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La Turquie manipulée par l’Occident ? Par ETYEN MAHÇUPYAN

"Le problème est plus simple pour la plus grande majorité turque : un régime a mis sous sa tutelle toute activité politique, elle supprime donc toute demande sociale et toute liberté. Et ce régime doit changer sans tenir compte de qui est au pouvoir."

Les efforts de démocratisation de la Turquie ont une composante externe majeure. Il semblerait qu’en tant que pays ayant catégoriquement obtenu l’approbation de l’Occident et plus particulièrement des Etats-Unis lors de ses coups d’Etat, la Turquie ait besoin de cela pour un vrai système démocratique aujourd’hui.

En réalité, les forces dynamiques internes de la Turquie sont assez fortes pour qu’elle se passe de ce soutien. Mais nombre des Occidentaux ont vraisemblablement du mal à comprendre cela. Le malaise qu’ils ont développé en ce qui concerne l’islam, qui a pris une signification politique depuis les attentats du 11 septembre, hante les esprits préoccupés par les changements en Turquie et l’identité de l’AKP (parti pour la justice et le développement). Bien que cela nous paraisse ridicule beaucoup d’Occidentaux parlent du danger de la réintroduction de la charia en Turquie. De plus grands groupes mentionnent les tentatives du gouvernement de contrôler l’appareil d’Etat ou son intention de créer une espèce de parti dictateur en diminuant le pouvoir du judiciaire. Cette ignorance est largement compréhensible. Les préjudices émanant de l’orientalisme sont toujours appliqués et une propagande effective est en place. Cela consolide le point de vue des Occidentaux. Le rapport de Gareth Jenkins sur l’affaire Ergenekon illustre bien cette propagande. Ce rapport avait pour but initial de prouver qu’il n’existait aucun réseau portant ce nom. Toutefois ni les informations ni les preuves du rapport de Jenkins étaient totalement véridiques. En d’autres termes, le rapport appuyait les points qui allaient dans son sens en omettant ceux contraires à sa position.

Si l’on se fie à ce rapport on peut bien sûr continuer de supposer que, par exemple, le mitraillage du Conseil d’Etat était motivé par des islamistes. Mais vous ne saurez jamais dans quelle mesure les auteurs de ce crime et le réseau Ergenekon sont liés. Ce que l’on peut constater toutefois c’est qu’il s’agit d’un crime néo-nationaliste que l’on essaie de présenter comme étant islamiste. Les procès ont révélé que les suspects étaient les mêmes que ceux qui avaient attenté contre le journal Cumhuriyet, et qu’ils étaient en étroite relation avec les principaux responsables du réseau Ergenekon. De plus, un récent communiqué du TÜBITAK a révélé que les caméras de surveillance qui soi-disant ne fonctionnaient pas, fonctionnaient parfaitement mais que les bandes ont été effacées.

Cela peut s’expliquer par le fait que la compagnie de surveillance appartenait à l’armée. Il faut aussi savoir que beaucoup des opinions "expertes" publiées en Occident vont dans le sens de cette manipulation. Cela révèle une différence spectaculaire en termes de connaissances : les Occidentaux pensent qu’il existe un combat entre l’AKP et le pouvoir militaire et judiciaire. Ils pensent donc qu’ils doivent rester neutres dans cette discorde entre "deux maux". D’autre part, le problème est plus simple pour la plus grande majorité turque : un régime a mis sous sa tutelle toute activité politique, elle sup- prime donc toute demande sociale et toute liberté. Et ce régime doit changer sans tenir compte de qui est au pouvoir. Si l’on veut savoir quel type de régime l’AKP demande, la réponse est sans aucun doute "une démocratie" parce que c’est ce que les partisans de l’AKP revendiquent.

En effet des études récentes indiquent que le nombre de personnes soutenant les réformes constitutionnelles et judiciaires est d’environ 70%, un taux qui dépasse largement le nombre des partisans de l’AKP. Plus intéressant encore, 65% de la population est favorable à la question de savoir si ces réformes doivent être mises en place au Parlement actuel. Ces résultats prouvent qu’il existe différents débats et tensions au sein du pays. Le vrai problème n’est pas entre l’AKP et la bureaucratie mais il est au sein même de la bureaucratie. Autrement, on ne pourrait expliquer pourquoi les comptes-rendus des réunions qui ont constitué le squelette de l’opération "Balyoz" (marteau de forge), ainsi que les enregistrements audio, ont été gardés secrets pendant 8 ans par une personne ayant participé à ces réunions, pour être révélés au grand jour maintenant. De même, on comprendrait difficilement pourquoi les procureurs impliqués dans l’affaire Ergenekon ont agi avec détermination et compétence. Une chose est sûre : si ce n’était que pour une division au sein des forces armées ou du pouvoir judiciaire, l’AKP n’aurait jamais le courage de s’attaquer à ces coups d’Etat.

Ce qui se passe n’est en fait pas si compliqué. Nous sommes dans un processus similaire à ce qui s’est passé il y a quelques temps dans les pays d’Europe de l’est et à la situation actuelle de l’Argentine. La seule différence c’est qu’en Turquie on essaie de mettre ces réformes en application alors que l’ancien système est toujours en place. C’est la raison pour laquelle on peut encore observer des efforts de manipulation et que des rapports "experts", qui cachent la vérité, peuvent être publiés. La vraie valeur de ces rapports peut toutefois être facilement justifiée : Deniz Baykal est par exemple, le seul à constamment faire référence au texte de Jenkins et quand il le fait c’est à l’étranger.