car je n'ai pas besoin d'écrire tous les jours. Je peux rester deux ou trois mois sans rien noter puis, tout à coup, quelque chose s'impose, plus ou moins dicté. Un peu comme pour la poésie. Mais la poésie, c'est une sorte de picotement intérieur." Poèmes et notes de journal sont les premiers textes écrits par le jeune homme qui se libère ainsi des contraintes littéraires en laissant parler l'instinct.

Prendre le temps d'aimer, d'admirer, de marcher

Progressivement, il s'ouvre à d'autres formes, en particulier le récit autobiographique avec L'année de l'éveil (1989), L'inattendu (1992) et Lambeaux (1995). Dans L'année de l'éveil, Charles Juliet évoque ses années d'enfant de troupe qui correspondent à son entrée dans l'adolescence. L'inattendu revient plus en arrière pour mieux suivre le petit garçon solitaire, les matins dans le brouillard à garder les vaches. Enfin, Lambeaux est une évocation de ses deux mères. Hortense, sa mère biologique, est la figure dont il fut séparé lorsqu'il n'avait que trois mois. Cette jeune femme, dont il recompose le portrait à travers des témoignages, fut internée dans un asile psychiatrique où, laissée à l'abandon comme les autres patients, elle meurt de faim pendant la guerre. Félicie est sa mère adoptive, aimée avec passion.

Ces expériences sont comme un terreau pour celui qui trouve dans l'écriture un sens à la vie mais aussi une ouverture aux autres. "Je suis dépouillé de toute cette confusion, dit-il. Mais la connaissance de soi n'est pas du narcissisme, c'est une délivrance de tous les fardeaux qui m'empêchaient d'être moi." Charles Juliet a beaucoup lu les mystiques, trouvé en eux une "intensité de vie" tout en dissociant le spirituel du religieux. Aujourd'hui, cet homme a trouvé l'équilibre entre le don de soi et l'écoute des autres. Son Journal ne dit rien d'autre que cette reconstruction : "Je sais maintenant que durant ces années effondrées, après m'être détruit, j'ai travaillé sans le savoir à me donner des fondations." En choisissant pour ce volume le titre Lumières d'automne, il veut parler de maturité et non de tourment à l'approche de la mort. Il est donc à l'écoute des autres, écrivant sur des peintres (Bram Van Velde en particulier) mais aussi des musiciens (Chet Baker), des écrivains (Camus, Robert Walser ou Kazantzakis) pour transmettre son admiration, rendre hommage et partager. Il savoure le talent des autres et nous apprend aussi à prendre le temps d'aimer, d'admirer, de marcher à ses côtés dans les rues de Lyon, dans la campagne de la vallée du Rhône ou dans les villes du Japon.

"Certains livres, écrit Charles Juliet, nous hissent très haut, d'autres nous plongent dans le gouffre, là où il ne faut pas manquer de descendre. En nous faisant découvrir des régions de l'être humain et des aspects de la société que nous ignorions, ils nous poussent à nous ouvrir davantage, à devenir plus tolérants, à savoir mieux accepter ce qui diffère de nous." L'oeuvre de ce poète et diariste appartient à ce monde-là : elle nous touche au vif et, dans le même temps, nous apaise.