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L'Anatolie : "véritable berceau du christianisme" Par Selami Varlik Paris

Alors que le projet d'ouverture démocratique entend donner plus de libertés aux minorités religieuses, Benoit de Sagazan, rédacteur en chef du Monde de la Bible, revient pour Zaman France sur la façon dont la Turquie "façonna" le christianisme, en en faisant une religion universelle.

Alors que la Turquie se trouve de plus en plus confrontée à la question de ses minorités religieuses, Benoit de Sagazan, rédacteur en chef du Monde de la Bible, décrit l'importance de l'Anatolie dans la constitution de la religion chrétienne. Evoquant une histoire commune, il insiste notamment sur la façon dont cette période de l'histoire du christianisme contribua à en faire une religion universelle. Egemen Bagis, ministre d'Etat et négociateur en chef de la Turquie pour l'adhésion à l'UE, a rencontré dernièrement les représentants des minorités religieuses de Turquie pour leur présenter le projet d'ouverture démocratique du gouvernement. Il avait alors expliqué que l'un des objectifs de ce processus, qui se concrétise actuellement à travers les débats parlementaires sur la réforme constitutionnelle, était de donner plus de libertés aux minorités religieuses dans l'exercice de leur culte. Bagis a rappelé la création d'un Groupe de suivi de la réforme (Reform İzleme Grubu), mené sous la direction de quatre ministres, et dont l'objectif est de contrôler les progrès concrets réalisés sur le plan des critères d'adhésion à l'UE, un important volet politique. Pourtant, la Turquie a encore d'énormes efforts à faire sur ce terrain. Dans son rapport annuel, la Commission sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) l'a une nouvelle fois placée sur une liste de 12 pays sous surveillance. Le rapport reproche notamment à la Turquie sa conception de la laïcité qui viole les libertés religieuses de la majorité, mais surtout des minorités vivant dans le pays.

Si la Turquie est aujourd'hui largement identifiée à une certaine identité musulmane, qui représente d'ailleurs pour beaucoup un obstacle à son adhésion à l'Union européenne, elle a aussi une place importante dans l'histoire du christianisme. Benoit De Sagazan, rédacteur en chef de la revue Le Monde de la Bible, la voit même comme appartenant au "véritable berceau du christianisme". C'est donc pour redécouvrir ce patrimoine qui été "assez fondamental" dans l'histoire du christianisme, que la revue a consacré à ce sujet son avant-dernier hors série intitulé "Turquie, La terre qui façonna le christianisme". Les Actes des Apôtres rapporte que c’est à Antioche, dans le sud-est de la Turquie actuelle, que les disciples du Christ reçurent pour la première fois le nom de "chrétiens". Lui-même originaire de Tarse, Paul voyagea beaucoup en Turquie : Antioche de Pisidie, Iconium (aujourd’hui Konya), Ephèse, où il séjourna également longtemps et à qui il consacrera une longue lettre. Lorsqu'ils ont dû quitter Jérusalem, les premiers chrétiens se sont réfugiés à Antioche où vivait, à l'époque, la plus grosse communauté de juifs et de chrétiens. C'est dans ce milieu là qu'a grandi Paul, considéré comme l'un des fondateurs du christianisme.

Une région d'intenses échanges de populations et de cultures

Benoit de Sagazan explique comment le christianisme s'est développé à travers les réseaux qui existaient à l'époque : "il y avait notamment en Turquie, une zone de développement incroyable depuis la pacification romaine. D'abord cela a toujours été une région très riche au niveau culturel, que ce soit du temps des hitites jusqu'à l'époque romaine, avec l'invasion des peuples du nord. C'est un berceau de civilisation l'Anatolie". Cette région a subi de nombreuses invasions et chaque envahisseur a apporté quelque chose. Le christianisme s'est développé grâce à des réseaux d'échanges et de circulations entre les différents ports de la côte. "Tous ces réseaux, le christianisme les a utilisés pour rentrer dans le monde romain, pour aller jusqu'à Rome", explique Benoit de Sagazan. La région est proche de Jérusalem, où est mort Jésus Christ. La première communauté a voyagé vers différentes contrées. Une partie est allée à Antioche, une autre partie est allée en Egypte, alors que Marc s'y rendait. On dit de Thomas qu'il est allé jusqu'aux Indes. Mais une des terres les plus fécondes à l'époque et qui s'est remplie le plus rapidement, c'est l'Anatolie. L'une des raisons qu'avance de Sagazan est la forte présence juive en Anatolie, étant donné que le christianisme s'est d'abord diffusé au sein du judaïsme.

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Les Juifs de la région anatolienne parlaient et échangeaient avec l'apôtre Paul qui était lui-même juif. Ce dernier a pourtant été l'un des premiers à dire que le message ne s'adressait pas uniquement aux Juifs, mais qu'il pouvait aussi s'adresser aux Gentils, soit à ceux qui n'étaient pas juifs. Au sein même du christianisme, le débat a été très vif à ce propos notamment au premier Concile de Jérusalem, en 70, on opposait deux visions antagonistes : celle de Pierre et celle de Paul. Pour ce dernier, le message de Jésus Christ s'adressait à tout le monde alors que jusque là il fallait devenir juif pour être chrétien. La question que posait ce concile était donc de savoir si la foi en Jésus était suffisante pour être sauvé ou s'il fallait également observer les règles traditionnelles du judaïsme. C'est donc avec Paul que l'on a pu devenir chrétien sans être juif. Pour Benoit de Sagazan, c'est dans cette région là que le christianisme s'est universalisé. "Cette région a été un laboratoire, ajoute-t-il ; c'est là que la doctrine du christianisme s'est élaborée, au 4e, 5e, 6e siècle". C'est également en Anatolie, que le IIIe concile œcuménique d'Ephèse, en 431, proclama Marie "Mère de Dieu". C'est également dans cette région que fut élaborée la doctrine de l'unicité du christianisme, Jésus étant à la fois pleinement homme et pleinement Dieu.

C'est également en Anatolie qu'a démarré la fameuse querelle des images, l'iconoclasme. Si dans le judaïsme et l'islam on ne peut représenter Dieu, cet interdit était aussi valable dans le christianisme. Mais un concile a finalement décidé que, "Dieu s'étant incarné en Jésus, il pouvait être représenté". Par ailleurs, pour beaucoup de chercheur c'est à Antioche qu'ont commencé les traductions et l'écriture des Evangiles ; cela à peine 20 ans après la mort de Jésus Christ. Benoit de Sagazan voit donc cette région comme le lieu où le "message est devenu plus universel".

Le dernier hors-série de la revue, intitulé Chrétiens Musulmans, premières rencontres, est encore en vente.