Au-delà de la tourmente médiatique, les juristes du Vatican étudient la crise pédophile sous l’angle juridique. Plusieurs avocats américains, depuis plusieurs années, tentent de mettre en cause le Saint-Siège devant les juridictions américaines
Le Saint-Siège, État souverain, peut-il être poursuivi aux États-Unis ?
La réponse est a priori négative. En effet, la loi américaine de 1976, sur les « immunités souveraines étrangères », interdit à des tribunaux américains de poursuivre le chef d’un État étranger, ou ses représentants. Mais il existe deux exceptions : certains domaines regardant le droit commercial, et surtout le Tort Exception, lorsque des représentants d’États étrangers ont causé des préjudices à des personnes sur le territoire américain.
Le pape peut-il être assigné en justice aux États-Unis? |
C’est sur ce dernier point que s’appuient des avocats américains, notamment dans le Kentucky et en Oregon. Plaidant le lien de subordination existant entre les prêtres, les évêques et le Saint-Siège, et arguant de la négligence de ce dernier, qui a mis en danger les victimes américaines des prêtres pédophiles, ces juristes ont obtenu gain de cause en appel, en Orégon (cas « Saint-Siège versus John V. Doe »).
On attend la décision de la Cour suprême des États-Unis, auprès de laquelle le Saint-Siège a déposé un recours. Jusqu’ici, le Saint-Siège a toujours pu plaider avec succès, devant des juridictions américaines, l’immunité diplomatique selon la loi de 1976. « Si Benoît XVI était appelé à témoigner devant une juridiction américaine, des juridictions étrangères pourraient alors citer le président américain pour des détentions secrètes réalisées par la CIA hors du territoire américain » expliquait aux agences américaines Jeffrey Lena, l’avocat américain du Saint-Siège.
Le Saint-Siège est-il véritablement un État souverain ?
La réponse ne fait pas de doute : le préambule du traité du Latran de 1929 garantit au Saint-Siège son « incontestable souveraineté internationale » et reconnaît au pape un statut de chef d’État. Aujourd’hui, 174 États, dont les États-Unis, entretiennent des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
« Le pape est certainement un chef d’État, avec le même statut juridique que tous les chefs d’État » affirme Giuseppe Dalla Torre, président du tribunal de la Cité du Vatican. À ce titre, le personnel diplomatique du Saint-Siège bénéficie également de l’immunité diplomatique. Le Saint-Siège dispose également aux Nations unies du statut d’observateur permanent en tant qu’État non membre, c’est à dire sans droit de vote.
Les prêtres et évêques catholiques sont-ils juridiquement subordonnés au Saint-Siège ?
Le Saint-Siège rétorque qu’en vertu du principe de subsidiarité, les évêques bénéficient d’une réelle autonomie de gouvernement, et que les prêtres relèvent de leur autorité propre, et non pas de celle de Rome. Ni les uns, ni les autres ne peuvent donc être considérés comme des « employés » du Saint-Siège.
« L’Église n’est pas une multinationale, explique également Giuseppe Dalla Torre. Chaque évêque est juridiquement responsable de son diocèse ». William Mc Murry, l’avocat américain, qui depuis 2004 tente d’assigner le Saint-Siège, maintient que le pouvoir de nomination des évêques, et de transfert des prêtres, détenu et appliqué par Rome, illustre ce lien de subordination. S’appuyant sur la demande de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, alors présidée par le cardinal Ratzinger, de faire remonter à Rome tous les cas d’abus sexuels, William Mc Murry insiste : « Je veux savoir ce qu’il savait, et quand il l’a su ».
Quel est le contexte judiciaire américain ?
Aujourd’hui se multiplient aux États-Unis les class actions (actions judiciaires collectives), s’appliquant aux constructeurs automobiles, aux acteurs du monde médical ou éducatif, permettant à d’éventuelles victimes de recevoir d’importantes indemnités financières en réparation des préjudices subis.
Selon la presse américaine, des avocats « recrutent » ainsi activement des plaignants parmi les anciens élèves d’institutions éducatives catholiques, leur faisant valoir les indemnités importantes qui pourraient leur être versées s’ils choisissent de déposer une plainte.
C’est ainsi que George Weigel, biographe réputé de Jean-Paul II, met en cause dans la presse italienne « ces avocats sans scrupule qui tentent de mettre les ressources du Vatican à portée des tribunaux américains ». Déjà, plusieurs diocèses américains ont dû verser des centaines de millions de dollars à des victimes américaines d’abus sexuels.
Frédéric MOUNIER, à Rome